CHINAHOY

28-November-2013

Des As qui ont le français à cœur

 

 

Des candidates inscrites à la présélection de Shanghai démontrent leur talent musical.

 

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

«Je me sens normale et un peu nerveuse... », décrit Pan Wang. À l'heure où j'écris ces lignes, les candidats sont sûrement en train de répéter consciencieusement la prestation qu'ils comptent présenter les 19 et 20 octobre, se rongeant les ongles de temps à autre. Effectivement, la tension monte à Beijing à l'approche de l'étape des présélections de la compétition « les As du français ».

Premier concours de français télévisé

Ce concours a été organisé cette année par CCTV-F, la chaîne francophone de la Télévision centrale de Chine, qui souhaitait fêter en grande pompe le cinquantenaire de l'établissement des relations diplomatiques sino-françaises le 27 janvier 1964, sous l'initiative du Général de Gaulle et de Mao Zedong. Dès lors, les liens entre la Chine et la France n'ont cessé de se resserrer, au niveau économique, avec une coopération de longue date dans les secteurs de l'aéronautique, du nucléaire civil et de l'automobile, tout comme au niveau culturel, avec la mise en place notamment des Années linguistiques croisées, de la fête de la Francophonie ou encore du festival Croisements.

« Les As du français », premier concours de français télévisé, s'ajoute donc à cette liste d'évènements où « Confucius rencontre Molière », pour reprendre les termes de son slogan. Mais Wang Botao, responsable du groupe 1 actualités à CCTV-F et initiateur du concours, avoue l'autre objectif dissimulé sous ce discours officiel : « Face à l'émergence des nouveaux médias, les cinq chaînes en langues étrangères de CCTV cherchent à se démarquer. »

Les inscriptions ont débutées dès mai 2013, avec le choix pour les candidats de se présenter aux épreuves préliminaires se déroulant à Wuhan (juin), Guangzhou (juin), Shanghai (septembre) et Beijing (octobre), ou d'envoyer une vidéo de leurs prouesses via Internet. Les participants doivent alors démontrer l'étendue de leurs capacités linguistiques et de leur talent artistique en un temps limité : 5 min de performance (chant, sketch, danse, etc.) et 5 min de présentation et discussion avec le jury, le tout en français bien sûr.

Le français en pleine expansion

Dans une vidéo, une candidate dénommée Zhao Ke'er explique de façon très poétique, par une succession de dessins, avoir procédé à un choix de carrière saugrenu aux yeux de ses camarades de classe : à l'ère où l'anglais s'est imposé comme langue universelle, elle a décidé d'étudier le français, parlé par seulement 115 millions de locuteurs natifs (selon une estimation 2010 de l'Organisation internationale de la Francophonie).

Et pourtant, il semblerait qu'en Chine, la langue de Molière gagne en popularité. En 2011, d'après les chiffres du ministère des Affaires étrangères, plus de 100 000 Chinois apprenaient le français dans le cadre de leurs études, soit le triple par rapport à 2003. Rappelons en outre que ces statistiques n'incluent pas les Chinois qui s'initient à la langue française en autodidacte.

Alors, en quoi le français, avec ses fastidieuses règles de grammaire et de conjugaison, peut-il être attrayant ? D'abord, pour des raisons subjectives : le français, « langue de l'amour », serait agréable à écouter et reflèterait la vaste culture de la France. Mais des facteurs objectifs l'expliquent également : en plus d'être l'une des langues de travail de l'Organisation des Nations unies et de l'Union européenne, le français est une passe d'accès à divers pays et régions éparpillés autour du globe (France, Belgique, Suisse, Québec, Antilles, Polynésie, Madagascar, Maghreb, Afrique subsaharienne francophone...).

Le Canada, l'un des meilleurs pays au monde selon certains sondages, retient particulièrement l'attention des Chinois issus des classes moyennes supérieures, qui cherchent à s'y installer en entrant via le Québec. Mais pour ce faire, un certain niveau de français (et d'anglais) est requis. Ainsi fut un temps où les élèves chinois voulant se préparer au TCF Québec (test de connaissances du français pour le Québec) se bousculaient au portillon des Alliances Françaises, une institution centenaire qui s'évertue à promouvoir la langue et la culture françaises aux quatre coins du monde. Toutefois, Laurence, professeure à l'Alliance Française de Beijing Xihai, remarque : « Récemment, toutes les Alliances Françaises en Chine ont enregistré une baisse de fréquentation, car le Canada a élevé son niveau d'exigences de B1 à B2, ce qui a démotivé de nombreux candidats ». En sachant que pour prétendre au niveau B1, un an de cours intensif (environ 500 heures) sont déjà nécessaires...

