CHINAHOY

29-September-2014

Wang Jianwei, l’inclassable

 

Wang Jianwei.

 

« Les gens savent qu'entre les années 1950 et le début des années 1980, artistiquement parlant, la Chine était coupée du reste du monde. Mais en fait, nous étions aussi coupés de notre propre pays. »

JON BURRIS*

En me tenant au milieu de l'atelier principal de Wang Jianwei, une vaste pièce de plus de 500 m² avec un plafond à arcades qui culmine à une hauteur équivalente à plus de deux étages, j'ai l'impression de me trouver dans un décor de film de science-fiction.

Je suis entouré par plusieurs objets moulés – de grands objets – en plastique blanc. Certains sont amorphes avec de gros tuyaux et des équipements mécaniques ; d'autres en forme de capsules contenant des êtres ressemblant à des humains vêtus de combinaisons spatiales. Alignées contre un mur se trouvent quatre grandes silhouettes, enveloppées de film plastique, telles des momies. Et puis il y a des extraterrestres, monotones, leurs membres courbés dans de graves postures. Sur un autre mur sont épinglées des photos agencées comme sur un story-board. Tout cela fait partie des installations que Jianwei a créées pour accompagner ses vidéos, dont certaines ont très clairement été tournées ici.

S'il n'y avait pas tous ces éléments hétéroclites inhérents aux installations de Jianwei, comme Symptom ou Hostage, il pourrait tout simplement être considéré comme l'un des « artistes vidéo » les plus importants de Chine. Mais au lieu de cela, il défie les classifications.

« J'utilise différents médiums dans mes travaux, puis je les mélange entre eux. Je me sers de films et de vidéos, de théâtre, de peinture et de sculpture. Je ne suis pas intéressé par l'art monoforme. J'ai longtemps étudié la peinture mais j'ai fini par comprendre que l'art n'était pas seulement peindre. »

Vu la peine que se sont donné beaucoup d'artistes chinois de sa génération pour trouver leur propre identité ces 20 dernières années, Jianwei fait figure d'exception en ce sens qu'il cherche toujours à définir l'art contemporain chinois en général. Pour ce faire, il a littéralement inventé de nouveaux systèmes et de nouvelles approches qui intègrent non seulement les nouveaux médiums, mais aussi de nombreuses disciplines comme la sociologie et l'anthropologie.

Quittant l'atelier de Jianwei, nous allons dans une petite pièce faisant office de remise, où il me montre plusieurs meubles anciens que j'identifie tout d'abord comme du mobilier américain datant de l'époque industrielle des années 1950. Il me dit que c'est en fait une collection de « meubles socialistes » chinois des années 1950 et 1960, qu'il assemble depuis un moment déjà. J'apprends plus tard qu'ils ont été utilisés dans une des installations de Jianwei, appelée Distance, inspirée par le Monument à la Troisième-Internationale, une tour géante de style constructiviste conceptualisée par l'artiste avant-gardiste russe Vladimir Tatline en 1917, mais qui ne fut jamais érigée.

Je suis impressionné par la grande connaissance de Jianwei au sujet de l'art international et par la place particulière qu'il occupe parmi les artistes chinois. Il fut le premier d'entre eux à être invité à exposer à la documenta de Cassel. Il a également exposé aux Biennales de Venise et de São Paulo, et a reçu en 2008 une subvention de la prestigieuse Foundation for Contemporary Arts.

À la fin de l'année 2009, alors que nous étions assis autour d'un thé dans une petite cuisine à l'extérieur de son atelier, j'ai demandé à Jianwei ce qui, pour lui, était le plus gros problème pour définir l'art contemporain chinois d'aujourd'hui. « Tout est une question d'époque. Les gens savent qu'entre les années 1950 et le début des années 1980, artistiquement parlant, la Chine était coupée du reste du monde. Mais en fait, nous étions aussi coupés de notre propre pays. Aussi tard qu'en 1983, non seulement nous n'avions pas d'informations à propos de l'art qui se faisait à l'étranger, mais obtenir des renseignements sur ce que faisaient les artistes chinois était également difficile. C'était un moment rude pour nous, mais c'était aussi très intéressant, car cela nous a poussés à nous poser plein de questions et à beaucoup expérimenter. Lorsque plus de livres sont devenus accessibles, j'ai été surpris d'apprendre certaines choses sur ma propre culture ! Nous avions ainsi une façon unique d'appréhender toute forme d'art à cette époque. Mais ces quatre ou cinq dernières années, j'ai entendu que les critiques parlaient de la problématique de « l'art chinois », comme si ce dernier était toujours très différent. On ne les entend pas parler des « autres arts » de la même façon, « l'art allemand » par exemple. Je trouve cela inutile et dérangeant. Pourquoi devrions-nous être différents du reste du monde à ce moment de notre histoire ? »

 

*Jon Burris est photographe et auteur de renom. Il a écrit sept livres à propos de la photographie et de l'art contemporain. Ses propres photographies font partie de collections privées et institutionnelles dans le monde entier.

 

La Chine au présent

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