CHINAHOY

1-July-2014

Albert, rue Tien Tsin

 

Plaque de la rue Tien Tsin à Albert. (PHOTOS FOURNIES PAR LA MAIRIE D'ALBERT)

 

SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de la rédaction

En 2014, toujours aucune rue de France n'est nommée d'après le nom d'une ville chinoise. Aucune ? Non ! Car une rue dans la ville d'Albert en Picardie, capitale du Coquelicot, y est nommée d'après sa marraine chinoise : la rue Tien Tsin ou Tianjin.

Albert est une commune française de Picardie. Située dans le département de la Somme, c'est la troisième ville du département par la population et aussi le siège de la Communauté de communes du pays du Coquelicot. Une description qui ne laisse présager en rien sa relation à la Chine, et pourtant ! Située sur la route des Invasions, la ville connut au cours de son histoire sept destructions complètes avant 1914. Toujours pas de Chinois en vue. Et à chaque fois, ses habitants – des acharnés – courageusement, la rebâtirent ! La dernière reconstruction eut lieu grâce à l'aide notamment de la ville de Tianjin, située à une centaine de kilomètres au sud-est de Beijing. Anciennement Tien Tsin, on y trouvait avant 1945 une concession française.

Coquelicot, bicyclettes, on y croit dur comme fer !

Dans l'avant-guerre, les entreprises albertines étaient spécialisées dans la production de bicyclettes, d'automobiles et de machines-outils. Plus de 2 000 ouvriers travaillaient dans la ville avant 1914. En 1874, la ville avait même pris pour devise « vis mea ferum » (le fer est ma force). Puis, de 1960 à aujourd'hui, l'économie albertine reposa essentiellement sur l'aéronautique à l'instar de sa ville marraine chinoise, Tianjin, où est implanté Airbus. La commune voisine de Méaulte abrite un site d'activités aéronautiques EADS du groupe Aerolia, sous-traitant d'Airbus Industries, anciennement site Airbus jusqu'au 5 janvier 2009.

La Guerre 14-18

Par un beau matin de 1914, après la victoire de la Marne, l'armée de l'empire allemand entre dans Albert. La ville est reprise le 13 septembre par les Alliés, mais le front se stabilise à 3 km d'Albert.

La ville est alors sur la trajectoire des tirs français et allemands. Commencent les bombardements, qui durent d'octobre 1914 à la fin 1915. Le centre-ville, les usines, la gare, le dôme de la basilique : tout est sauvagement détruit.

Puis en mars 1918, la ville retombe aux mains des envahisseurs pendant la bataille du Kaiser et est occupée par les troupes allemandes. Dès avril, les bombardements reprennent, cette fois-ci par les Anglais, qui pilonnent les troupes allemandes.

Le 23 août, au jour de la libération, il ne reste d'Albert que des ruines et cette image pathétique mondialement connue de la Vierge dorée de la basilique d'Albert. En effet, en 1915, un projectile allemand percute le dôme soutenant la statue et la fait se pencher au-dessus de la place d'Armes pendant toute la durée des hostilités. Reproduite sur carte postale en de nombreux exemplaires, l'image de la « Vierge penchée » d'Albert est envoyée à travers le monde par des milliers de soldats à leur famille. Elle témoignait ainsi de la violence et de l'horreur de la guerre.

Et on reconstruit encore, et toujours !

Toujours à cause des envahisseurs germaniques, pour la huitième fois de son histoire, Albert est donc réduite en poussière. De 1920 à 1930, pierre par pierre, Albert reprend vie. C'est le maire, Émile Leturcq (1870-1930), pharmacien de la ville, qui mit en œuvre sa reconstruction. On peut voir son buste en bronze devant l'hôtel de ville. Des bâtiments emblématiques, tels que la gare et l'hôtel de ville, ont été reconstruits dans un style Art déco ; un parc bucolique a été aménagé. La ville a finalement retrouvé son charme et son calme.

Dans la ville de Tianjin, en Chine, les gens de la concession française se sont mobilisés. L'un d'entre eux est visiblement albertin ou tout du moins lié à la ville. Le 4 novembre 1918, à l'initiative de différents secteurs sociaux de Tianjin, une association s'est fixé pour objectif de collecter, à travers diverses campagnes, des dons destinés à soutenir la reconstruction des pays européens. Ont ainsi été organisées des fêtes, souscriptions publiques et tombolas pour la ville. Les fonds auraient atteint plus de 200 000 francs. Des journaux influents de l'époque, tels que le Yishibao, couvrirent la campagne et lancèrent des appels aux dons. Les étudiants de l'université de Nankai offrirent des représentations théâtrales pour soutenir. Environ 20 000 personnes auraient participé à cet élan de solidarité. Il est permis de penser que des riches chinois installés à Tianjin à l'époque auraient aussi fait partie des donateurs.

Afin de témoigner sa reconnaissance envers Tianjin qui fait partie des trois villes donatrices ayant permis sa reconstruction, la commune d'Albert a baptisé une de ses rues « rue Tien Tsin » et y a dressé une stèle pour commérorer le parrainage en 1920. Par ailleurs, la mairie de la ville affiche encore des marques du souvenir de la ville chinoise, avec par exemple un tableau réalisé à la demande du maire d'Albert et placé dans son bureau. De plus, l'une des salles de la mairie a été nommée « salle Tien Tsin » en hommage à la contribution généreuse de sa marraine.

L'accent chinois d'Albert

C'est ainsi qu'Albert est devenue à ce jour l'unique ville française à posséder une rue nommée d'après une ville chinoise, et qu'elle résiste encore et toujours à l'envahisseur. Toujours ? Non ! Car Albert a été prise d'assaut par les Chinois : deux directeurs chinois du Bureau de la communication de la municipalité de Tianjin. Pas un raz-de-marée non plus... Ceux-ci sont passés faire un tour dans la cité du Coquelicot à l'occasion d'une exposition intitulée « La France et la ville de Tianjin », qui présentait les liens entre Tianjin et la France. Bien que l'exposition se soit tenue à Paris, les Chinois ont quand même fait l'effort de passer voir Albert et sa fameuse rue Tien Tsin.

Lors d'une réception officielle à la mairie, le maire albertin Stéphane Demilly a indiqué que le passage de la délégation chinoise était l'occasion de rappeler les liens entre Albert et la Chine, qui a aidé financièrement la ville lors de la reconstruction de la maternité dans les années 1920.

Le directeur du Bureau de la communication, rencontré à Tianjin lors du reportage, nous a confié avoir ressenti de la fierté et de la joie de pouvoir visiter cette petite ville française. Il a été ému que les habitants de la rue Tien Tsin soient venus assister à la cérémonie. L'histoire a donc uni ces deux villes, dans des circonstances assez particulières, puisqu'à l'époque Tianjin était un port ouvert abritant huit concessions étrangères, dont celle française.

L'histoire les relie comme elle les oppose aujour-d'hui. Avec ses 14 millions d'habitants et son PIB de 1,2 milliard de RMB pour une seule ville, Tianjin en impose face à Albert. Enfin, on peut être sûr que si Albert est encore détruite, la reconstruction se fera sans problèmes ! Évidemment, on ne le souhaite pas !

La délégation chinoise est repartie le lendemain de son arrivée, en promettant de revenir. Peut-être pour le centenaire de la Grande Guerre, comme le souhaite le maire albertin qui a officiellement invité la municipalité de Tianjin à participer aux commémorations.

 

La Chine au présent

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