CHINAHOY

9-June-2014

Duanmu Mei : les échanges académiques entre la Chine et la France

 

Duanmu Mei lors d'un salon du livre sur les sciences sociales, organisé à Paris au mois de février 2010. (PHOTOS FOURNIES PAR DUANMU MEI)

 

LU RUCAI, membre de la rédaction

Duanmu Mei a repris le flambeau tenu par son père en consacrant sa vie à l'étude de l'histoire de France. Son œuvre, toujours en cours, a été justement reconnue par la France.

Duanmu Mei affiche l'image typique d'une intellectuelle, posée et modeste malgré de nombreux titres honorifiques, tels que présidente de la Société chinoise d'étude de l'histoire de France et chercheuse à l'Institut des recherches sur l'histoire du monde relevant de l'Académie des sciences sociales de Chine. Elle n'est pas très à l'aise face aux médias mais accepte toujours avec plaisir les interviews portant sur la Société chinoise d'étude de l'histoire de France car elle espère que l'établissement et le travail qu'il effectue soient connus par davantage de personnes.

En 2011, Duanmu Mei s'est vue décerner le grade d'Officier de l'Ordre National du Mérite par le président français. Cette distinction est destinée aux Français ou étrangers contribuant aux sciences dans divers domaines. Elle considère cela non seulement comme un honneur personnel, mais aussi comme une récompense aux efforts de ses collègues en matière de diffusion de la culture et de l'histoire de l'Hexagone.

Passé et présent

Avant la création de la Société en 1979, il y a eu quantité de précurseurs chinois spécialistes de l'histoire de France, dont Shen Lianzhi (1904-1992), docteur en humanisme à l'université de Lyon, qui est allé étudier en France en 1926 et qui faisait des recherches sur l'histoire de l'Occident, l'histoire de France et l'histoire de la culture française ; Wang Yangchong (1907-2008), docteur en lettres à l'université de Paris, qui est allé étudier en France en 1937 ; Zhang Zhilian (1918-2008), professeur à l'université de Beijing ; Qi Youlie (1913-1997), professeur à l'université normale de Harbin ; ainsi que Duanmu Zheng, le père de Duanmu Mei. Ces personnages remarquables ont fait partie des fondateurs de la Société chinoise d'études de l'histoire de France.

À la suite de sa fondation en 1979, 42 chercheurs venant de 20 établissements d'échelon national ont participé à la première conférence annuelle. De 1979 à 1999, les résultats des recherches réalisées par les adhérents de la Société ont dépassé les 10 millions de caractères. « Pour la commémoration du 200e anniversaire de la Révolution française, une dizaine de livres ont été publiés. De plus, la Société a organisé des colloques d'importance à ce sujet », nous relate Mme Duanmu.

Depuis sa prise de fonction comme présidente de la Société en 2003, Duanmu Mei a toujours respecté le principe du renforcement des échanges internationaux et de la promotion de la formation des jeunes. « Il y a aujourd'hui de nombreux établissements en Chine spécialisés dans les recherches sur l'histoire de France. Les jeunes ont l'occasion de continuer leurs études à l'étranger et d'avoir accès aux données les plus récentes et les plus directes. Je suis optimiste quant aux perspectives pour les recherches sur l'histoire de France », dit-elle.

Actuellement, le nombre des adhérents dépasse les 200 personnes. Elles viennent de différentes universités et établissements des quatre coins du pays. Afin de stimuler les recherches sur l'histoire de France et pour que les étudiants qui n'ont pas pu faire d'études à l'étranger puissent avoir accès aux derniers résultats de recherche, la Société a mis sur pied en 2004, avec la Maison des sciences de l'homme de Paris, l'université de Paris I, l'université normale de Chine de l'Est et l'université du Zhejiang, un séminaire de cinq jours sur l'histoire et la culture de la France et de l'Europe. En 2008, l'université de Fribourg (Suisse) y a participé. Aujourd'hui, dix éditions ont été organisées avec succès. Les principaux thèmes abordés durant le séminaire concernent la Révolution française, la politique et la vie sociale en France après la Seconde Guerre mondiale, les relations internationales, ainsi que la Chine et l'Europe dans l'histoire mondiale. La 11e édition du séminaire se tiendra au mois de septembre prochain, et le thème sera lié aux activités commémoratives dans l'histoire mondiale, dont les relations sino-françaises depuis l'établissement des relations diplomatiques il y 50 ans, le centenaire de la Première Guerre mondiale, et le bicentenaire de la création de la chaire de sinologie au Collège de France.

« Nous invitons des historiens émérites à donner des conférences aux participants du séminaire, dit Duanmu Mei. Bien que toutes les conférences soient gratuites, de plus en plus de professeurs français et suisses sont heureux d'accepter nos invitations. En 2004, lors de notre premier séminaire, il n'y avait que 4 professeurs invités. Mais l'année dernière, pour notre 10e édition, le nombre avait triplé. »

L'influence du père

La décision de Duanmu Mei de s'impliquer dans les recherches sur l'histoire de France résulte de l'influence de son père, Duanmu Zheng.

