CHINAHOY

31-October-2013

Le rêve artistique d’enfants ruraux

 

De nombreux cours sont enseignés individuellement.

 

ZHU HONG, membre de la rédaction

On oublie trop souvent que l’art participe à la formation de la personnalité chez les plus jeunes. À travers la Fondation Hefeng, Li Feng et ses collaborateurs fournissent un enseignement artistique gratuit aux enfants ruraux, gages de l’avenir des campagnes chinoises.

Des sentiers poussiéreux, des petites maisons rurales basses, puis une cour où sèchent à l’air libre des céréales : bienvenue à Duancun, un bourg ordinaire dans la province du Hebei. Ici, chaque week-end, Feng Hongli amène sa fille de dix ans, Liu Yipeng, à l’école Xidi, où celle-ci apprend la clarinette. L’établissement propose également des cours de violon, de trompette et même de chorale, dont le charme envoûte tout le village jusque dans ses moindres recoins.

Et tout cela n’aurait jamais vu le jour sans la Fondation artistique Hefeng de Beijing, qui se consacre à l’éducation et à la promotion de l’art. Son fondateur, Li Feng, estime que l’art possède un grand pouvoir capable de vaincre la pauvreté, car il aide les enfants miséreux à prendre confiance en eux et à se sentir digne. À l’heure actuelle, la fondation coopère avec des écoles rurales pour promouvoir l’éducation artistique auprès des élèves du primaire dans les campagnes. Elle leur envoie non seulement des enseignants professionnels, mais forme également des professeurs locaux et des bénévoles, ouvrant ainsi l’accès à tout un répertoire de cours (musique, danse, peinture, théâtre, etc.). La fondation finance en outre le matériel nécessaire tels que les instruments de musique, le matériel de peinture ou encore les manuels.

Semer des graines d’art

Liu Yipeng, tout excitée, nous raconte le jour où elle a voulu faire partie de l’orchestre de l’école Xidi. C’était au mois de décembre, en plein hiver, une journée où le vent du nord soufflait bien fort. Mais le mauvais temps n’avait pas découragé les enfants du village, qui, accompagnés de leurs parents, s’étaient dirigés vers l’établissement. Li Feng avait apporté un vieux téléviseur 20 pouces, qu’il avait pris dans le bureau du chef du village, afin de diffuser un spectacle dirigé par un orchestre professionnel. Le groupe de musiciens, chiquement habillés, jouaient pour certains des instruments totalement inconnus des marmots. À la fin, Li Feng a annoncé aux spectateurs : « Vous venez d’écouter l’ouverture d’Egmont, l’un des grands classiques de Beethoven. »

Liu Yipeng a été impressionnée par cette œuvre mélodieuse, et notamment par la démonstration de clarinette d’un des garçons. Cet instrument l’a immédiatement attirée : « C’est la première fois que je voyais et écoutais une clarinette. » Et voilà, ce jour-là, presque tous les enfants s’étaient inscrits à des cours artistiques.

À l’heure actuelle, parmi les 600 écoliers qui résident dans le bourg de Duancun, 260 suivent gratuitement une formation artistique. Chaque week-end, des enseignants du Conservatoire central de musique, de l’institut central d’Art dramatique, de l’institut de Danse de Beijing et de l’Université normale de Beijing, parcourent plus de 100 km pour « semer des graines d’art » auprès des enfants.

Lors de sa première leçon, Liu Yipeng était extrêmement nerveuse : « J’avais peur de faire une bêtise et de détraquer l’instrument. » Elle ouvrait grands ses yeux et grands ses oreilles afin de bien mémoriser chaque parole du professeur. Sa mère, Feng Hongli, à ses côtés, se montrait tout aussi sérieuse, écoutant le cours et prenant quelques notes. « Si en rentrant, elle a oublié certains passages, je pourrai les lui rappeler à la maison. » À ses yeux, il est très bon pour les enfants d’apprendre un art. Elle pensait déjà depuis longtemps faire appel à un professeur de musique pour sa fille, mais pour cela, il aurait fallu se rendre fréquemment au cœur du district, et les transports ne sont pas pratiques. Pour la plupart des villages du Hebei, l’éducation artistique semble toujours à mille lieues de là.

Depuis, chaque jour après le dîner, Liu Yipeng s’asseoit près de la meule dans la cour pour s’exercer à la clarinette pendant une heure. Après quatre séances à l’école, elle était déjà capable de jouer en entier Ah ! vous dirai-je, maman. Toute contente, elle s’était empressée de montrer ses prouesses à ses grands-parents et leur avait soufflé cet air à maintes reprises. Les deux personnes âgées avaient affiché un sourire large jusqu’aux oreilles.

