CHINAHOY

30-October-2015

Pas touche à ma fille !

 

Une bénévole de l'Organisation de la protection des filles donne un cours sur la prévention des agressions sexuelles dans une école primaire.

Après la révélation de plusieurs affaires d'abus sexuels sur des jeunes filles mineures, l'opinion publique chinoise s'est indignée et une organisation formée par des femmes journalistes a décidé de s'engager dans la lutte contre ce fléau.

GONG HAN, membre de la rédaction

En janvier dernier, le prix spécial du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) a été remis au logo de l'Organisation de la protection des filles à l'occasion de la 3e édition du Prix chinois de l'innovation sociale.

C'est en mai 2013, après que l'affaire d'attouchements sexuels sur des mineures par un directeur d'école primaire de Wanning à Hainan a été exposée dans les médias que l'opinion publique a commencé à s'intéresser au problème. Suite à cette affaire, du 8 au 27 mai 2013, en l'espace d'une vingtaine de jours, huit cas similaires ont été révélés dans les médias chinois.

Face à ces scandales, des femmes journalistes dont Sun Xuemei, présidente de l'organisation, ont décidé de se mobiliser. L'Organisation de la protection des jeunes filles a ainsi vu le jour le ler juin de la même année. Plus de cent femmes journalistes y ont pris part. L'Organisation s'est donnée pour but de généraliser et renforcer la sensibilisation et la prévention chez les enfants. Cela, pour les protéger des agressions sexuelles.

Depuis deux ans, les volontaires ont ainsi formé près de 70 000 fillettes dans 23 provinces. À travers la coopération avec les associations de femmes, les rectorats et parquets locaux, cette sensibilisation a touché plus de 300 000 personnes.

La nécessité de formations vraiment professionnelles

« Récemment, les médias ont publié beaucoup d'affaires similaires, mais en fait, ce phénomène a toujours existé », nous explique An Xinzhu, membre de l'Organisation.

Malheureusement, en Chine, l'éducation sexuelle reste un sujet délicat dans les écoles. En plus du tabou culturel, nombreux sont les directeurs d'établissement qui, préoccupés par les résultats de leur école, ne voient pas l'importance des cours d'éducation sexuelle. Pire, il n'existe pas de manuel spécialisé, et les professeurs ne savent pas non plus jusqu'où ils peuvent aller dans leur présentation.

Sun Xuemei, responsable de l'Organisation, estime que dans beaucoup de villes, les rectorats ainsi que les professeurs ont depuis longtemps conscience de la nécessité de renforcer la formation à la prévention des agressions sexuelles. L'absence de formation dans ce domaine vient surtout du fait qu'il n'y a pas de programme d'enseignement qui fasse autorité dans ce domaine.

La plupart des membres de l'Organisation sont des journalistes nées après 1985. Elles ont décidé de rédiger elles-mêmes un programme de cours de self-défense. Elles ont fait un brouillon en s'inspirant de théories venant de Chine et de l'étranger. Puis une vingtaine d'experts en pédagogie, pédagogie sexuelle pour les enfants, psychologie et en droit l'ont revu. Après six mois d'essai, l'édition définitive du Plan de cours pour la prévention des agressions sexuelles sur les enfants (édition pour écoles primaires) a vu le jour.

Ce manuel a été publié en intégralité sur Internet. Il se veut clair et pratique et comprend quatre parties : connaître son corps, prévenir et détecter un abus sexuel, comment réagir en cas d'agression sexuelle et que faire après avoir subi une agression sexuelle.

L'Organisation fournit le plan de cours et est chargée de former les conférenciers locaux. Elle préconise également de donner le cours dans une même salle de classe aux garçons et aux filles dans les écoles primaires.

« Notre corps comprend les endroits que l'on peut voir, mais aussi des endroits intimes, tels que les seins ou les fesses qui sont cachés volontairement par des habits. Ces endroits sont appelés les parties intimes. » C'est de cette façon que les volontaires expliquent aux enfants comment connaître leur corps et leur intimité, sujet d'habitude tabou pour les Chinois dans la vie quotidienne.

