CHINAHOY

8-January-2016

Souvenirs de la vieille gare de Fangzi

 

La vieille gare de Fangzi.

 

ZHOU LIN, membre de la rédaction

À un peu plus de 500 kilomètres au sud de Beijing se trouve la province du Shandong. Sur les terres de cette région court un chemin de fer centenaire : la ligne de Jiaoji qui va de Jinan à Qingdao. La gare de Fangzi est une des gares les mieux conservées sur cette ligne centenaire. Elle a aujourd'hui 112 ans.

Sur un espace qui n'atteint même pas 8 km², on trouve pas moins de 103 bâtiments allemands et 69 édifices japonais. Mais le temps a fait son œuvre et la plupart de ces vieilles bâtisses sont aujourd'hui bien décrépies. Seuls les trains de marchandises passent encore par ici. La vieille gare, le poste de télégraphe, la maison du gardien et le silo à charbon attendent calmement que quelqu'un passe pour lui raconter leurs histoires centenaires.

Fangzi, Fangzi ! Cent ans d'arrêt !

En 1928, Xu Shirong naît à Fangzi dans une vieille maison en torchis située à côté de la gare. Pas très loin, c'est la place de la gare. À gauche de celle-ci, un hôtel ; à droite, le poste de télégraphe, en face la gare peinte en jaune avec sur sa façade trois caractères écrits en noir, Gare de Fangzi.

« Ici, ça s'appelait la rue des Jasmins avant. Parce qu'il y avait beaucoup d'acacias dans le quartier et quand les fleurs étaient écloses, ça sentait très bon. Les gens disaient que ça sentait comme le jasmin, d'où le nom de la rue », raconte Xu Shirong, 88 ans et toutes ses dents. C'est un fin connaisseur de la vieille gare de Fangzi.

Le père de celui-ci, Xu Baoshan, né en 1874, était originaire de Jiaozhou, le pays natal de leurs ancêtres. En 1906, il est venu travailler comme poseur de rails à Fangzi et est devenu mécanicien au dépôt par la suite. Celui-ci est situé juste en face de la gare. Quand celle-ci venait d'être construite, elle s'appelait Gare de Zhanglu- yuan. Ce n'est qu'en 1915 qu'elle a été rebaptisée Gare de Fangzi. En plus de la gare, les Allemands ont aussi construit un bâtiment des télégraphes, un atelier de réparation des locomotives, un hall de marchandises, un dépôt, bref, tout ce qu'il fallait pour qu'une gare soit complète.

D'après ce que son père a raconté à Xu Shirong, les Allemands avaient construit la gare pour transporter le charbon extrait de la mine de Fangzi vers Qingdao afin de fournir le combustible nécessaire aux chaudières des navires de guerre allemands stationnés dans le port de Qingdao. Pendant l'occupation de Fangzi par les Allemands, plus de 29 millions de tonnes de charbon ont ainsi été transportées au port de Qingdao.

Aujourd'hui, pas loin de la gare, un musée sur les mines de Fangzi a ouvert. Zou Yuxian, le conservateur du musée, nous explique qu'en 1877, Ferdinand von Richthofen, géographe et géologue allemand, avait rendu un rapport intitulé Géographie et ressources minières du Shandong au gouvernement de l'empire allemand dans lequel il disait que l'ouest de la péninsule du Jiaodong était très riche en charbon et en fer.

En 1904, la ligne de chemin de fer Jinan-Qingdao est achevée et mise en service, le charbon de Fangzi s'écoule sans s'arrêter vers Qingdao et depuis son port vers l'étranger.

Quand le père de Xu Shirong s'est installé à Fangzi, l'endroit était encore en pleine campagne. Mis à part des champs autour de la gare, il y avait deux villages un peu plus loin et un bois. Le chemin passant devant la gare longeait ce bois, et avait été appelé la Route de la Forêt. L'installation de la gare et la mine attiraient beaucoup de travailleurs et de petites cahutes au toit de chaume avaient été construites autour de la gare, la place était peuplée de voyageurs venant de tout le pays. Plein de petites échoppes avaient ouvert aux alentours. British American Tobacco et Nanyang Brothers Tobacco produisaient des cigarettes à Fangzi qui était devenue un des centres commerciaux les plus animés de la ligne Jinan-Qingdao. La Route de la Forêt est très vite devenue la Rue n°1 puis il y en eut une deuxième puis une troisième jusqu'à la Rue n°6.

« La gare de Fangzi était reliée aux quatre points cardinaux : au sud vers Anqiu et Zhucheng, au nord vers Lüyi, à l'est vers Gaomi et à l'ouest vers Zhangdian. Les marchandises transitaient par la gare de Fangzi. Les flux de marchandises étaient très importants et il y avait beaucoup d'animation », se souvient Xu Shirong.

Pendant la Première Guerre mondiale, les Allemands s'affrontent aux Japonais à Qingdao et ces derniers sortent vainqueurs des combats. Le Japon récupère alors les droits d'administration sur le Shandong. En 1923, la Chine récupère Fangzi. Mais après 1937 et l'invasion japonaise, la ligne entière de Jinan-Qingdao est réquisitionnée par les Japonais et ce, jusqu'à la capitulation du Japon en 1945. Quand Xu Shirong était jeune, l'administration du chemin de fer était donc japonaise.

 

Xu Shirong, 88 ans et toutes ses dents.

 

Conducteur de locomotive, la belle vie !

