CHINAHOY

30-September-2015

Le respect des anciens murs

 

Des bénévoles chinois et français restaurent la demeure ancestrale des Wei.

 

Avec son vaste territoire, ses 56 ethnies minoritaires et sa longue histoire, la Chine renferme un lourd passé en matière d'architecture, toutefois menacé par l'urbanisation moderne. Qu'est-ce qui est fait pour protéger le patrimoine ? Enquête sur un chantier.

MA HUIYUAN, membre de la rédaction

En été 2015, dans la province du Guizhou, le village ancien de Malang, dont la plupart des habitants sont issus de l'ethnie buyei, a accueilli un groupe de travail spécial. Composé de six artisans, dix volontaires français et douze volontaires chinois, ce groupe avait pour mission de remettre en état la demeure ancestrale des Wei, sous la direction d'un expert français en restauration du patrimoine et d'un architecte chinois. Cet édifice deux fois centenaire est un des trésors architecturaux de la planète qui incarne la sagesse chinoise en matière d'architecture.

Des bénévoles au moral d'acier

Ce groupe de restauration à Malang s'inscrit dans le cadre d'un projet de coopération internationale pour la protection du patrimoine mondial, lequel est co-organisé par la Fondation Ruan Yisan, l'Union REMPART (un réseau d'associations françaises au service du patrimoine) et le Comité d'administration du district de Gui'an. Les bénévoles engagés dans cette œuvre se donnent pour principe de « réhabiliter les bâtiments en accord avec leur cadre d'origine, en rempruntant les techniques et matériaux d'antan ». Le responsable du groupe de restauration est Yue Jian, représentant général de la Fondation Ruan Yisan dans la province du Guizhou et membre du conseil de l'Association mondiale des architectes chinois (WACA). Il nous a présenté : « Malang est un village de l'ethnie buyei du district de Gui'an. Il abrite aujourd'hui 86 foyers, soit 313 habitants, dont 90 % ont pour nom de famille Wei. L'édifice que nous restaurons actuellement, c'est la demeure ancestrale des Wei, autrement dit, la première bâtisse élevée dans le village. » Yue Jian poursuit en nous détaillant les tâches premières des volontaires chinois et français : ramasser les détritus sur le site et aux alentours, trier les matériaux, enlever les vieilles tuiles, réparer les encadrements en bois des ouvertures de la maison, poser de nouvelles tuiles, fabriquer les petits bois pour les fenêtres, apprendre à sculpter la pierre à la base de la construction et s'initier à la broderie. Une fois restaurée, cette ancienne demeure se transformera en un musée folklorique exposant des anciens objets de la vie courante de l'ethnie buyei ainsi que les photos des travaux effectués par les volontaires internationaux. Il deviendra le centre culturel du village.

Émile Morinière est un architecte français qui, dès l'âge de 16 ans, a commencé à participer chaque année à ce type de projets à titre bénévole. Aujourd'hui, du haut de ses 37 ans, il revient sur cette expérience : « J'apprécie beaucoup l'ambiance sur le chantier. Tout le monde s'investit au maximum sans rien attendre en retour. »

C'est en France qu'Émile a eu vent de ce programme de restauration à Malang. Poussé par son envie de protéger le patrimoine et sa curiosité envers la Chine, il a fait le voyage pour y prendre part. Ce Français corpulent n'a pas reculé face aux travaux fatigants qui l'attendaient, comme transporter des bûches et nettoyer le site. En outre, il a également appris de minutieuses techniques de menuiserie. C'est la première fois qu'il séjournait dans la campagne chinoise. Il décrit : « Je n'imaginais pas qu'un tel écart puisse exister entre le milieu urbain et le milieu rural. Les Chinois qui vivent dans les villes poursuivent le succès, la richesse et le progrès. Quand ils déboulent dans les champs, ils sont tellement surpris et désemparés qu'ils semblent plus étrangers que nous, les étrangers. » Émile ajoute : « D'un autre côté, je m'étonne de l'immense superficie des terres exploitées ici. De même, les routes sont particulièrement larges et éclairées par d'innombrables lampadaires. C'est très loin de l'image que je me faisais de la civilisation orientale où les gens vivraient en harmonie avec la nature. » Néanmoins, Émile modère ses propos, reconnaissant que les villageois de Malang conservent encore un mode de vie assez primaire comme on n'en voit plus en France. Selon lui, dans son pays d'origine, plusieurs centaines d'équipes de ce type s'activent à réhabiliter et à préserver les bâtiments anciens. Et la Chine devrait en prendre de la graine : « Les architectures de la Chine antique, chargées de culture, sont tout bonnement magnifiques. Les lignes angulaires rappellent le style des caractères chinois. Dommage que les masures manquent d'un bon entretien. Laissées dans un état de délabrement, elles renvoient ce triste sentiment d'être déjà tombées dans l'oubli. »