Les enfants doivent expliquer au tableau par groupe de deux garçons ou deux filles comment réagir quand quelqu'un touche leurs parties intimes. Ils apprennent aussi comment réagir à une proposition insistante d'un inconnu ou d'une connaissance, comment se comporter si l'on se retrouve seul avec, et comment réagir à une agression sexuelle sans mettre sa vie en danger.

Le sexe est un sujet dont les Chinois n'aiment pas parler, en particulier en présence d'enfants mineurs. C'est pourquoi beaucoup d'écoles et de parents sont très circonspects sur la teneur de ces cours.

Une fois, se souvient Sun Xuemei, lorsqu'un conférencier est allé dans une école de la banlieue de Beijing pour proposer de donner un cours, le directeur a tout de suite demandé : « Vous n'allez pas dire des choses inconvenantes à nos enfants, n'est-ce pas ? Vous êtes d'une organisation non gouvernementale mais êtes-vous professionnel ? » Après un cours pilote, le directeur de l'école était rassuré.

Pour éviter tout débordement ou de traumatiser les enfants, l'Organisation exige que les volontaires donnent la formation en suivant à la lettre le plan de cours. Il est strictement interdit d'en modifier le contenu.

Des lacunes dans l'éducation sexuelle dans les campagnes

Les enfants dont les parents sont partis travailler dans les villes sont les victimes les plus fréquentes des agressions sexuelles.

En été 2015, Yue Xin, étudiante en deuxième année de licence à l'Université de Beijing est allée faire du bénévolat à l'école de Yilihe, à Huize, au Yunnan. Elle a demandé à enseigner le cours de sciences de la Vie aux filles. Concombre et préservatif en main, munie d'un graphique décrivant ses propres périodes de menstruation, elle a expliqué à ses jeunes pupilles le fonctionnement des règles, pourquoi on peut avoir des retards et les complications qui peuvent avoir lieu.

Elle a aussi effectué un sondage auprès des élèves. L'enquête a montré que la totalité des filles de 2e année du collège et 90 % des filles de la 1ère année avaient déjà leurs règles. Mais dans l'éducation sexuelle qu'elles avaient reçue, la seule chose qu'elles avaient apprise c'était que « la perte de la virginité est une chose abominable ». Elles ne savaient pas non plus comment avoir un rapport protégé, ni détecter un acte d'agression sexuelle ni le prévenir.

« Dans les campagnes, 40 % des enfants sont délaissés par leurs parents qui sont travailleurs migrants. Cela signifie un grand risque d'agressions sexuelles », fait remarquer Yue Xin.

Selon le Rapport d'étude sur la protection des jeunes filles, publié conjointement par la Fondation chinoise des enfants et des adolescents et de l'école normale de Beijing, la cause directe d'agression sexuelle sur les jeunes filles est l'absence de tutelle. Les enfants restant seuls à la maison, les enfants sans domicile fixe et les enfants handicapés mentaux sont parmi les plus vulnérables. Il est également difficile de découvrir à temps les cas, et cela incite à des agressions à répétition sur une longue durée.

En plus de cela, les victimes et leurs familles ne sont pas suffisamment sensibilisés et manquent de connaissances en matière de prévention. Voici un cas mentionné dans le rapport : une écolière rentre chez elle après une journée de cours, elle raconte à ses parents qu'un professeur s'est déshabillé dans la salle de classe. Ses parents incrédules lui rétorquent : « Ce n'est pas possible. Un professeur ne ferait jamais ça. »

D'après des statistiques de l'Organisation, le nombre de cas dans les campagnes est supérieur à celui des villes. Dans les campagnes, les écoles ne donnent presque pas de cours d'éducation sexuelle, les parents ne sont pas sensibilisés, et les enfants dont les parents qui travaillent en ville sont psychologiquement plus fragiles, plus esseulés et plus repliés sur eux-mêmes.

