CHINAHOY

27-April-2015

La nouvelle mode des radios privées en ligne

 

Prise de vue lors de l'enregistrement de l'émission de Green Bottle Radio.

 

GONG HAN, membre de la rédaction

Li Jiaqi, jeune Pékinois de la génération née dans les années 1990, écoutait régulièrement une émission de talk-show pékinoise quand il travaillait à Xiamen il y a deux ans. Après être revenu travailler dans la capitale, il a décidé de créer lui-même un programme de radio privée. À cette époque-là, les applications de radiophonie mobile telles que Lizhi et The Himalaya commençaient à se populariser.

L'année dernière, le nombre de celles-ci et leurs utilisateurs ont augmenté très rapidement. Selon le fondateur de la radio The Himalaya, la plus grande différence entre l'Internet mobile et l'Internet traditionnel réside dans le fait que l'on peut se connecter au réseau n'importe où. Ainsi, les fragments de temps disponible sont mieux utilisés, ce qui fait de la radio un média plus pratique. En outre, du point de vue de la production d'émissions, la radio est un support plus facile à manier que la télévision.

C'est comme ça qu'est née une application radio baptisée Green Bottle. Li Jiaqi a trouvé quatre partenaires : Zhang Weiwan, un ancien camarade de lycée, Lü Weiyi, Luo Jiatong et Sun Yuanxin. Cinq jeunes, un ordinateur, un équipement d'enregistrement élémentaire, et c'était parti !

Des amateurs passionnés

Les cinq membres de Green Bottle Radio œuvrent tous dans des secteurs différents. Li Jiaqi travaille dans le secteur de la diffusion des marques ; Zhang Weiwan, dans une entreprise d'e-commerce, Lü Weiyi, à Starbucks. Luo Jiatong travaille dans une entreprise d'État, mais il a un autre métier : rappeur. Et Sun Yuanxin est comédienne de xiangsheng (dialogue comique) et est l'élève d'un des disciples du célèbre artiste chinois Feng Gong. Hormis Zhang Weiwan et Li Jiaqi, aucun ne se connaissait avant de commencer le projet de Green Bottle Radio, mais ils se sont tout de suite lancés dans l'aventure.

Li Jiaqi, qui se charge de la planification et de la post-production dans l'équipe, nous raconte pourquoi ils ont décidé de créer la radio : « Nous pensions simplement que ce serait quelque chose de nouveau et d'amusant, bien que non lucratif, qui pourrait nous apporter une expérience. »

L'enregistrement de l'émission a lieu tous les dimanches après-midi chez Li Jiaqi, à Tongzhou, dans la banlieue est de Beijing. L'émission est enregistrée autour d'une table dans une atmosphère détendue. Souvent après le travail, ils sortent dîner ensemble.

« Le sujet n'est pas fixe. Il peut concerner la gastronomie, les informations touristiques, la musique pop, ou bien nous pouvons mettre en place une hotline émotionnelle », explique Li. Pour les auditeurs, la radio en ligne est surtout un moyen de distraction. Lors de l'émission, les cinq jeunes discutent de tout : des hutong, des signes astrologiques, du club de football pékinois Beijing Guo'an, en passant par les animaux domestiques, l'amour, les tatouages, les jeux vidéo, leur voyage au Tibet, ou même leur première expérience sexuelle.

Grâce à ce style libre et détendu, ils ont acquis chacun près de 2 000 fans sur Weibo et sur l'application de radio mobile Lizhi depuis la création de Green Bottle Radio en juillet dernier.

Li Jiaqi considère que c'est parce que l'émission a réussi à toucher la corde sensible des auditeurs, notamment des jeunes de la génération « post-90 » : « Après avoir commencé à travailler, ils se rendent compte qu'ils ont de moins en moins d'amis à qui parler à cœur ouvert, mais aussi de plus en plus d'ennuis à cause du travail. Ils ont besoin d'une voix sympathique pour les accompagner, et nous incarnons cet ami. »

 

Les animateurs pour la plupart sont des jeunes nés dans les années 90.

