CHINAHOY

28-November-2013

Une histoire belge de pandas géants

 

Les pandas sauvages vivent principalement dans les régions montagneuses autour du bassin du Sichuan, au centre-ouest de la Chine. Espèce endémique en Chine, ils sont inscrits dans le livre rouge des animaux menacés de disparition en Chine, et jouissent du statut de « trésor national ».

 

BRUNO VANDERGUCHT, membre de la rédaction

C'est à la fin de l'hiver que les jeunes pandas géants chinois Xinghui et Haohao devraient quitter leur base de Wolong dans la province montagneuse du Sichuan et s'établir en Belgique, dans le jardin chinois du parc Pairi Daiza (jardin clos en persan, d'où vient le mot paradis) aménagé à leur intention. Seule une poignée de pays dans le monde ont bénéficié d'un tel honneur. La Chine en effet entend préserver l'espèce, réduite aujourd'hui à moins de 2 000 individus sauvages, et 341 en captivité. Elle ne les prête aux pays étrangers que sous des conditions sévères et dans le cadre d'un coûteux programme scientifique de reproduction.

« Le climat belge devrait convenir aux pandas, qui aiment le froid », explique Zhong Yi, directeur du département de la coopération internationale à l'Association de protection des animaux sauvages de Chine. Il connaît bien l'équipe de Pairi Daiza avec laquelle lui et ses collègues étaient en contact depuis longtemps pour préparer l'envoi des pandas en Belgique. Il ne comprend pas bien par contre la récente polémique entre Flamands et Wallons autour de l'accueil de ceux-ci, et dont un écho lointain est parvenu jusqu'en Chine. « Qu'ils viennent du Nord ou du Sud du pays, tous n'auront-ils pas l'occasion d'aller voir ces pandas ? » Il ne souhaite d'ailleurs pas s'étendre sur la question, et préfère insister sur ce nouveau succès dans la protection de l'espèce menacée, une entreprise d'envergure internationale selon lui. « Plus encore que le soutien financier au programme de recherche, la coopération scientifique internationale apporte une contribution très appréciée à la cause des pandas. »

Il y a 400 000 ans, on retrouvait des pandas sur un grand territoire s'étendant sur le Sud et le Sud-Ouest de la Chine, et jusqu'en Asie du Sud-Est. Aujourd'hui, ils sont cantonnés à six régions montagneuses séparées les unes des autres, essentiellement dans le Sichuan. Leur zone d'habitat totale ne couvre plus que 2,3 millions d'hectares, dont 60 % font partie de réserves naturelles protégées. « Les pandas en captivité vivent plus longtemps. Ils peuvent vivre plus de trente ans, alors que les pandas sauvages ne vivent qu'une vingtaine d'années en moyenne, explique Zhong Yi. Les plus gros dangers qui les menacent sont la perte de leurs dents et la difficulté à trouver une nourriture adéquate. Leur tube digestif inefficace les oblige à ingurgiter des quantités phénoménales de bambous pour absorber des nutriments en quantité suffisante. En outre, les pandas sauvages ne peuvent manger que 26 types de bambous seulement, et il faut constamment s'assurer que les forêts en sont pourvues en suffisance. Les pandas en captivité par contre peuvent s'accomoder d'autres types de bambous. Bref, les pandas dans les parcs animaliers constituent une partie essentielle de la protection de l'espèce. » Aujourd'hui âgés de quatre ans, les deux pandas Xinghui et Haohao seront bientôt en âge de se reproduire. Fin 2012, seuls 39 pandas prêtés par la Chine vivent à l'étranger.

Mais revenons à la querelle belgo-belge. Au mois de septembre, la polémique avait enflé en Belgique lorsque le zoo d'Anvers avait appris que le premier ministre belge, Elio Di Rupo, allait soutenir la candidature du parc animalier Pairi Daiza auprès du gouvernement chinois pour accueillir des pandas. Il a fait savoir son mécontentement et a été relayé par une députée du Parti indépendantiste flamand, de la partie néerlandophone du pays. On soupçonnait en effet le premier ministre francophone, socialiste et wallon, d'avoir favorisé une entreprise de sa région au détriment du zoo d'Anvers, vénérable institution située en Flandre, également désireuse depuis longtemps d'accueillir des pandas. Le ministre président de la région flamande, Chris Peeters, du Parti chrétien démocrate, avait lui aussi fait savoir qu'il demanderait au premier ministre de s'expliquer sur le sujet. La querelle a ensuite été largement répercutée (voire amplifiée) dans la presse étrangère, surtout dans les pays voisins de la Belgique.

Le zoo d'Anvers a été fondé en 1843 sous patronage royal. En 170 ans d'existence, il est resté le jardin zoologique le plus réputé du pays, et accueillerait aujourd'hui environ 1,3 million de visiteurs annuellement. Mais voilà, le zoo d'Anvers a vieilli, et, en tant que zoo urbain, l'espace dont il dispose est restreint. Pairi Daiza par contre peut se prévaloir d'un domaine de plus de 55 hectares au sein duquel est aménagé un jardin chinois de plus de 45 000 m², le plus grand d'Europe, baptisé « le rêve de Han Wu Di », du nom d'un des plus puissants empereurs qu'ait connu la Chine antique. Aujourd'hui la fréquentation du parc explose. En 2013, elle a pour la première fois franchi le cap du million de visiteurs.

