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Economie chinoise : le choc de compétitivité
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À Xinyi (province du Jiangxi), l'industrie de la tannerie se met à jour pour aider au développement du secteur. On voit des ouvrières qui confectionnent des vêtements en cuir. |
CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction
Depuis plus de vingt ans maintenant la presse économique internationale s'étonne et s'inquiète du « miracle chinois ». Feu de paille pour les uns, esbroufe, « bulle spéculative » pour les autres, simple effet des délocalisations occidentales pour les troisièmes, la plupart des économistes s'accordent depuis bien des années à dire que cela ne pourra pas durer. Les faits vont enfin leur donner raison. Le modèle économique chinois construit sur la main d'œuvre bon marché a assuré le décollage du pays. Après trois décennies de succès assez remarquables, ce modèle s'essouffle. Il doit se transformer.
Un modèle bizarrement décrié en Occident, où se trouvent ses principaux bénéficiaires. D'abord les consommateurs, qui ont profité d'une inflation historiquement basse en partie grâce à l'essor des produits « made in China » qui allégeaient le panier de la ménagère au fur et à mesure qu'ils le remplissaient. Les grandes entreprises d'Europe et des États-Unis ensuite, qui ont, souvent grâce à de judicieuses délocalisations ou à leur implantation sur le marché chinois en forte croissance, enregistré des profits record. Cerise sur le gâteau, les politiciens démocratiques ont pu se targuer à peu de frais de progrès écologiques, lancer et réaliser des programmes de « lutte contre le réchauffement » principalement basés sur le fait que la pollution industrielle et les émissions de CO2 s'en allaient vers la Chine.
La Chine, elle, prenait son mal en patience en fourbissant son outil industriel. Automobile, avions de ligne, vins, électronique, pétrochimie, elle accueillait les investisseurs et se contentait d'un rôle de figurant, attirant sur son territoire et donc auprès de ses citoyens, technologies, savoir-faire et brevets. Un rôle de figurant ? Il faut savoir qu'un iPad par exemple, à sa sortie de l'usine à Shenzhen, ne revient qu'à 33 % de son prix de vente, soit $165. Une fois payés les coûts de l'énergie et des matières premières, de main-d'œuvre et d'amortissement, la marge bénéficiaire de son inventeur Apple est de 30 %. L'agence américaine d'études de marché iSuppli a révélé qu'Apple paie 11,2 dollars US à Foxconn pour l'assemblage. Le coût total de ses composants est de 219,35 dollars. Le processeur A4, développé par Apple, coûte 26,8 dollars, la mémoire flash de 16 gigaoctets, 29,5 dollars. Le plus cher dans l'iPad, c'est son écran tactile de 9,7 pouces, fabriqué par LG pour 95 dollars. Selon les modèles, la marge d'Apple varie donc, une fois la distribution rémunérée, entre 30 et 40 % du prix de détail.
Ce cas d'école montre bien l'intérêt qu'il y a à s'élever dans la pyramide de la chaîne de valeur : les plus gros bénéfices reviennent au propriétaire de la marque et des innovations. Ensuite vient le commerce de détail. Puis les fournisseurs de produits à forte valeur ajoutée, sud-coréens et taïwanais. On ignore quelle est la marge des fournisseurs de matières premières et d'énergie, mais ce qui est sûr, c'est que tout en bas de l'échelle, on retrouve les malheureux employés chinois de Shenzhen qui assemblent, dans des conditions de travail très dures et les tensions sociales typiques des industries low-tech, ces babioles dont rêvent les consommateurs.
Ce cas d'école se répète, avec des variantes, dans toutes les industries innovantes globalisées. Enfin, il se répétait, car la situation est en train d'évoluer.