 

Une émission typiquement pékinoise

À part Sun Yuanxin, qui est mariée avec un Pékinois, les autres membres sont tous originaires de la capitale, ce qui en fait une radio typiquement pékinoise. Dans de nombreux programmes, on peut entendre des sons particuliers à Beijing, comme l'opéra de Pékin, le roucoulement des pigeons, les bruits des marchés matinaux et les cris des vendeurs de rue. À chaque saison, on peut entendre dans les conversations des gens les thèmes propres à la capitale chinoise : les feuilles rouges en automne, les choux chinois en hiver, etc…

En fait, la première émission de Green Bottle Radio a été consacrée à leur enfance dans les hutong, dans laquelle les animateurs ont partagé beaucoup de souvenirs : les toilettes publiques qui puent et qui demandent donc d'être rapide, la petite fille qui apprend à enfourcher la grosse bicyclette de son père et qui ne sait pas comment s'arrêter, et est obligée de tourner dans le hutong jusqu'au moment où ses parents la découvrent. Il y a les marchands en tricycle et les pigeons sur le haut des poteaux électriques…

Ils ont tous beaucoup d'amour pour Beijing. « Quand nous étions petits, nous ne pensions pas que Beijing était une métropole, et qu'elle était peuplée. Nous étions heureux tous les jours, raconte Li Jiaqi. Zhang Weiwan regrette l'ancien Beijing à l'accent pékinois qu'on entendait résonner partout, et surtout à l'intégrité sociale de l'époque. Par contre, les transports étaient très incommodes. »

Leurs souvenirs d'enfance et du temps passé ont fasciné beaucoup de jeunes, surtout des jeunes Pékinois, dont certains vivent aujourd'hui à l'étranger. Il y a peu, Li Jiaqi a envoyé un calendrier de la radio à ses fans aux États-Unis.

« Mes fans à l'étranger sont essentiellement des étudiants. Je crois que la raison pour laquelle ils s'intéressent à notre radio prend source dans une cordialité et une nostalgie. C'est ce que je ressentais quand je travaillais à Xiamen », nous explique Li.

La mode des talk-shows en ligne

Depuis à peu près deux ans, les talk-shows en ligne ont conquis l'internet chinois, que ce soit en termes de part d'audience ou de revenu publicitaire. Leur particularité est d'être plus libre et osé que les médias dits traditionnels.

Li Jiaqi est un grand fan de l'émission de talk-show en ligne Débat phénoménal. L'émission, qui n'est diffusée que sur le net, regroupe des invités parfois un peu hors-norme, au caractère bien trempé, et surtout qui aiment débattre. Ils défendent leurs opinions sur des questions qui intéressent les jeunes, de façon parfois déjantée et un peu exagérée, mais toujours tempérée par l'arbitrage du jury qui rend la discussion constructive.

Quant aux chaînes de radio en ligne, l'activité des auditeurs et leur fidélité a attiré beaucoup de personnes intéressées par la création radiophonique. Comme cet animateur de la CCTV, Wang Kai, qui a démissionné et a monté sa propre radio sur la plate-forme mobile Boke : Oncle Kai raconte des histoires. Il compte aujourd'hui 80 000 adeptes. Un manager de magasin de voitures a également ouvert sa fréquence pour y présenter l'histoire de la marque, les spécificités des modèles et leur entretien, et a obtenu pas mal de succès auprès des auditeurs.

Les émissions dites « pékinoises » telles Green Bottle Radio, Tangsuan Radio, San Jiao Long ou encore Mazha'er Radio, sont légion sur les plates-formes radiophoniques mobiles. Parmi celles-ci, Green Bottle Radio se démarque des autres par son style détendu et plein de fraîcheur : ces jeunes parlent de tout et de rien, de façon cool, à la manière d'une discussion d'adolescents au lycée pendant la pause entre les cours.

Le positionnement de Green Bottle Radio n'est pourtant pas celui d'une radio où tout le monde est d'accord. Zhang Weiwan aimerait bien que l'émission soit un peu plus osée, comme les programmes des autres radios privées, et plus ouverte notamment sur des sujets auxquels les garçons sont intéressés. Li Jiaqi, quant à lui, préfère que cela soit amusant sans tomber dans le trash. Pour lui, la radio doit rester positive et avoir une limite à ne pas dépasser.