Dorénavant, Liu Yipeng attend chaque week-end avec impatience pour assister à ses cours. En semaine, elle adore faire des représentations pour ses amis et ne peut s’empêcher d’étaler l’ampleur de ses connaissances sur la clarinette. À force de se voir complimenter sur ses progrès, elle a gagné en confiance en elle. Son frère, âgé de cinq ans seulement, est devenu son plus grand fan. Sa mère s’est aussi mise à s’intéresser à la musique. Parfois, en plein travaux agricoles, elle s’accorde une pause pour regarder à la télévision un concert symphonique. Feng Hongli commente : « J’ai découvert la beauté de ce genre de musique. »

Le mur de l’école est transformé en vitrine des travaux d'élèves.

 

L’art, bien plus qu’une compétence

Aux yeux de Li Feng, promouvoir l’éducation artistique n’a pas pour unique objet d’enseigner aux enfants une compétence : « L’art peut faire progresser les valeurs morales d’une personne et encourager sa créativité. L’apprentissage artistique recouvre formation esthétique, ainsi que développement de la confiance en soi, de la créativité et des facultés d’autodiscipline, des éléments qui influencent les enfants tout au long de leur vie. Avant d’ajouter : J’espère que la Fondation Hefeng fera comprendre à la population l’intérêt de l’éducation artistique et qu’elle contribuera ainsi au développement social de la nation. »

Li Feng confie : « Beaucoup me demandent pourquoi je m’attache à populariser l’art dans les villages alors qu’il y a encore tant de gens qui souffrent de la faim. Je leur réponds alors que l’art est un médicament extrêmement efficace contre la pauvreté. Mère Teresa a dit un jour que si certains hommes tombent dans la misère, c’est principalement parce que ces derniers ont perdu espoir. L’art peut justement raviver l’espoir de la société et faire grandir sa foi envers l’avenir. » Li Feng prévoit, dès qu’il aura un peu de temps, de louer une voiture pour faire visiter à ses amis le bourg de Duancun. « Je suis fermement décidé à faire découvrir et comprendre à autrui la cause pour laquelle je me bats. »

Malheureusement, se cantonnant à leur pensée pragmatique, nombreux sont ceux qui ne conçoivent pas les bienfaits de l’enseignement artistique. Par exemple, bien que la fondation prodigue gratuitement cours et instruments de musique aux élèves, des parents ne veulent pas que leurs enfants y participent, sous prétexte qu’ils ne sont pas capables de payer un accordeur à quelques dizaines de yuans ou parce qu’ils craignent que les frais augmentent. Par conséquent, la Fondation Hefeng a établi un comité des parents pour expliquer à ces derniers le rôle majeur joué par cette formation artistique et pour comprendre quelles sont leurs réticences, afin d’éliminer tout malentendu.

Afin de cultiver l’intérêt des enfants ruraux, les enseignants provenant des villes ne ménagent pas leurs efforts pour ajuster leurs méthodes d’enseignement. Par exemple, l’apprentissage du ballet traditionnel commence généralement par le travail de la souplesse, mais ces exercices pénibles et ennuyeux font fuir les élèves. Alors Guan Yu, professeur à l’institut de Danse de Beijing, a innové en abordant dès la première leçon les rituels du ballet. Il a expliqué aux enfants que le ballet tire son origine de la danse classique présentée à la Cour française, ce qui explique pourquoi cet art fait grand cas de la posture, de la tenue et de la discipline. Lors de la troisième séance, il a commencé à enseigner aux jeunes totalement novices un extrait de la Danse des petits cygnes. Après un mois, bien qu’ils fussent toujours débutants, ils étaient capables de présenter une danse dans son intégralité. Pour Guan Yu, l’objectif avait été atteint : « Il faut réussir à capter leur intérêt pour les plonger dans le monde merveilleux du ballet. » C’est seulement plus tard que Guan Yu avait commencé à imposer aux enfants la pratique stricte d’étirements, mais aucun n’avait abandonné pour autant. Et même quand l’enseignant n’est pas encore arrivé, les élèves entament leurs exercices de manière indépendante. Selon Guan Yu, l’aspect technique du ballet importe peu aux jeunes filles rurales. Mais le ballet est une discipline artistique qui peut changer leur vie à travers son enseignement à la beauté et à la bonté.

