CHINAHOY

10-June-2014

Voulez-vous danser grand-mère ?

 

Un groupe de femmes en train de danser sur une place de Beijing. (YU JIE)

 

LAURENT CASSAR, membre de la rédaction

En Chine, les groupes de danse en plein air sont un véritable phénomène de société. Principalement constitués de retraitées, on en trouve dans toutes les villes et dans presque tous les quartiers. Nous sommes allés à la rencontre de l'un d'eux.

En vous baladant au hasard dans les villes chinoises, généralement en fin de journée, il y a de fortes chances que vous tombiez sur un spectacle inattendu. Au milieu d'un square, sur une place publique ou sur une large portion de trottoir, elles sont là. Qu'il fasse 30° ou -10°, qu'elles soient 5 ou plus de 100, hors de question qu'elles ratent ce rendez-vous : celui de la danse de groupe en plein air. Sun Li est l'une de ces nombreuses retraitées chinoises qui y participent. Âgée de 58 ans, cette petite femme pleine d'énergie se rend tous les jours à vélo sur la place publique, proche du zoo de Beijing, où son groupe de « danse de squares », comme on dit en chinois, a établi ses quartiers. « Je viens danser ici tous les soirs de 19h à 20h30 depuis 10 ans, nous dit-elle. Au début, je venais après le travail. Danser me faisait oublier tout le stress et les soucis de ma journée. Et puis, c'est bon pour garder la forme et on s'amuse aussi ! » Quand je lui demande si elle vient même lorsque le mercure descend à -15°, au cœur de l'hiver de Beijing, elle répond sans hésitation : « Oui, on vient ! S'il fait trop froid on se met dans le passage sous-terrain, ici ! », dit-elle en me montrant un large escalier descendant sous terre.

Des pistes de danse en pleine ville

Mais ces groupes de « danseuses » font plus que se trémousser sur de la musique, elles effectuent des chorégraphies que leur professeures – bénévoles – leurs enseignent. « Dans notre groupe, on danse sur des chansons à la mode ! dit-elle. D'autres groupes sont spécialisés dans certains styles de musique, mais nous on écoute de tout, surtout ce qui est à la mode. On apprend 2 ou 3 nouvelles chorégraphies par mois, c'est bon pour l'esprit aussi. Au total j'en connais plus de 100 mais si on ne les répète pas souvent, on finit par en oublier certaines ». Nous arrivons en vue de la place et je les aperçois, ces gracieuses retraitées chinoises, souvent appelées « les mamies danseuses » par les expatriés. Elles sont une vingtaine à effectuer une chorégraphie sur de la musique du Xinjiang (région autonome ouïgoure dans le nord-ouest de la Chine), au rythme clairement Moyen-Orient. Sun Li a l'air d'aimer cette chanson car elle court se faire une place au premier rang et se met à exécuter la chorégraphie, le sourire aux lèvres, tout comme les autres participantes. Voir ce groupe de chinoises bouger à la manière de danseuses orientales, en plein centre-ville de Beijing, face à leur « professeure » et à l'ampli diffusant la musique posé sur un petit chariot à deux roues, a quelque chose de rafraîchissant...

Il faut dire qu'il y a en Chine, comme dans les pays d'Asie de l'Est en général, une tradition des activités de groupe. Et ces activités se déroulent bien souvent dans l'espace public. Dans bien des entreprises (restaurants, salons de coiffure ou de beauté, hôtels, banques…), les employés sont réunis à différents moments de la journée pour écouter le speech d'un supérieur hiérarchique puis scandent des slogans, chantent des chansons ou effectuent même des chorégraphies simples sur de la musique. C'est par exemple le cas des employés de l'agence immobilière se trouvant au rez-de-chaussée de mon immeuble qui n'hésitent pas à chanter à gorges déployées devant l'agence, dans la rue, à 9h du matin ! La rue est en Chine un espace ouvert à tous et où les gens cohabitent avec une grande tolérance. Sur la place où Sun Li et ses amies se retrouvent tous les soirs, il y a une partie où des enfants font des tours dans des petites voitures électriques, un coin pour les amateurs de roller, et un autre ou on peut chanter des chansons au micro grâce à un écran et une machine à karaoké ! Scène complétement farfelue pour la France mais totalement normale en Chine !