Thomas Piketty nous rappelle dans son livre Le capital au XXIe siècle que, historiquement, sur une longue période, la croissance économique ne dépasse guère 1 % par an. Les fortes croissances sont toujours (comme aujourd'hui en Chine ou hier en France) des phénomènes de rattrapage limités dans le temps. Les dirigeants chinois ne disent pas autre chose lorsqu'ils évoquent la « nouvelle normalité », celle où la croissance économique va s'assagir, où la population va entrer dans une prospérité moyenne, et surtout où va très rapidement se tarir dans le pays l'appoint de forces low-cost des campagnards et des jeunes diplômés.
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Une boutique Xiaomi au SOHO10 de Jianguomenwai, à Beijing. |
Quel modèle pour l'économie chinoise d'après-2015 ?
Dividende démographique négatif, élévation du niveau de qualification, croissance des salaires conduisent déjà dans certaines régions et dans certains secteurs à des pénuries de main d'œuvre. Les salariés chinois, moins nombreux et de plus en plus qualifiés, vont demander et obtenir un adoucissement de leurs conditions de travail. De nombreuses entreprises, étrangères ou chinoises, l'ont compris et redirigent leurs investissements vers des pays désormais moins chers : Vietnam, Bangladesh, … France, même, car dans certains cas les économies de logistique compensent la différence des salaires.
L'appréciation progressive du yuan, qui devrait se poursuivre, aura des effets importants : non seulement la baisse des prix des produits importés pour le consommateur chinois, mais aussi renchérissement des produits chinois sur le marché mondial. Double défi : il faudra désormais séduire des consommateurs plus riches, donc plus exigeants, dans un contexte où les produits nationaux verront leur avantage-prix se réduire. Seule solution : monter de plusieurs crans dans l'échelle de la valeur ajoutée.
Mission impossible ? Voire. La Chine commence à voir poindre les fruits d'un effort entrepris de longue date, alliant investissements dans la recherche et développement, dans l'enseignement, la coopération internationale et les produits développés localement. Il y a l'exemple de la cigarette électronique, inventée en Chine et revendue à un fonds d'investissement US. Ou de WeChat, le service de messagerie qui croise téléphonie et réseau social. Ou de Xiaomi, le smartphone bon marché qui, de l'avis de ses utilisateurs, dépasse en ergonomie son prestigieux concurrent à la pomme… L'effet de rattrapage technologique joue à plein. Dans d'autres secteurs, nucléaire, génétique, chimie, c'est la recherche, avec moins de contraintes budgétaires, légales et d'opinion, qui progresse à pas de géant.
Reconnaissance internationale
Des entreprises chinoises apparaissent depuis 2011 dans le « Palmarès des sociétés les plus innovantes » du magazine américain Fortune. En 2014, Xiaomi prend la 3e place, suivi quelques places plus loin par des entreprises comme Tencent (QQ, WeChat), Baidu, Lenovo, China Mobile, 163.net, Digital China, China Telecom ou Alibaba.
La situation évolue très vite. Alibaba et Tencent viennent d'obtenir leur licence bancaire pour convertir dans le domaine financier les informations ultra-détaillées qu'ils possèdent sur leurs centaines de millions de clients, leurs revenus, leurs modes de vie, leurs déplacements, leur activité, leur cercle d'amis. « Les premières vraies e-banques au monde », explique Romain, développeur français dans le domaine du paiement en ligne, basé à Beijing. Et de poursuivre : « les banques classiques, privées de ces outils et de ces algorithmes, ont du souci à se faire ».
Au niveau international, si Apple remporte pour la 6e fois de suite la 1ère place du palmarès Business Week des 50 entreprises les plus innovantes dans le monde, des entreprises chinoises y sont désormais représentées aussi : BYD (8e), Haier (28e), Lenovo (30e), China Mobile (44e) et HTC (47e). Des sites comme Taobao, Baidu ou Sina, adossés sur l'immense vivier des internautes chinois, entendent bien disputer leur leadership aux géants américains.
Il reste quelques obstacles à franchir… L'autre défi est la création de marques chinoises d'ampleur mondiale. Paradoxalement, il est plus difficile à relever.