En 1942, Xu Shirong a 14 ans et travaille comme cheminot sur la ligne. Il avait auparavant travaillé comme homme à tout faire pour le directeur du dépôt. Il s'occupait de faire le ménage, du bricolage. Il a aussi été réparateur de locomotives.

À la différence de son père, le rêve de Xu Shirong était de travailler au dépôt, parce que pour les cheminots de l'ancienne génération, la chose la plus glorieuse était d'être conducteur de locomotive à vapeur. À l'époque on disait de ceux-ci qu'ils étaient comme des rois sur leur trône.

En 1949, Xu Shirong a vu son vœu se réaliser : il est devenu conducteur de train.

Quand il parle des différents modèles de locomotives sur lesquelles il a travaillé, Xu Shirong a les yeux qui pétillent : « À l'époque, les locomotives en service sur la ligne Jiaoji étaient toutes des machines étrangères. Il y avait des allemandes, des anglaises, des hongroises, des tchèques, des américaines. Quand je suis arrivé ici, c'était les Japonais qui contrôlaient la région, donc je me souviens particulièrement bien des machines japonaises », nous confie-il.

D'après les souvenirs de Xu Shirong, du début du siècle à 1960, sur la ligne Jiaoji ne circulaient que des locomotives étrangères. Les modèles de locomotives étant nombreux et parfois obsolètes, les pièces de rechange n'étaient pas faciles à trouver et le travail des mécaniciens était très fatigant. Le transport n'était pas très efficace et les pannes nombreuses.

En 1952, l'usine de locomotives Sifang (qui existe toujours aujourd'hui sous le nom de CSRSF) conçoit le tout premier modèle 100 % chinois de locomotive, la Jiefang. C'était le tout début de la fabrication des locomotives en Chine.

En septembre 1956, l'usine de locomotives de Dalian conçoit le premier modèle chinois de locomotive à haute puissance pour train de fret, la Qianjin. Les normes techniques atteignent le meilleur niveau de l'époque pour les locomotives à vapeur. En 1964, l'usine de Datong transforme la Qianjin et l'améliore pour faire atteindre 2 MW de puissance à la turbine, et allonge la locomotive à 29 m. Dans les années 1980, le dépôt de locomotives de Datong possédait le plus grand nombre de locomotives à vapeur Qianjin, jusqu'à 200.

À partir de 1958, Xu Shirong, plutôt habitué à travailler sur des machines étrangères, a commencé à voir apparaître des machines chinoises produites au Shanxi : la Jiefang, la Jianshe, la Qianjin pour le transport de marchandises et la Renmin pour le transport de passagers.

Comme son père, Xu Shirong passait quotidiennement par la gare de Fangzi pour aller travailler au dépôt et rentrer chez lui le soir. Le bâtiment jaune de la gare, les voies ferrées, le quai en brique rouge font partie de sa vie.

 

Le musée des mines de charbon de Fangzi.

 

Quatre générations sur une même voie

En juillet 1977, Xu Zhonglin, le deuxième fils de Xu Shirong, rentre de son service militaire et prend la relève de son père au dépôt. Il devient cheminot. Xu Shirong prend sa retraite. Mais sa passion pour le train, les locomotives et la gare de Fangzi ne l'a jamais quitté.

Xu Shirong a vécu l'histoire du rail chinois : de la traction à vapeur aux motrices diesel jusqu'aux motrices électriques. Il s'en rappelle comme hier : « Dans les années 1980, les locomotives à vapeur ont été progressivement abandonnées. De 85 à 96 c'était surtout des locomotives diesel Dongfeng qui roulaient », nous explique-t-il.

Le rail chinois a connu plusieurs « accélérations » et sur la ligne Jiaoji, cela fait déjà un bout de temps que des trains électriques passent.

En 2007, après la mise en service de la nouvelle ligne de transport passager Qingdao-Jinan, la ligne voit enfin passer des trains en direction de Beijing et de Shanghai. Elle connaît une nouvelle vie. Pour Xu Shirong et d'autres anciens cheminots, c'est la réalisation d'un rêve.

Il nous explique qu'en juillet 1984, après l'installation d'une nouvelle voie double, la gare de Fangzi est devenue une gare subsidiaire. Les trains de passagers ne passaient plus par Fangzi et les trains de marchandises se sont faits rares. Le dépôt, l'atelier, les locomotives, le transformateur, la citerne sont laissés à l'abandon. Ne restaient plus que la gare de marchandises et le service de sécurité de la gare. Le fils de Xu Shirong a été muté comme contrôleur à la gare de Weifang. Son petit-fils, Xu Xiaokun, travaille comme aiguilleur dans la même gare que son père.

Aujourd'hui, Xu Shirong est à la retraite et touche 7 000 yuans de pension mensuelle. Mais il a choisi de rester habiter dans sa vieille maison à côté de la gare de Fangzi. C'est une maison en brique, avec une grande porte verte sur laquelle sont collés deux grands caractères du bonheur. Dans son salon, il a accroché des peintures et des calligraphies et une photo de lui avec son fils et son petit-fils.

Assis tranquillement sous l'arbre de sa cour, Xu Shirong aime à se souvenir du bon vieux temps. 100 ans ont déjà passé depuis que son père s'est installé dans la rue des Jasmins en 1906 pour travailler à la gare de Fangzi. Le grand-père, le père, le fils et le petit-fils, quatre générations de cheminots qui ont vécu l'histoire de cette vieille gare et du chemin de fer chinois.

 

 

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