« J'espère que notre radio représente bien la génération 90. Les jeunes nés dans ces années-là sont différents de ceux des années 80. Ils sont plus libres, ils osent plus, dans leur façon de penser et de se comporter », explique Li Jiaqi. Comme il trouve qu'il n'est pas trop dans le ton de sa génération, pour éviter de rendre l'émission trop fade, il a décidé de faire du off, et participe de moins en moins dans l'émission, sauf pour des sujets qui lui tiennent vraiment à cœur.

Il y a quelques temps, Zhang Weiwan a rompu avec sa copine. Les autres membres de l'émission en ont profité pour remuer le couteau dans la plaie et ont saisi l'occasion pour faire une émission intitulée On se marie ?, afin de discuter de la vision qu'ont les jeunes des années 90 sur le mariage. Ce fut parmi les rares émissions graves et sérieuses de la chaîne, car le mariage n'est pas un sujet facile en Chine, même pour les jeunes libres nés après 1990 qui revendiquent leur liberté de caractère.

Suffit-il que deux personnes s'aiment pour pouvoir se marier ? C'est autour de ce thème qu'ils ont échangé, racontant les histoires d'amis proches : une jeune qui revenait d'études à l'étranger et qui s'est retrouvée confrontée à un jeune diplômé venant de la campagne, encore rustique dans sa façon de penser. Ou encore l'histoire d'un jeune qui n'a pas osé demander sa petite amie en mariage, car il n'avait pas les moyens de lui acheter une maison. Les différences de valeurs et de contexte familial, comme la pression matérielle, font que les jeunes Chinois voient le mariage comme un chemin de croix.

« En Chine, tout le monde pense que les hommes doivent être plus capables que les femmes. Mais quand on habite à Beijing, qui a les moyens, même en se saignant les veines, d'acheter une maison avant la trentaine et d'avoir un salaire et un niveau de vie stables ? Ce n'est pas parce qu'on n'aime pas la fille qu'on ne la demande pas en mariage, c'est parce qu'on n'a aucun moyen de lui promettre quoi que ce soit… », ont expliqué les garçons participant à l'émission.

Pour ces jeunes qui tiennent à leur liberté comme à la prunelle de leurs yeux, le mariage est un sacrifice : « Pourquoi il y a tant de gens qui pleurent lors de la cérémonie ? D'accord, l'émotion, c'est une chose, mais il y a aussi une part de regret. Le temps où on était seul est fini. Les promesses faites pendant le serment sont une lourde responsabilité, ça met de la pression », ont ajouté ceux-ci pendant le débat.

Sun Yuanxin, seule mariée du groupe et connue pour son franc-parler, a déclaré lors de l'émission que « les filles des années 90 baignent dans une vision idéalisée de la relation amoureuse : elles veulent trouver le prince charmant et en même temps, que celui-ci soit totalement en accord avec leurs exigences. Bien sûr, ce genre d'idéal existe, mais en général peu de gens arrivent à l'atteindre. La plupart des gens ne trouvent jamais leur « Autre », a-t-elle déclaré. « Je ne suis pas forcément la femme que mon mari aime le plus », a-t-elle ajouté ensuite. Les auditeurs ont pu sentir, l'espace d'un instant, les regards un peu perplexes des animateurs. Puis quelques secondes plus tard, l'un d'entre eux a lancé : « ça sent le crêpage de chignon ! », et tout le monde a explosé de rire.

« Ce que je balance, c'est la vérité, c'est pas toujours agréable à entendre. Un amoureux parfait, ça n'existe que sur commande. Il faut arrêter de baigner dans ses rêves de midinette et ouvrir les yeux, voir les garçons qui nous entourent. Vous trouvez que celui que vous avez en stock a ça qui va, ça qui ne va pas, vous le laissez tomber. Il faut savoir que trois ans plus tard, vous n'en trouverez pas forcément un de mieux », a-t-elle prévenu les auditeurs.

Sun Yuanxin s'est rendu compte que beaucoup de jeunes filles qui ont la vingtaine aujourd'hui quittent leur petit copain de l'université, parce qu'elles viennent de mettre un pied dans la société et le trouvent trop dévoué ou puéril. Après la rupture, elles réalisent, souvent trop tard, qu'elles ont du mal à retrouver un prétendant au mariage aussi sincère.