Lorsqu'on voit à l'œuvre les grands maîtres de la discipline, cela semble aisé ! Faire adopter au public des produits qui semblaient inutiles hier, rendre indispensable le superflu, cela se produit avec une régularité qui défie l'entendement. Cigarettes, crèmes antirides, iPads : d'abord on rit, on dit « les gens n'en voudront pas », puis on s'aperçoit que plus personne n'imagine vivre sans…
Les entreprises chinoises partent avec plusieurs longueurs de retard. La campagne publicitaire la plus massive et la plus ingénieuse ne peut pas fonctionner si elle n'atteint pas l'imaginaire du consommateur.
Au Panthéon du consommateur globalisé, la voiture est allemande, le smartphone américain, l'appareil photo japonais, les vêtements italiens et les vins français… La Chine n'est le symbole d'aucun attribut de la vie luxueuse, plutôt celui des bricoles bon marché…
Le contraste avec la situation de l'innovation est saisissant : aucune marque chinoise n'entre pour l'instant au palmarès Forbes des marques mondiales les plus influentes.
Innovation et renforcement des marques chinoises
Pas d'autre scénario possible : l'innovation doit aller de pair avec une marque forte. Les technologies ne peuvent pas se monnayer sans disposer du véhicule de la notoriété et de la réputation. En un mot, d'une marque.
Les plus grandes sociétés chinoises cherchent à se mondialiser, mais la valeur de leur marque reste inférieure à celle des grandes marques américaines ou européennes. Cette situation évolue puisque des marques comme Tencent (télécoms), China Mobile (télécoms), Alibaba (e-commerce), Lenovo (électronique) ou Baidu (internet) voient les estimations de valeur immatérielle s'envoler en proportion de leur part du marché mondial, pour atteindre des sommes comprises entre 4 et 25 milliards de dollars US. Mais cela reste encore très loin des géants Apple et Google (153 et 111 milliards de dollars US).
Sont-elles sous-estimées ? Les marques chinoises semblent suivre la stratégie de « la Grande marche ». Mao Zedong avait eu soin d'éviter les villes, normalement l'objectif stratégique de tout chef militaire, pour favoriser les campagnes et ainsi les encercler à moindres frais. Plutôt que d'attaquer de front leurs concurrents sur leurs marchés domestiques, les multinationales chinoises choisissent de se renforcer en priorité sur les marchés secondaires et les pays pauvres, où l'accumulation d'expérience est plus facile et moins coûteuse. On voit ainsi les marques Chery, Geely et Chang'an (automobiles), ou ICBC, CNPC, China Mobile ou Evergrande (construction) prendre pied sur les marchés d'Afrique et d'Asie.
En Europe et aux États-Unis, la stratégie privilégiée par les multinationales chinoises consiste à racheter des marques connues. On a vu Dongfeng entrer spectaculairement au capital de Peugeot, mais d'autres opérations plus modestes se sont poursuivies, comme le rachat du danois Bang&Olufsen (hifi) ou de l'allemand Putzmeister (matériaux), comme cela avait été le cas pour AMC Entertainment Holding ou la marque Hummer aux États-Unis. En 2014, c'est une centaine de marques européennes qui sont tombées dans l'escarcelle de groupes chinois.
À n'en pas douter, ce ne sont là que des manœuvres préliminaires. « D'ici cinq à dix ans, nous allons assister à l'émergence de marques chinoises extrêmement pointues », estime Shaun Rein, directeur du cabinet China Market Research Group, à Shanghai, cité par le Figaro.
Il faut désormais s'attendre à quelques rachats spectaculaires dans le secteur des agences de publicité. La création de marque est peut-être un des talons d'Achille de l'économie chinoise, mais on l'a vu souvent : peu de problèmes structurels résistent longtemps lorsqu'elle mobilise ses moyens financiers pour les résoudre.
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