CHINAHOY

27-February-2015

Un mariage entre ville et campagne

 

 
L'émotion des jeunes mariés. 

 

En Chine comme en France, le mariage est une affaire de famille et de traditions. C'est parfois aussi une affaire d'amour et de patrimoine qui se noue entre ville et campagne. Récit.

CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction

«Si tu veux vraiment comprendre l'esprit des traditions chinoises, il faut que tu voies ça : un vrai mariage villageois, c'est très différent de ce qui se fait en ville », m'avait dit Mme Liu qui m'annonçait la nouvelle. Sa fille se marie jeudi, et je suis invité. Un vrai mariage paysan, au fin fond de la province du Hebei, avec des centaines d'invités ! Des cadeaux, des bons vœux, des libations sur deux jours, à la chinoise !

Le rendez-vous était donné à 6 heures du matin pour rejoindre le village Yangcun à 200 km environ au sud de Beijing. Je demande quelques précisions à mes compagnons de voyage : pourquoi se marier un jeudi ? C'est que, m'explique-t-on, les règles du « fengshui » (géomancie) stipulent que de la date d'un mariage dépend sa solidité ; il est donc capital de déterminer un jour favorable grâce à un calcul qui se fait sur la base des dates, heures et lieux de naissance des futurs époux. Autrefois, on consultait pour l'occasion un vieux devin, mais désormais, des sites internet spécialisés fournissent le résultat en quelques clics.

On arrive : le convoi de berlines noires se glisse dans les ruelles en brique, le terrain devient de plus en plus cahoteux, les virages de plus en plus serrés.

Déjà les mariés descendent de voiture ; on distribue des badges aux invités permettant de reconnaître qui appartient à quelle famille (celle du fiancé ou celle de sa promise). Les pétards fusent alors que nous nous engouffrons dans la résidence familiale. Il y a là une assez grande demeure paysanne, toute de brique et de béton, avec plusieurs pièces aux larges fenêtres ouvrant sur une assez grande cour entourée de hauts murs. Le spectacle est saisissant : la cour est pleine de gens qui s'affairent à peler des légumes, à trancher de la viande, à émincer de l'ail ou à former des jiaozi (raviolis chinois). Pendant ce temps, quelques autres s'occupent d'activer le feu dans de grands fours en brique surmontés d'immenses marmites en fonte. Une mémé lave les assiettes dans le coin de la cour, tandis que sa collègue dispose des jiaozi par centaine sur un large plateau en osier.

Nous sommes invités à l'intérieur. On nous guide vers deux pièces latérales : celle des hommes à gauche et celle des femmes à droite. Ici, la table est remplie de plats de graines de tournesol, de marrons grillés, de graines de melon, de cacahuètes et d'autres friandises à grignoter pour accompagner le thé. On fait les présentations : il y a ici le père du marié, celui de la mariée, les cousins et les frères. En ces journées de liesse, personne ne vous adresse la parole sans vous tendre en même temps une cigarette.

 

La cuisine champêtre.

 

La diplomatie matrimoniale

On s'installe autour de la table et on commence à siroter le thé. Voilà déjà que la porte s'ouvre et que l'on nous apporte des bouteilles de baijiu (alcool blanc). Il est à peine 11 heures du matin, mais que voulez-vous, un mariage n'est pas un mariage sans une solide dose d'alcool. Les toasts se passent suivant un rituel assez souple : toutes les quelques minutes, quelqu'un saisit son verre et prend à partie soit une personne désignée de la façon la plus polie et la plus respectueuse, soit toute l'assemblée avec une parole d'encouragement. On trempe alors ses lèvres dans l'eau de feu, mais attention : la journée est encore longue, il faut tenir jusqu'au bout ! De temps en temps on compare le niveau dans les verres et les tire-au-flanc sont rappelés à l'ordre par de gentilles plaisanteries… Tout de suite après le baijiu, les cuistots de la cour commencent à apporter les plats. Il y a là une omelette aux haricots, des tranches de porc et de poulet, des concombres à l'ail, des boulettes de viande, des boulettes de poisson, des poivrons frits, des plats de légumes cuits à la vapeur. Mais ce ne sont là que des hors-d'œuvre destinés à meubler l'attente des plats plus substantiels !

