CHINAHOY

26-November-2014

Yue Minjun : au cœur de la culture chinoise

 

Yue Minjun.

 

JON BURRIS*

« Les artistes se trouvent toujours dans un état de confusion. Ma série sur L'Homme qui rit m'a fait découvrir le mouvement à travers le temps et m'a permis de faire l'expérience de beaucoup de choses. C'était ma réponse à ces 20 dernières années, aux contradictions et à l'absurdité de ma vie. Dans mes nouveaux travaux, je me plonge toujours plus loin dans mon histoire. »

Il n'y a d'autre œuvre que L' Homme qui rit de Yue Minjun pour mieux représenter l'art contemporain chinois dans son iconographie, et il n'y a d'autre artiste que Yue Mingjun pour représenter ce qu'est l'artiste contemporain chinois dans sa quintessence. Parmi ses chefs-d'œuvre, bien sûr son autoportrait, dans lequel il a utilisé son alter ego pour commenter non seulement sa vie quotidienne, mais aussi le surréalisme de la culture chinoise qui s'est développée au cours des deux dernières décennies.

L'Homme qui rit de Yue Minjun lui a conféré son identité au sein de l'art contemporain chinois. Ses œuvres, qu'elles soient peintures, gravures ou sculptures, sont la coqueluche des collectionneurs et se tiennent parmi les plus vendues de par le monde avec celles de Wu Guanzhong. Depuis que Yue Minjun a commencé à exposer en 1994 et jusqu'à aujourd'hui, il a été classé comme l'un des dix artistes internationaux les plus vendus au monde. Depuis 1997, trois de ses peintures ont été vendues aux enchères pour un prix supérieur à 4 millions de dollars. Performance assez extraordinaire pour un artiste, que celui-ci soit vivant ou mort.

Yue Minjun sera indubitablement lié pour toujours à l'icône qu'il a créée, et peut-être moins judicieusement avec le mouvement dit du « réalisme cynique ». Mais il n'arrête pas pour autant de produire d'autres œuvres différentes de L'Homme qui rit. Par exemple, sa série intitulée Scènes, dans laquelle il reproduit minutieusement les peintures historiques, européennes et asiatiques, et en retire les personnages ou éléments principaux pour les reproduire dans ses œuvres. Il travaille également sur une série s'inspirant du labyrinthe se référençant à la culture chinoise et qui symboliserait la « pensée intérieure » historique et culturelle chinoise.

En racontant les nouvelles orientations de sa création, il décrit : « Les artistes se trouvent toujours dans un état de confusion. Ma série sur L'Homme qui rit m'a fait découvrir le mouvement à travers le temps et m'a permis de faire l'expérience de beaucoup de choses. C'était ma réponse à ces 20 dernières années, aux contradictions et à l'absurdité de ma vie. Dans mes nouveaux travaux, je me plonge toujours plus loin dans mon histoire. »

Ma première rencontre avec Yue Minjun date de 2000. À l'époque, il vivait et travaillait dans une petite chambre chez un paysan du village Songzhuang, dans la banlieue est de Beijing, qui est par la suite devenu un village d'artistes. Son studio et le quartier entier n'avaient pas l'électricité ni l'eau courante. Il devait puiser l'eau dans sa cour. C'était précisément là que Yue Minjun m'avait présenté ses peintures de L'Homme qui rit.

« J'ai décidé dès le début que je devais travailler sur un sujet clair et dans un style défini. Mes figures d'hommes qui rient sont faciles à accepter par le public chinois. En Chine, on apprend aux gens à rire face aux difficultés. Ils savent que parfois, il n'y a que le rire qui soit utile. Donc j'ai créé cette figure qui rit toujours face à la vie. »

La série L'Homme qui rit de Yue Minjun a été hautement appréciée par le public international. Comme la plupart de ses œuvres avaient trait à des problèmes politiques sensibles, celles-ci n'ont pas été exposées en Chine il y a 5 ans. Les peintures de Yue Minjun ont été vendues régulièrement aux enchères en Chine et à l'étranger, et lui ont permis d'atteindre un degré de célébrité que seulement une dizaine d'artistes contemporains chinois avait acquis jusqu'à présent.

Yue Minjun travaille aujourd'hui dans un studio bien différent de celui dans lequel je l'avais rencontré à Songzhuang. Sa maison et l'atelier occupent un grand espace, moderne et très minimaliste. Sur les murs de son studio de deux étages sont entreposées des peintures à des stades d'achèvement différents. (J'en avais pris certaines en photo lors de mes précédentes visites pour les voir reproduites dans des catalogues d'exposition deux mois plus tard). Les environs de la maison de Yue Minjun sont très bien agencés et agrémentés de plusieurs sculptures énormes en cuivre de L'Homme qui rit dans différentes positions. Ces dernières années, je me suis habitué à voir ces sculptures. La plupart sont énormes, en cuivre, en bronze ou en résine ; certaines sont parfois peintes.

Mon installation préférée de Yue Minjun est ces neuf figures en acier inoxydable qui font 12 pieds de haut, installées devant le Today Art Museum à Beijing. Il semble que ces neuf hommes riant et applaudissant sortent d'une toile de peinture pour entrer dans la réalité. Des visiteurs bruyants se prennent en photo devant ces sculptures et me rappellent comment ce sujet est venu. Les sculptures peuvent certes élargir l'humour de la caricature à des proportions plus grandes que celles humaines, mais je reste persuadé que la peinture a toujours plus de force.

Pendant l'interview, je lui pose une nouvelle question sur son « homme qui rit », pour savoir si ce sujet l'empêche de créer quelque chose de nouveau. « J'ai toujours de nouvelles idées. Pour l'instant, j'utilise seulement ce thème pour m'identifier. Mais je crois que la plupart des gens achètent mes peintures seulement à cause de leur valeur financière. Ils n'ont pas bien compris tous les messages que j'ai dissimulés dans la peinture. Au lieu de montrer juste la valeur superficielle, je voudrais présenter le cœur de la culture chinoise dans sa complexité. C'est pour cela que j'ai utilisé des symboles culturels dans mes nouvelles peintures de labyrinthe. » Quand on lui demande si dire qu'il est un des fondateurs du mouvement du réalisme cynique est réducteur selon lui, il répond : « Je ne vois pas pourquoi dire cela. Il n'y a rien de cynique dans mon travail, et je pense que mes peintures sont plutôt surréalistes que réalistes. L'art contemporain est encore considéré comme un outsider du système artistique chinois, donc on lui colle souvent des étiquettes pour le décrire. Je crois que cette situation est en train de changer, mais il faudra du temps pour que la pensée traditionnelle chinoise et le public chinois puissent interpréter l'art contemporain d'une nouvelle façon. Après tout, nous avons toujours été confucianistes dans notre façon de penser. »

 

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