Nous avons discuté avec une autre bénévole, de nationalité chinoise cette fois-ci. Su Chengfei, 21 ans, est étudiante à l'université de Nanjing, où elle poursuit un cursus en sociologie. Elle s'intéresse en particulier aux charpentes en bois utilisées dans l'architecture chinoise, mais c'est la première fois qu'elle étudie sur le terrain : avec les autres bénévoles, elle a transporté des briques, scié des planches et effectué d'autres travaux manuels. Elle nous a confié : « J'espère que, grâce à nos efforts, les villageois prendront conscience de la valeur et de la beauté de cette ancienne résidence. C'est aussi pour nous un moyen de redonner un certain dynamisme à la campagne chinoise en flétrissement. » Chen Hongmei, également étudiante, est inscrite à la faculté d'histoire de l'université du Shandong. Elle nous explique : « Je prends part à cette activité de restauration pour apprendre, à travers la pratique, comment mieux protéger l'héritage culturel, en complément des théories que j'apprends en cours. » Et cette aventure professionnalisante s'est avérée concluante : « Je pense que notre travail, dans une certaine mesure, a sensibilisé les locaux au besoin de conserver les œuvres architecturales du passé et a amené l'ensemble de la société à prêter plus d'attention aux bâtiments anciens. »

Wang Huiwen est étudiante en 3e année d'architecture. Se souciant de la protection des vieilles bâtisses, elle s'est donnée à fond sur ce chantier. Elle précise : « Au-delà de l'intérêt formateur qu'en tirent les bénévoles, cette opération exerce une influence positive sur les gens du coin, puis les autres villageois alentours, et enfin tout le peuple par l'intermédiaire des médias. » Parmi toutes les activités auxquelles elle s'est adonnée, c'est la fabrication de tenons et mortaises qui l'a le plus impressionnée. « Au début, ça me semblait facile de tailler une mortaise à l'aide d'un bédane. En fait, ce n'est pas si simple : il faut bien gérer l'orientation de l'outil et la force nécessaire. La profondeur et la largeur de la partie biseautée sont déterminants pour pouvoir assembler la pièce avec le tenon. Ainsi, une bête fenêtre à carreaux nécessite beaucoup de soin et de patience à chaque étape : sciage, rabotage, traçage de repères, perçage, préparation des tenons et mortaises, assemblage… »

Parmi les volontaires figurent encore des étudiants français, des travailleurs indépendants chinois, des médecins... tous fascinés par l'architecture ancienne chinoise et préoccupés par son devenir. Tous ont pris sur leur temps pour donner un coup de main. Les bénévoles chinois se sont dit impressionnés par le dynamisme des bénévoles français. Malgré les problèmes d'insalubrité et d'eau courante, aucun d'entre eux n'a renoncé à l'aventure, leur ferveur à restaurer l'antique demeure étant restée intacte.

 

Une bénévole française.

 

Tradition et éducation comme piliers

Ce chantier à Malang est le cinquième projet de protection du patrimoine mené par des bénévoles en Chine. Cette série de projets a été lancée sur l'initiative de la Fondation Ruan Yisan, créée par, vous l'aurez deviné, Ruan Yisan, professeur à l'université Tongji de Shanghai. Cet homme a lui-même guidé la restauration d'une multitude d'antiques cités chinoises : Pingyao, Dali, Zhaohua, Fenghuang, Zhouzhuang… En récompense de ses activités, il a reçu le Prix UNESCO Asie-Pacifique pour la conservation du patrimoine culturel ainsi que l'insigne français de chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres. Aujourd'hui âgé de 81 ans, il reste hautement actif dans son domaine.

L'intention première de Ruan Yisan en mettant sur pied cette Fondation était de mieux éduquer à la protection de l'architecture ancienne. « Compte tenu du vaste territoire chinois, un bâtiment ou une ville restaurée ne représente qu'une goutte d'eau dans la mer. Ainsi, le plus important, c'est de former des successeurs qui poursuivront la cause que je défends aujourd'hui. Il faut amener les jeunes à découvrir et à aimer les constructions à l'ancienne. C'est là notre seul espoir ! » À la retraite, au lieu de dispenser des cours magistraux, il a plutôt donné une succession de conférences et créé cette Fondation qui porte son nom, pour une sensibilisation plus subtile et adressée au plus grand nombre.

