CHINAHOY

30-July-2014

Jules Hoffmann en Chine : le scientifique qui fait mouche !

 

Le 13 mai 2014, le professeur Jules Hoffmann (3e à g.) a été reçu par l'université de l'Académie des sciences de Chine, où il s'est vu décerner le titre de professeur honoraire. (ANAÏS CHAILLOLEAU)

 

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Rencontre avec le Nobel 2011 de physiologie-médecine en visite en Chine, un pays prometteur en matière de recherche scientifique.

Les flashs crépitent autour de cet homme – teint rosé, yeux bleus et cheveux blancs – bien apprêté pour la grande occasion. Nous sommes le 13 juin 2014, jour où l'université de l'Académie des sciences de Chine (CAS) remet au professeur Jules Hoffmann le titre de professeur honoraire.

« Il ne faudrait jamais travailler pour des prix », rappelle ce scientifique de renom. Pourtant, lui-même a reçu près d'une vingtaine de distinctions au cours de sa longue et prestigieuse carrière, dont le prix Nobel de physiologie-médecine en 2011, aux côtés de Bruce A. Beutler, pour leurs découvertes concernant l'activation de l'immunité innée. En outre, il est membre de diverses académies des sciences un peu partout dans le monde et déjà docteur honoris causa dans quelques universités.

L'« insectophilie » héréditaire

Mais commençons par le début. Né en 1941 au Luxembourg, « cette tête bien faite et bien pleine », sous l'influence de son père entomologiste, se passionne très tôt pour les insectes. M. Hoffmann aime rappeler que cette classe d'animaux englobe 80 % des espèces vivantes sur Terre et constitue pour un tiers de l'humanité une menace d'infections bactériennes ou fongiques.

Son père le poussant à s'orienter vers les sciences, il entame ses études universitaires à Strasbourg et poursuit jusqu'en doctorat, spécialité biologie expérimentale. Là, il fait la rencontre du professeur Pierre Joly, qui à l'époque menait des recherches sur la régulation endocrine du développement et de la reproduction des criquets migrateurs. Jules Hoffmann explique : « Pendant 50 ans, on a extrait le cerveau d'un insecte pour l'implanter dans le corps d'un autre insecte, puis on a observé l'influence sur le développement ou la ponte de ce dernier. Mais toutes ces expériences avaient déjà été menées. Ce domaine arrivait à bout de souffle dans la manière dont nous l'étudions. En ce temps-là, la chimie n'entrait pas en jeu, du moins à Strasbourg. »

Un jour, ces deux scientifiques se sont fait la réflexion : après toutes ces opérations – aux deux sens du terme – aucune infection ne s'était déclarée chez ces spécimens, suggérant que ceux-ci disposaient de mécanismes de défense particulièrement puissants. Comment se faisait-il que ces insectes fussent si résistants ? Le jeune Jules Hoffmann venait de trouvait son sujet de recherche.

« Nous nous sommes vraiment posé cette question dans un contexte de curiosité scientifique. Je n'avais jamais pensé que je contribuerais à ouvrir un nouveau champ de recherche sur l'immunité inné. » M. Hoffmann et ses confrères, à travers l'étude de l'immunologie des drosophiles, ont catégorisé les récepteurs chargés de reconnaître les agents pathogènes et décrypté leur rôle dans l'activation des peptides (éléments de base d'une protéine) antimicrobiens. En outre, ils ont clarifié les liens qui existaient entre immunité innée (mode de défense de première ligne, dont jouissent animaux et végétaux, qui s'opposent immédiatement à tout agent infectieux) et immunité adaptative (second mode de défense s'observant chez les vertébrés uniquement, qui confère une protection plus tardive mais plus durable). Or, il a été mis en évidence que l'homme présentait des récepteurs et peptides antimicrobiens analogues à ceux de la drosophile. Ainsi, ces percées scientifiques déboucheront-elles sûrement sur des applications médicales, notamment dans le traitement du cancer. Une nouvelle perspective à laquelle Jules Hoffmann souhaiterait désormais se consacrer.

Depuis ces découvertes, ce scientifique, bien que septuagénaire, n'a pas beaucoup de temps pour lui. « J'arrive du Canada ; aujourd'hui, je suis en Chine ; dans quelques jours, je vais m'envoler pour Israël… J'ai donné environ 150 conférences à travers le monde depuis mon Nobel. Je suis heureux d'avoir reçu ce prix, mais il ne m'a pas changé pour autant. Néanmoins, la façon dont les gens vous regardent est différente. La preuve : c'est à lui que je dois ma présence ici », reconnaît-il.