Revenons à nos danseuses. Elles ont la quarantaine pour les plus jeunes et près de 70 ans pour les plus âgées. Les meilleures sont en général au premier rang. Au dernier rang, les mouvements sont plus maladroits et les chorégraphies moins fluides. Et derrière ce dernier rang, il y a un homme, le seul du groupe, qui se déhanche comme il peut pour suivre le rythme. Mais ici, l'essentiel est de participer et la professeure ne critique personne. Cette professeure c'est Mme Guo. « ça fait 7 ans que je participe à ces activités, dit-elle. Je n'ai jamais pris de cours de danse mais j'ai toujours aimé danser. Pendant la Révolution culturelle, il y avait un mouvement de danses populaires auquel je participais, mais ensuite j'ai dû travailler et je n'ai plus eu de temps. Mais depuis que je suis à la retraite, je m'y suis remise ! » Il faut dire qu'avant la réforme et l'ouverture de la Chine initiée en 1979, il y avait peu de place pour les activités de loisirs. Le choix des chansons s'effectue en groupe, toutes les participantes peuvent proposer des chansons qui leur plaisent. Pour ce qui est de la chorégraphie, c'est différent : « On s'inspire des clips que l'on trouve sur internet, dit Mme Guo. Parfois on reproduit la même chorégraphie, mais parfois on change certaines choses. Il arrive aussi qu'on invente totalement une chorégraphie, à ce moment-là, je leur apprends les mouvements. »

Des retraitées très actives !

Les chansons s'enchaînent et l'enthousiasme des danseuses ne faiblit pas d'un iota. Une jeune fille non-entraînée serait essoufflée depuis longtemps. Chaque jour, le programme est constitué de 50 minutes de danse, puis de 40 minutes de « sport oxygénant », des mouvements de gymnastique pour améliorer la circulation sanguine et la santé du cœur. « Ce que l'on fait est bon pour le corps et l'esprit, nous dit avec enthousiasme Mme Guo. Il y a des femmes qui sont venues nous rejoindre et qui étaient grosses au début, mais grâce à ces séances elles perdent toutes du poids. C'est aussi bon pour le cœur, le cœur au sens propre mais aussi pour notre esprit. ça nous permet d'oublier nos soucis, de penser à autre chose pendant un moment. » La professeure nous laisse et va attacher à sa ceinture un petit haut-parleur et met un casque avec micro sur sa tête. Elle s'apprête à apprendre une nouvelle chorégraphie au groupe. Là encore, difficile de suivre si on n'a pas l'habitude ! « Quand vous entendez cette phrase, vous faites ça (jambe droite tendue sur un côté, bras sur la gauche) ! OK ? Puis quand vous entendez ça, on fait ça (pencher en avant, bras perpendiculaires au corps) ! » Les danseuses ont l'air d'assimiler ces pas très vite et semblent enthousiastes à l'idée d'ajouter une nouvelle chanson à leur « répertoire. »

Les chansons préférées de Sun Li sont les chansons des régions de Mongolie intérieure et du Xinjiang dont les rythmes sont influencés par l'Asie centrale, géographiquement proche. À part les musiques chinoises, elles incorporent aussi parfois des chansons indiennes, mais pas de chansons occidentales. Mais il y a d'autres groupes qui en diffusent ! Les groupes de « danses de couple » sont aussi très populaires, même s'il y a relativement peu d'hommes qui viennent danser avec leurs femmes. Il est donc très commun de voir deux femmes danser ensemble, assez souvent des tangos, mais l'essentiel est bien de passer un bon moment tout en faisant de l'exercice ! Les hommes préfèrent jouer aux cartes, au mahjong ou aux échecs chinois. Le mari de Sun Li préfère quant à lui rester à la maison et surfer sur internet. Ces danses en plein-air ne sont pas sans parfois poser quelques problèmes aux riverains. Mark est Anglais et habite dans un immeuble au pied duquel un groupe de ces danseuses a pris l'habitude de se retrouver tous les soirs. « C'est assez bruyant, dit-il. Parfois je veux me reposer et je ne peux pas dormir, même la fenêtre fermée… Mais bon, elle sont marrantes, très dynamiques, c'est pas les retraitées anglaises qui pourraient faire ça ! »

Le groupe de Sun Li organise parfois des spectacles (gratuits bien sûr) où ces femmes présentent leurs meilleures chorégraphies, revêtent des habits spéciaux et utilisent pléthore d'accessoires. Elle nous en montre d'ailleurs certains qu'elle a emmenés dans le panier de son vélo : de grands éventails et des mouchoirs rouges, au cas où une danse spéciale serait au programme du soir. J'eus la chance – c'était du pur hasard – d'assister à l'un de ces spectacles au mois d'août dernier, sur la place principale de la ville de Jimo, dans le Shandong. Il y avait là une cinquantaine de couples (dont plusieurs femmes dansant ensemble), habillées en tenues de soirée et qui dansaient des genres de valses, en se déplaçant avec grâce sur de larges portions de la place. Il y avait une centaine de spectateurs tout autour du groupe qui regardaient ces retraités avec amusement et tendresse. Parmi eux, beaucoup d'enfants qui, des étoiles dans les yeux, semblaient se dire : « Nos mamies sont fantastiques ! »

 

La Chine au présent

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