Li Ping a décrit avec enthousiasme son expérience en tant que professeur de beaux-arts : « En fait, c’était la première fois que je faisais cours à des enfants ruraux. Tout cela est encore nouveau pour moi. » Ainsi, au début, au lieu de commencer à enseigner le traditionnel croquis, il avait demandé aux enfants de mettre en dessin leurs pensées. Il avait également conduit les enfants au lac Baiyangdian, non loin de là, qui abrite quantité de lotus. Les enfants étaient à la fois heureux de partir en expédition et de prendre cette jolie fleur comme thème. Li Ping leur avait précisé que l’art ne représentait pas nécessairement la réalité, c’est-à-dire que les feuilles de lotus qu’ils dessinaient pouvaient prendre n’importe quelle forme : rondes, carrées...

Li Ping avait été agréablement surpris par la créativité de ces enfants et n’avait pas hésité à afficher leurs chefs-d’œuvre sur les murs de l’école. C’était la toute première fois qu’une exposition de ce genre avait lieu dans le bourg de Duancun, un évènement majeur qu’une foule de villageois était venue découvrir. Certains parents étaient ravis d’admirer les créations de leurs propres enfants ; d’autres ont demandé à la fondation comment inscrire leurs enfants à ces cours de beaux-arts.

Li Feng a conclu : « Désormais, les murs de l’école sont devenus une zone d’affichage de la créativité artistique de ces enfants ruraux, tandis que les murs qui séparent villes et villages, civilisés et ignorants, se sont un peu affaissés. »

La brise du Lotus, un ballet mis sur pied par des bénévoles pour les enfants de Duancun.

 

Rallier plus de gens à notre cause

« L’éducation à l’art dans le milieu rural est un processus de longue haleine. Il s’agit d’un mouvement balbutiant en Chine, auquel il va falloir se consacrer pendant encore plusieurs années avant de pouvoir en noter les résultats. Toutefois, si tout le monde ne se joint pas à l’effort maintenant, alors quand ? », s’est interrogé Li Feng.

Malgré la pression financière, les fausses idées du public et d’autres difficultés, Li Feng ne baisse pas les bras, car au fil de son aventure, il a rencontré tant de gens et vu tant de choses qui l’ont touché. Un week-end, après la classe, il avait fait visiter le village à plusieurs professeurs de ballet. Alors qu’ils arrivaient à la petite jetée, une femme s’est précipitée vers eux pour leur donner à chacun une bouteille d’eau, avant de s’enfuir tout aussi rapidement. Ils ont su seulement après que cette personne était en fait la mère d’un des élèves. « Ce petit geste m’avait profondément ému », s’est rappelé Li Feng. Il y a aussi ce professeur de musique à Baoding, qui après avoir entendu parler de la cause que défendait Li Feng, avait pris contact avec ce dernier, lui proposant de donner des cours gratuits au bourg de Duancun chaque week-end.

Aujourd’hui, Li Feng rêve que les villages chinois soient un jour tous emplis d’une atmosphère artistique. « Ces enfants qui apprennent l’art transmettront leur passion à leurs parents, changeant au fur et à mesure tout l’environnement social. L’art, par son pouvoir, guidera les enfants dans leur marche vers l’avenir et les poussera à bâtir des communautés rurales plus civilisées. »

Cet objectif semblait encore n’être qu’un rêve lointain aux yeux de Li Feng, avant que celui-ci ne mette ses plans en action. Quand il a observé les progrès considérables qu’avaient faits les enfants ruraux après quelques mois de formation seulement, il est devenu plus confiant envers l’avenir.

À l’heure actuelle, des administrations locales ont déjà entendu l’histoire miraculeuse du bourg de Duancun et invité la Fondation Hefeng à venir œuvrer dans leurs villages. Beaucoup d’entreprises également lui ont apporté un soutien financier. Li Feng souhaite profondément que le bourg de Duancun serve d’exemple à l’instauration d’un modèle d’éducation artistique rural complet, qui couvrirait une constellation de villages en Chine, pour qu’une majorité d’enfants en bénéficient.

Dans le même temps, il espère développer une série d’outils didactiques numériques, sous forme de petits dessins animés, qui soient spécifiquement destinés à l’enseignement artistique. « Je voudrais créer un groupe de personnages représentant chacun un art différent, personnages dont les péripéties éveilleront l’intérêt des enfants pour le domaine artistique, explique Li Feng. Les enseignants et bénévoles ne peuvent pas se déplacer jusque dans les villages de montagne reculés. C’est pourquoi j’envisage cette solution. »

Alors, combien de temps faudra-t-il pour que le rêve de Li Feng devienne réalité ? Ce dernier répond : « Peut-être 200, 300 ans, voire plus encore. Ma capacité d’action reste limitée, mais j’espère que toujours plus de monde se joindra à nos efforts, pour que l’art soit transmis de génération en génération. »

 

La Chine au présent

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