Diplômé de l'université de Wuhan, Duanmu Zheng a travaillé un temps comme enseignant adjoint à l'université Tsinghua. Il a obtenu une bourse du gouvernement français en 1946 et est allé étudier en France en 1948. Après avoir obtenu un doctorat en droit public international à l'université de Paris, il est revenu en Chine en 1951.

« Mon père a passé quatre années significatives en France. Malgré le manque de matériaux en France après la guerre, la bourse donnée aux étudiants étrangers était satisfaisante, raconte Duanmu Mei. Il a rapporté, en revenant en Chine, quantité de livres (dont certains sont toujours bien préservés) au sujet des lois. Les livres qui me firent la plus forte impression sont la collection complète des œuvres de Molière et un album sur le Louvre. Mon père a exercé une influence très forte sur moi et mes frères. Nous avons grandi en écoutant les histoires de Jeanne d'Arc et de Napoléon. »

Après ses études en France, Duanmu Zheng enseigna successivement à l'université Lingnan et à l'université Zhongshan, toutes deux à Guangzhou. Du fait qu'il n'y avait pas de faculté de droit, il donnait des cours d'histoire du monde. En 1980, l'université Zhongshan a créé une faculté de droit et celui-ci en fut désigné doyen. Plus tard, il occupa successivement les postes de membre de la Commission de rédaction des lois fondamentales de Hong Kong, vice-président de la Cour populaire suprême, et d'Arbitre de la Cour permanente d'arbitrage de La Haye. Il est de plus le rédacteur en chef du Dictionnaire de la Révolution française.

« Mon père connaissait l'anglais, le français et le russe. Après que les cours furent annulés à cause du mouvement politique dans les années 1950, il travaillait dans la salle de documentation, ayant tout loisirs d'avoir accès à la documentation sur les langues étrangères », dit Duanmu Mei. Influencée par son père, elle a choisi d'étudier le français à l'université. Après son diplôme, elle a décidé de faire des recherches sur la Commune de Paris et la Révolution française. Encouragée par son père, elle est allée étudier l'histoire de la Suisse à l'université de Fribourg en 1984. « Mon père m'a dit que dans un pays neutre, on peut regarder l'histoire du monde d'une façon différente, et que notre point de vue sera plus vaste », dit Duanmu Mei.

Évoquant la distinction d'Officier de l'Ordre National du Mérite qu'elle a reçue en 2011, Duanmu Mei exprime ses remerciements à son père : « Mon père s'est impliqué corps et l'âme pour l'amitié sino-française durant toute sa vie. Cette décoration est une récompense pour les efforts de mon père et moi. »

Recherches académiques

En 1994, l'Académie des sciences sociales de Chine a envoyé Duanmu Mei en France pour faire des recherches sur le mouvement Travail-Études dans les années 1920 qui consistait à étudier en France tout en travaillant à mi-temps. Six mois durant, elle a consulté une grande quantité de documents, et a interviewé des témoins de cette époque-là.

Après ce voyage, Duanmu Mei a commencé à se consacrer aux recherches sur les relations sino-françaises, en plus de l'histoire moderne de la France et de l'histoire de la Suisse. « L'histoire de la France est tellement riche ! Pour les premiers intellectuels chinois, la France a été une source très importante d'inspiration en matière de culture, de sciences et technologies occidentales mais aussi en ce qui concerne l'esprit révolutionnaire », indique-t-elle.

À l'occasion du 50e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France, les Chinois qui partirent étudier en France en 1964 et 1965 ont publié un livre baptisé Souvenirs dorés, dans lequel ils racontent leur séjour en France. Duanmu Mei a écrit la préface de cette publication.

En 2012, à l'invitation du conservateur du musée Guimet, Jean-Paul Desroches, elle a participé à la préparation d'une exposition nommée « Cent ans de Dialogue entre la Chine et la France » : 1912-2012, qui présente l'histoire de l'université franco-chinoise de Beijing et de l'Institut franco-chinois de Lyon, en plus de raconter les histoires de nombreux artistes chinois qui se sont épanouis en France.

En ce qui concerne les projets futurs, Duanmu Mei dit : « Je vais continuer mes recherches sur les Chinois ayant étudié en France au 20e siècle. J'espère que la Société chinoise d'étude de l'histoire de la France pourra organiser plus de séminaires pour stimuler les recherches sur l'histoire des relations sino-françaises. Il s'agit d'un projet à long terme pour les échanges académiques entre la Chine et la France, et je continuerai à y consacrer mes forces. »

 

La Chine au présent

Liens