« Ni le gouvernement, ni l'université où je travaillais ne m'ont accordé des financements. C'était à moi de trouver des fonds. » Chaque année, il consacre environ 200 000 yuans à la recherche sur l'architecture traditionnelle chinoise. À Pingyao, alors que des travaux d'urbanisme étaient en préparation, Ruan Yisan avaient invité les fonctionnaires de la ville à venir à l'université Tongji pour leur démontrer la valeur des vieux bâtiments. Logement, cours, visites... Ruan Yisan devait prendre en charge tous les frais. Entre 1984 et 1985, il a organisé trois formations de ce genre, lesquelles connurent un franc succès. « Comme j'avais vraiment besoin de fonds privés pour soutenir mon action, en 2006, sur le conseil d'un ami, j'ai créé ma Fondation. Notre marge de manœuvre reste limitée, mais j'espère qu'à travers nos activités, nous parviendrons à attirer davantage l'attention du public sur les questions de la sauvegarde du patrimoine urbain. »

À l'époque, c'est Ruan Yisan, avec l'aide de ses douze élèves, qui avaient planifié la restauration de la ville antique qu'est Pingyao, aujourd'hui site touristique de renommée mondiale. C'est ainsi qu'il a sauvé cette cité d'antan alors qu'elle s'apprêtait à démolir ses vieilles maisons délabrées, héritage du passé qu'il était pourtant nécessaire de transmettre aux générations futures.

 

Émile Morinière (au centre) travaille sur le site.

 

Une expérience à consolider

En Chine, un nombre croissant de bénévoles ont rejoint la Fondation Ruan Yisan, ce qui a permis à cette dernière de devenir une des forces non gouvernementales majeures en matière de conservation de l'architecture ancienne. Côté gouvernement, Beijing a publié une succession de lois et règlements dans ce domaine, dont la Loi sur la protection du patrimoine culturel de la République populaire de Chine, entrée en vigueur en 1982, ou encore les Règlements sur la protection des fameux villes et villages historiques et culturels, adoptés en 2008. Au mois de juin 2015, le Conseil des affaires d'État chinois avait classé 125 lieux dans la catégorie « villes d'intérêt culturel et historique ».

Les gouvernements locaux chinois ont, eux aussi, pris conscience de la nécessité de préserver comme il se doit les vestiges anciens lors de l'urbanisation, commençant à s'inspirer des pratiques des pays développés, comme par exemple la France.

L'Hexagone possède une multitude de bâtiments anciens ainsi que de monuments historiques et culturels, dont 40 sites sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. Le gouvernement français dépense chaque année plus de deux milliards d'euros pour la réfection et l'entretien des vieux logis. Émile a ajouté : « Ici, les gens ne sont pas assez sensibilisés à la cause de la protection du patrimoine. Par exemple, pendant ce projet de restauration à Malang, nous avons trouvé une grotte qui servait jadis de silo à grain. La première réaction des habitants fut de la boucher plutôt que d'essayer de la faire revivre. En France, nous sommes plus enclins à remettre au goût du jour les techniques et les matériaux d'antan. Mais ici, en Chine, on cherche surtout à construire le plus rapidement possible. J'ai pu voir tout de même des petits temples anciens bien entretenus, mais parfois aussi des quartiers historiques chaotiques à cause des activités touristiques de masse. Je vais prendre un exemple : dans le parc de Tianhetan que nous avons visité, les grottes du site étaient devenues l'abri des vendeurs de souvenirs. Ceux qui habitaient dans le village ancien avaient été contraints de déménager pour laisser place à ces attractions touristiques. Il y a confusion selon moi : en fin de compte, est-ce qu'on protège pour développer le tourisme, ou est-ce qu'on développe le tourisme pour mieux protéger ? » Les volontaires chinois ont également constaté ce problème et considèrent qu'il vaudrait mieux que les villageois continuent de vivre dans leurs vieilles maisonnées pour qu'elles soient mieux entretenues. Si le tourisme est encouragé sans retenue et motivé uniquement par l'intérêt économique, alors les effets négatifs ne tarderont pas à se faire sentir. Ruan Yisan m'a précisé : « Tourisme et préservation des sites ne sont pas contradictoires. Mais le souvenir des traditions culturelles et des techniques traditionnelles doit passer avant les retombées économiques. Une fois ce pan de mémoire perdu, il est impossible d'en retrouver la trace. »

Depuis des milliers d'années, l'architecture chinois renvoie à l'idée du foyer, auquel les Chinois sont hautement attachés (le caractère 家 « foyer » est composé de la clé du toit, en haut). Les hutong de Beijing, les ruelles nongtang à Shanghai ou encore les tulou (maisons de terre) du Fujian sont représentatifs de la valeur qu'accordent les Chinois à l'unité familiale et à l'harmonie entre voisins. Comme Ruan Yisan l'appelle de ses vœux, les Chinois sont de plus en plus conscients du besoin de préserver leur patrimoine, de sorte que de plus en plus d'efforts sont consacrés à la conservation de la culture et de la sagesse des ancêtres en matière d'architecture.

 

 

La Chine au présent

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