Tisser sa toile en Chine

En effet, cet évènement, comprenant remise de prix et conférence, a été en partie organisé par l'ambassade de France en Chine, qui invite des personnalités francophones de tous horizons pour marquer le cinquantenaire des relations diplomatiques sino-françaises. Et qui de mieux que l'un des trois seuls lauréats français du prix Nobel pour faire montre de l'excellence scientifique de l'Hexagone ?

Par ailleurs, il convient de noter que la Chine et les Chinois ne sont pas absents de la vie de Jules Hoffmann. « Je suis venu une quinzaine de fois en Chine. La première fois, c'était en 1980, dans le cadre de mes recherches sur les hormones des insectes. Il y avait alors le très réputé Institut d'entomologie à Shanghai. » Là, il a travaillé en collaboration avec des scientifiques chinois membres de l'Academia Sinica (ancêtre de la CAS), forgeant de très bonnes relations avec eux. De surcroît, pendant 17 ans, son laboratoire à Strasbourg a accueilli de nombreux chercheurs chinois.

Jules Hoffmann nous raconte également que sur les conseils de ses confrères chinois, il est parti, en compagnie des membres de son équipe, en expédition dans les zones reculées du Yunnan pour y mener des expériences sur les peptides antimicrobiens et leur intérêt potentiel dans le traitement.

Ses allées et venues en Chine en ont fait un témoin de l'évolution du pays. Se remémorant les charmants hutong de Beijing, qu'ils voient désormais remplacés pour la plupart par des immeubles vertigineux, il qualifie d'« impressionnante » la progression qu'a connue la Chine.

Des avancées industrielles, économiques, sociales, mais pas que ! Les sciences et technologies s'y sont développées à grands pas ces dernières années. Une réalité qui justifie certainement le choix de Jules Hoffmann de bâtir, en collaboration avec l'expert de l'Académie d'ingénierie de Chine Zhong Nanshan, l'Institut sino-français Jules Hoffmann pour les études en immunologie au sein de l'université médicale de Guangzhou. Inauguré en octobre, cet établissement permettra à la Chine et à la France d'entreprendre des recherches conjointes sur l'immunité innée, les allergies et les inflammations, ainsi que la transformation tumorale.

La France, partenaire de la croissance scientifique chinoise

Ces exemples démontrent bien que les coopérations scientifiques entre la Chine et la France vont croissant. Celles-ci ont commencé dès 1978, après que le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) a signé un accord-cadre avec l'Académie des sciences de Chine. « Le CNRS s'est doté, au fil des ans, d'un portefeuille d'actions et de projets tout à fait unique dans l'ensemble des échanges entre la France et la Chine », souligne Antoine Mynard, directeur du bureau du CNRS en Chine, installé au sein de l'ambassade de France à Beijing depuis 1995.

Ainsi, à travers différents mécanismes de coopération internationale, le CNRS – dont Jules Hoffmann est un membre actif et a même gagné la Médaille d'or en 2011 – promeut la mise en place d'établissements de recherche conjoints, les échanges entre laboratoires ainsi que la mobilité des scientifiques et stagiaires doctorants. La France fait donc bénéficier la Chine de ses compétences, majoritairement en physique et chimie, et vice-versa.

« En dépensant désormais plus de 125 milliards d'euros par an pour sa recherche, la Chine vise à se rapprocher en 2020 de la barre des 2,5 % du PIB consacré à la R&D. Les publications scientifiques font, elles aussi, un bond extraordinaire, en plus de ne pas cesser de croître : entre 1999 et 2011, elles ont été multipliées par 4 », a détaillé Patrick Nedellec, directeur de la Direction Europe de la recherche et coopération internationale (DERCI). Avant de conclure : « Du statut d'"atelier" du monde, la Chine envisage de passer à celui de "laboratoire" du monde. »

M. Hoffmann croit lui aussi dur comme fer au potentiel scientifique de la Chine : « L'État chinois a pris la décision de mettre de l'argent dans la recherche. Aujourd'hui, les scientifiques chinois disposent d'équipements de qualité pour travailler comme il se doit. D'ailleurs, je ne doute pas que la Chine égalera bientôt les États-Unis en termes de prix Nobel. »

 

La Chine au présent

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