Bientôt on voit arriver des plats de viande et de poisson, énormes, fumants ! Toasts et rasades se succèdent, occasionnant bientôt une douce chaleur dans le creux du ventre. La conversation prend son envol. J'apprends par déduction et en posant une poignée de questions prudemment formulées quelques détails sur la façon dont les tourtereaux se sont rencontrés. L'histoire était mal engagée au départ : la jeune fille est Pékinoise, héritière future d'une affaire de restauration assez florissante, en plein centre de Beijing. Le jeune homme, originaire du village, n'était qu'un modeste serveur dans cet établissement. Ils s'aiment, c'est visible, mais leur union a un petit relent de mésalliance qui a forcément dû faire grincer quelques dents.

En Chine, le mariage, c'est une affaire de famille qui a autant à voir avec le patrimoine qu'avec les sentiments. Et les parents ont plus que leur mot à dire : c'est qu'il s'agit d'équilibrer les contributions financières au futur ménage et d'assurer aux époux un départ dans l'existence…

Mais le mariage bat son plein, et il est clair que la diplomatie matrimoniale a fait son office. Les intérêts des uns et des autres ont été pris en compte. Les deux beaux-pères devisent sans plus faire attention à leur différence de condition ; les mains calleuses et visage buriné du père côté fiancé, vêtu d'un costume très simple, contrastent avec la tenue soignée et les mains manucurées du père côté fiancée. Les cousins aussi échangent plaisanteries et bons mots sans arrière-pensée que le baijiu aurait fini par révéler. Des photos romantiques recouvrent les murs, mettant en scène le couple dans différents costumes et sur des arrière-plans très variés. Les caractères xi (bonheur), qui symbolisent l'égalité et l'indivisibilité du couple, omniprésents, se déclinent sous toutes les formes (autocollants, posters, et même paquets de cigarettes !). Les canards mandarins, symbolisant la fidélité, se retrouvent aussi dans la décoration nuptiale des chambres.

Les festivités s'interrompent assez tôt dans la soirée. Mais elles reprennent dès 8 heures le lendemain matin !

Nous nous attablons autour d'un solide petit-déjeuner à base de jiaozi fumants et de plats de légumes cuits. Tout le monde sourit largement, mais certains ont la mine un peu chiffonnée. Pas de musique ni de téléviseur en fond sonore. Pas d'orchestre, pas de karaoké : les conversations qui se croisent, les calembours et les rires assurent seuls l'ambiance animée qu'affectionnent les Chinois.

La cérémonie des cadeaux

Vers midi, c'est la tournée générale. Les convives secondaires sont installés aux tables de l'extérieur, les amis et parents éloignés ont droit aux tables de la cour, tandis que la proche famille s'attable à l'intérieur. Les hôtes de la cérémonie (parents de la mariée) font le tour des tablées et prononcent quelques paroles de bienvenue avant d'avaler avec chacune une rasade de baijiu. Le beau-père m'a prévenu : « Il y a une trentaine de tables, pas de zèle, sinon tu n'arriveras pas au bout ! »

Ensuite, c'est la cérémonie des cadeaux. La cour bruisse alors que chacun prend sa place : la mariée se place devant un tapis où elle est censée s'incliner face à sa nouvelle famille, tandis qu'un représentant de sa famille se lance dans un marchandage soigneusement codifié. À chaque fois qu'elle fait mine de s'incliner pour signer son entrée dans la famille, celui-ci l'interrompt pour interpeller un membre de la famille adverse et l'exhorter à une généreuse donation. Il commence par la famille la plus proche, et chacun lance de bonne grâce dans la caisse quelques billets de banque rouge sang. Les blagues, les rappels à l'ordre et les ripostes pleines d'esprit qui remplissent la cour suscitent les rires et les applaudissements du public. À la fin des fins, la mariée s'incline enfin devant sa nouvelle famille, soutenue par son époux.

Comme souvent dans les fêtes chinoises, la fin survient brusquement. On me signifie qu'il est temps de me diriger, avec les autres Pékinois, vers la sortie. La cour est déserte, les convives villageois ont déjà disparu. Une dernière tournée de congratulations, de félicitations, de souhaits de bonheur éternel, et c'est parti.

 

La Chine au présent

Liens