Certains, la tête pleine de projets, tournent plutôt leur regard vers l'Afrique, continent en plein essor. En 2010, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l'Afrique, et les liens d'amitié entre les deux régions ne cessent de se resserrer. Les jeunes Chinois voient donc l'Afrique comme un continent prometteur d'emplois et d'avenir. Mais Laurence précise que cette catégorie d'élèves reste minoritaire dans ses classes.

Et sinon, pourquoi participer à ce concours ?

« Je ne savais vraiment pas combien de personnes allaient s'inscrire », avoue Wang Botao, qui entretenait quelques craintes quant à l'organisation de cette première édition. Mais les candidats ont été au rendez-vous. « Au final, nous avons reçu un total de 400 candidatures : environ 160 pour Beijing et une cinquantaine dans chaque autre ville. À Wuhan, Guangzhou et Shanghai, nous avons pu faire passer tous les candidats en l'espace d'une journée. Mais pour Beijing, avec 160 inscrits, ce serait tout bonnement impossible. Nous avons donc été contraints de faire des choix. » Les présélections de Beijing se feront en effet en deux temps. La première journée, les candidats seront évalués sur la base de leur niveau de français. 48 seulement reviendront le lendemain, pour être jugés selon leur profil et leur prestation scénique.

Alors qu'est-ce qui motive ces candidats ? Wang Botao nous répond directement que cette question, posée inlassablement par les juges français aux participants, se révèle « gênante ». Certains jouent les démagogues (« j'ai toujours aimé parler le français ») ; d'autres admettent des vérités plus difficiles à entendre (« je veux gagner, tout simplement »).

Hors caméras, Pan Wang, une participante inscrite aux présélections de Beijing, déclare honnêtement ses intentions : « Premièrement, je vais y participer pour examiner mon niveau de français. Deuxièmement, il existe la possibilité de travailler pour CCTV-F, qui est l'organisateur de ce concours et qui serait un des établissements professionnels idéaux pour moi. Malheureusement, le français est une langue étrangère minoritaire en Chine et j'ai rarement l'occasion de l'utiliser dans mon travail, bien que je continue quand même à l'apprendre chaque jour, par la lecture des journaux français. »

Un concours ouvert, source de défis

Ce concours se voulait ouvert au plus grand nombre, imposant seulement deux prérequis pour l'inscription : avoir plus de 18 ans et être de nationalité chinoise. Wang Botao commente : « Le niveau des candidats n'était pas homogène, et si c'était à refaire, nous réfléchirons peut-être à les répartir par catégories, bien que cela soit compliqué, car les apprenants affichent des parcours très variés. Faudrait-il les classer selon leur nombre d'années d'apprentissage ? Le temps qu'ils ont passé dans un pays francophone ? Ce n'est pas si facile de mettre ainsi les gens dans des cases... »

« Les As du français » était aussi ouvert à toute forme d'art, ce dont se félicite Wang Botao : « Je me suis régalé ! Les représentations des candidats étaient une vraie surprise à chaque fois. Beaucoup m'ont profondément touché. En revanche, bien que je revendique cette liberté, celle-ci n'a pas facilité le travail des jurys, car les critères ne sont pas les mêmes selon qu'on évalue une chanson ou une danse par exemple. »

Quand je lui demande enfin pour qui il a eu un coup de cœur, l'organisateur indique que beaucoup ont retenu son attention. Cependant, il se souvient en particulier d'un certain Zhang Xiaoming, professeur à l'université de Nanjing, qui avait participé aux présélections de Shanghai, en compétition avec quelques-uns de ses élèves. « Il était passé dans les derniers et avait livré une performance remarquable à tous égards. Le public n'avait cessé de l'applaudir. » Mais au vu de son poste, il apparaissait injuste de le sélectionner, malgré l'ampleur de son talent. Pendant les délibérations à huit clos, les juges ont alors convenu d'improviser un prix spécial pour ce monsieur et de l'inviter à assister à la grande finale de Beijing. Ce dernier a bien pris la décision, affirmant qu'il rêvait depuis longtemps de ce concours télévisé, une occasion précieuse pour lui de se produire sur scène. Mais la culpabilité que ressentait Wang Botao n'avait pas été apaisée pour autant : « De retour chez moi, j'ai créé un microblog pour faire l'éloge de ce professeur. Je ne m'étais toutefois pas attendu à ce qu'il soit relayé par près de 300 internautes par jour ! »

À l'heure actuelle, 18 participants ont déjà été sélectionnés et 12 autres le seront lors des présélections de Beijing. Ainsi, lors de la grande finale qui aura lieu à la mi-décembre dans la capitale, s'affronteront 30 as, sous l'œil bienveillant des chanteuses Shang Wenjie et Joyce Jonathan qui viendront les encourager. À la clé, un séjour en France financé par l'ambassade de France en Chine et la possibilité d'intégrer CCTV-F dans le cadre d'un stage. Alors bonne chance à tous et que les meilleurs gagnent !

 

La Chine au présent

 

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