Au cours de la polémique, alors que la presse francophone célébrait la réussite de l'entreprise, la presse flamande, elle, insistait surtout sur les dessous financiers de l'affaire. Les pandas, c'est aussi une affaire de gros sous ! L'association à laquelle l'État chinois a confié la protection des pandas géants demande entre 500 000 et un million d'euros par an pour un couple. Si un bébé vient à naître, il faut débourser 380 000 euros de plus. Cet argent aide à financer un programme chinois de reproduction de l'espèce menacée. Par ailleurs, Pairi Daiza affirme avoir dépensé plus de huit millions d'euros pour aménager les lieux, et cela n'inclut pas les frais en soins et en expertises. Un panda, cela peut représenter plusieurs centaines de milliers d'euros par an, soit le coût de vingt éléphants, l'animal le plus cher du zoo. Mais les bénéfices escomptés compenseraient largement ces investissements. Le PDG du groupe a annoncé qu'il s'attendait à un sursaut de la fréquentation d'environ 20 %, et que le prix du billet serait revu à la hausse. Outre les ventes directes, il faudra aussi s'attendre à des rentrées indirectes, comme la vente de souvenirs, peluches ou gadgets, qui peuvent rapporter des dizaines de milliers d'euros, ainsi qu'à d'importantes rentrées publicitaires, par le biais du sponsoring d'entreprises ou de multinationales désireuses de s'associer à l'aventure, comme cela s'est passé pour d'autres zoos ayant accueilli des pandas. Enfin, il y aura aussi des retombées sur l'économie locale. Le gouvernement régional wallon a d'ailleurs déjà annoncé son intention de construire une route pour desservir directement le parc animalier.

Stefan Blommaert est le correspondant de la chaîne radio-télé publique flamande à Beijing. Il a accompagné la délégation du ministre président flamand pendant sa tournée en Chine, et était présent quand il a annoncé qu'il demanderait des comptes au premier ministre sur l'affaire des pandas. Mais il pense que cette querelle, sur laquelle on le bombardait de question, ennuyait probablement le ministre. Pour Stefan Blommaert, il s'agit au bout du compte seulement du mécontentement du zoo d'Anvers, qui a été récupéré politiquement, et puis monté en épingle par la presse qui est allée jusqu'à parler d'un « pandagate ». Mais tout cela est un peu ridicule. Il pense, contrairement à ce qu'ont pu déclarer certains journaux étrangers, que les Flamands, loin d'avoir été mis en colère par cette affaire, la prennent avec humour et en rient. Quant à l'image de la Belgique en Chine, elle n'a probablement pas trop souffert, car la presse chinoise n'a pas beaucoup abordé le sujet.

Nicolas Baras est journaliste au service politique de l'agence de presse nationale bilingue Belga. Pour lui, il est plutôt surprenant que cette affaire ait pris une dimension communautaire, Flamands contre Wallons. « En Flandre, certains ont dénoncé du favoritisme dans le choix du premier ministre. Pairi Daiza est situé près de Mons, le fief d'Elio Di Rupo. Il ne faut toutefois pas surestimer ces réactions. Au total, la polémique a plutôt fait sourire. Quant au premier ministre, il est resté assez discret, même s'il s'est défendu de tout favoritisme. »

Le quotidien de Guangzhou commente largement la querelle, sous forme d'un petit débat entre trois de ses journalistes : « Même si ce sont les pandas qui ont déclenché la querelle, la vraie cause est à chercher dans les divergences politiques, économiques et culturelles qui perdurent depuis longtemps entre les deux communautés. Aujourd'hui, un rien suffit pour exacerber les tensions latentes. » explique l'un d'eux, tandis qu'un autre s'étonne que le trésor national des Chinois, si mignon et pacifique, ait pu jouer le rôle de déclencheur. Il y voit un signe de la profondeur de la mésentente. « Mais peut-être les pandas ont-ils finalement joué leur rôle pacificateur car on peut déjà ressentir une forme d'apaisement dans le conflit. » Enfin, un des journalistes rappelle que les Anglais aussi s'étaient montrés mécontents quand des pandas avaient été prêtés à un zoo écossais. Pour lui, cela montre surtout à quel point tout le monde aime désormais les pandas.

Conclusion : cela va faire deux ans que le pays est sorti de la plus longue crise politique de son histoire, suite aux élections du 13 juin 2010 qui avaient vu le Parti indépendantiste flamand arriver en tête des élections dans la partie nord du pays. Les dégâts causés par la querelle – le pays se voyait entre autre menacé par une dégradation de la note sur sa dette souveraine – avaient finalement obligé les hommes politiques à une forme de désescalade verbale qui reste de mise aujourd'hui, comme l'illustrent les propos du ministre président flamand lui-même : « Je demanderai des comptes au premier ministre, mais je peux me passer d'une nouvelle dispute politique pour des pandas ». Il semble d'ailleurs que la polémique soit retombée assez vite dès lors qu'on a su que seul Pairi Daiza avait présenté un dossier aux autorités chinoises et que lui seul aussi avait demandé au gouvernement belge d'appuyer sa requête. Ni le zoo d'Anvers, ni les hommes politiques flamands n'ont d'ailleurs plus mentionné l'affaire depuis. Vu de Chine en tous cas, la polémique paraît bien futile.

 

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