An Xinzhu a donné des cours dans beaucoup d'écoles, tant dans les villes que dans les campagnes. Elle nous explique que bien que les enfants ruraux soient aussi attentifs aux cours donnés par l'organisation que ceux des villes, la sensibilité de ceux-ci l'a beaucoup marquée. « Nous évitions de prononcer les mots « maman » et « papa » dans ces régions-là car sinon, certains enfants se mettent à pleurer et par sympathie, toute la classe pleure avec eux. Leurs parents leur manquent beaucoup. Nous leur disions : si tu as un secret à raconter à ta famille, dis-le à ton grand-père ou à ta grand-mère. »

La réaction de certains parents alourdit conséquemment le fardeau psychologique des enfants. Par exemple, en apprenant que leur enfant a subi une agression sexuelle, certains parents les frappent, d'autres ont peur que leur fille ne puisse plus tomber enceinte, d'autres ne s'intéressent qu'à la peine auquel le coupable est condamné, négligant plus ou moins le rétablissement psychologique de leur enfant.

En 2013, le ministère de l'Éducation, le ministère de la Sécurité publique, la Ligue de la jeunesse communiste et la Fédération nationale des femmes ont publié conjointement un Avis pour mener à bien le travail de prévention des abus sexuels contre les mineurs. Dans ce texte, ils demandent aux rectorats locaux de renforcer la sensibilisation. Depuis, de plus en plus de gouvernements locaux ont pris contact avec l'Organisation de la protection des filles.

« La situation des zones rurales est bien meilleure que je ne l'imaginais, se conforte toutefois Sun Xuemei. Un professeur local m'a confié que les élèves ne le savent peut-être pas, mais les professeurs s'inquiètent beaucoup quand ils voient un reportage sur une affaire d'agression sexuelle à la télévision. Ils ont envie d'en parler en classe mais ne savent comment amener le sujet. Ces professeurs veulent avoir plus de connaissances en matière de lutte contre les abus sexuels. Évidemment, la plupart des gens veulent protéger les enfants. »

Des progrès juridiques

De plus en plus d'équipes et de personnes sont entrées dans l'Organisation. Sun Xuemei est particulièrement émue par le fait que depuis 2015, son organisation a reçu des dons d'un montant total de plus de 1 million de yuans. D'autant que cette somme a été collecté sur la base de dons de 5 ou 10 yuans.

Le but de l'Organisation est de faire intégrer la prévention des infractions sexuelles dans le programme pédagogique des écoles primaires. Lors des sessions de 2014 et de 2015 de l'Assemblée populaire nationale (APN), l'organisation a pris contact préalablement avec des députés de l'APN pour déposer une motion lors des sessions annuelles.

Fin août 2015, lors de la 16e réunion du Comité permanent de la XIIe APN, le Code pénal a remplacé la notion de relation de prostitution avec fille en bas âge par celle de viol. Cela entraîne donc une sanction plus sévère.

L'instauration du crime de relation de prostitution avec fille en bas âge avait pour but d'éliminer la prostitution en général. Les coupables étaient sanctionnés plus sévèrement, afin de protéger de manière particulière les filles en bas âge. Mais la pratique a montré que d'une part, elle affaiblissait la force dissuasive de la loi et amoindrissait la pression morale sur les pédophiles potentiels. D'autre part, elle affaiblissait la garantie des droits des jeunes filles et leur donnait mauvaise réputation.

Dans ce sens, la suppression de ce type de crime a été accueilli très favorablement par l'opinion publique, et représente un grand progrès dans la législation.

D'après le Rapport d'étude sur la protection des jeunes filles, l'inégalité des rapports sociaux, le manque de respect envers les jeunes filles et le manque de connaissance de leurs droits sont les causes fondamentales latentes du taux élevé de ce type de crime. Cela se manifeste concrètement par la place souvent subordonnée des filles dans les rapports familiaux, à l'école et dans la société. C'est pourquoi les jeunes filles victimes d'un abus sexuel, à cause de la crainte des représailles mais aussi de leur faible estime personnelle, n'osent rien dire ni dénoncer les coupables.

Yue Xin répète aux jeunes filles que subir un abus sexuel n'est pas de leur faute, et les incite à vivre avec courage et de manière indépendante tout en se protégeant.

L'Organisation encourage les jeunes victimes en leur disant que « Si jamais on a profité de vous, il ne faut surtout pas penser que vous avez fait quelque chose de mal. Ce sont les violeurs qui sont fautifs. Ils méritent d'être punis. Cela ne change en rien le fait que vous êtes une gentille fille qui mérite d'être respectée et aimée des autres. »

 

 

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