« Je ne suis pas en train d'essayer de vous casser le moral. Je suis en train de vous dire qu'évidemment, si vous ne voyez que les défauts de votre partenaire, alors vous ne vous marierez jamais », a-t-elle continué.

Elle plaisante en disant que le mariage n'est pas non plus un jour sans pain. « Une fois mariée, on n'a plus l'impression d'être seule à se battre. Même quand on se dispute avec des gens, on a l'impression d'être plus forte. Un peu comme quand votre grand-frère ou votre grande-sœur était dans la classe supérieure quand vous étiez à l'école primaire. »

Cette émission a reçu beaucoup de réactions de la part des auditeurs. Certains n'étaient pas d'accord avec les idées énoncées, d'autres entérinaient la vision du mariage présentée par les animateurs. « Quand on est à deux, le plus difficile est d'accepter l'autre et de le comprendre. Le mariage, c'est un peu comme si on coupait un "moi" entier en deux et qu'on l'imbriquait avec un autre pour qu'il devienne un "nous" », a conclu Sun Yuanxin.

Li Jiaqi aime une phrase culte d'un des invités de Débat phénoménal : « Dans une certaine étape de ta vie, tu vas rencontrer ton "toi" normal et te rendre compte que tu n'es qu'un lambda dans la foule. »

 

Collaboration entre Green Bottle Radio et Hutong Radio pour une émission sur la ville de Tianjin.

 

L'aspect interactif prime sur le commercial

Le potentiel commercial des chaînes de radio privées attire de plus en plus de gens. Certaines ont même des partenariats de longue durée avec des marques internationales de sportswear ou ont même obtenu une offre de capital-risque.

Des marques contactent régulièrement Green Bottle Radio. Récemment, une marque d'électroménager a organisé une émission sur la gastronomie avec eux, qui leur a rapporté 1 000 yuans de revenus. Un restaurant de fondue leur a également offert des coupons repas en l'échange de publicité pour leur marque.

Pour Li Jiaqi, qui travaillait au départ dans la diffusion des marques, l'attraction qu'exerce l'émission en elle-même est le plus important. Trop commercialiser la chaîne éloignerait les auditeurs de la radio. Ce qu'il craint le plus, c'est l'arrivée trop massive d'intérêts financiers qui amènerait un changement dans les relations entre les animateurs.

« Notre objectif de départ est très simple et nos auditeurs aussi. On a d'ailleurs beaucoup d'interactions avec eux. Il y a quelques jours, un de nos auditeurs les plus assidus, un lycéen de terminale, nous a envoyé un message. Il disait qu'il ne pouvait plus trop passer de temps sur Internet à cause de ses révisions, mais qu'il écouterait quand même notre émission. Il nous disait en rigolant qu'on devait attendre qu'il finisse de passer son Bac. On n'a pas envie que ce genre d'interaction devienne commerciale », nous explique Li Jiaqi. Évidemment, ils ne refusent pas pour autant de se servir du financement participatif pour acheter de nouveaux équipements d'enregistrement ou faire produire des goodies.

Les gens disent que les enfants nés après 1990 et notamment les jeunes Pékinois sont plus détendus et libérés, car ils n'ont pas de pression. Li Jiaqi n'est pas d'accord avec cette affirmation. « Certains animateurs de la radio ont autant de pression que les jeunes qui viennent des provinces. Ils font, eux aussi, face aux difficultés économiques et professionnelles, et sont parfois obligés de faire des choses qu'ils n'aiment pas forcément pour survivre. Mais cela ne les empêche pas d'être eux-mêmes », nous dévoile Li Jiaqi.

La veille de l'interview, celui-ci avait d'ailleurs rendu sa lettre de démission à son entreprise. « Je n'en pouvais plus… » Alors qu'il attendait dans le bureau des RH, il s'est rappelé la fenêtre pop-up qui s'était ouverte dans le coin de l'écran de son ordinateur le matin même : « Les fleurs de pêchers de Badaling vont bientôt faner. » À cet instant, la seule idée qu'il avait en tête était « si je n'y vais pas, je vais rater le spectacle, je n'ai plus une seule seconde à perdre ! ».

 

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