CHINAHOY

28-October-2013

Récit sur les artistes du thangka (1)

 

 

XUE MING*

Voici l'histoire d'une aspirante au doctorat d'anthropologie, qui pendant trois années, a vécu à Regong, au Qinghai, aux côtés d'un groupe d'artistes du thangka (peinture sur toile propre au bouddhisme tibétain). Cette expérience lui a donné matière à réfléchir.

Notre revue se propose de raconter, au travers de cinq numéros, l'histoire de ces artistes et leur recherche culturelle.

Le thangka est un art pictural unique dans la culture tibétaine, qui prend pour thème des domaines très variés tels que l'histoire, la politique, la culture et la vie sociale de l'ethnie tibétaine. Ainsi, à travers ces thangka, les artistes non seulement présentent au monde des images religieuses, mais témoignent également de leur propre vie.

En ce qui concerne les questions matérielles et spirituelles, relatives à la tradition et la modernité, ou encore à la valeur de la vie, les artistes du thangka ne m'ont donné aucune réponse définitive. Ce refus de trancher est en fait le principal gain que j'ai retiré de mon expérience. Une attitude qui permet de considérer les multiples facettes d'une chose et d'accepter l'imperfection. Ils ne vivent absolument pas dans l'aveuglement, mais se lancent au contraire dans une poursuite humble et courageuse de la vérité.

Je me rappelle encore d'un soir au début du printemps, où j'avais vu les rayons du soleil couchant pénétrer et éclairer de mille feux la toile blanche d'un artiste en train de tracer un brouillon pour son thangka. Sur le tissu, les traits esquissés du bouddha Sâkyamuni se distinguaient à peine. À ce moment-là, toute la chambre dans laquelle je me trouvais s'était emplie d'une magnificence tranquille, diffusant une atmosphère douce et éthérée.

En fait, cet artiste doit trouver cette scène embarrassante, car s'aider d'un brouillon placé au-dessous de la toile pour peindre un thangka plus rapidement s'éloigne de la méthode conventionnelle. Cependant, cet ouvrage, éclatant sous la lumière du soleil couchant, m'avait profondément touchée. À mes yeux, il transférait parfaitement la sincérité, la paix et la tranquillité de la vie humaine.

 

Des apprentis dessinent des thangka dans le studio de Longshu.

 

Mon affinité avec l'art du thangka

Après quelques kilomètres sur des sentiers escarpés et tortueux, notre voiture est arrivée dans une vallée plane. Tout à coup, tout s'est éclairé : le ciel bleu, les nuages pâles, les roches rouges, les arbustes verdoyants, les champs de blé dorés au pied des montagnes, les fumées de cuisine que l'on voyait s'élever d'une forêt de bouleaux, près de laquelle coulait une rivière… J'ouvre la fenêtre, laissant l'air caresser mon visage : l'odeur est une chose difficile à enregistrer et reproduire, mais qui peut facilement faire resurgir nos souvenirs. Le parfum du blé et des fleurs de colza, les effluves émanant du sol frappé par les flots, l'arôme des cyprès au sein des temples, les relents de bière du côté des jeunes hommes tibétains ivres… Tel apparaît l'été de Regong dans la profondeur de ma mémoire.

C'est en été 2009 que je suis venu pour la première fois à Regong, car j'avais choisi ce lieu comme site d'étude pour ma thèse de doctorat. Issu de la langue tibétaine, le nom « Regong » se traduit en chinois par toute une formule romantique : « vallée dorée, pays natal du rêve ». Cet endroit se situe dans le district de Tongren de la préfecture autonome de Huangnan (Malho en tibétain), dans la province du Qinghai. Je suis arrivé là-bas au moment où se déroulait une cérémonie de sacrifices pour les dieux de la montagne, célébrée chaque année du 17 au 25 juin du calendrier lunaire chinois. Impatient d'assister à ce grand festival, je me suis pressé de déposer mes bagages chez un jeune artiste du thangka, pour une période provisoire. Mais c'était sans compter sur le fait que sa famille me réserverait une place à leur table. Dès lors, mes trois années au contact des artistes du thangka ont commencé.

Dans cette « vallée dorée », se succèdent des générations d'artistes peignant les dieux. Dans le Grand Dictionnaire tibétain-chinois, le mot tibétain « thangka » est défini comme étant une « peinture sur rouleau qui utilise en général les plantes et les minéraux naturels comme matières premières et qui représente principalement des Jātakās (contes des nombreuses vies antérieures du bouddha Sâkyamuni), des coutumes traditionnelles et des personnages historiques. » En 2009, le thangka a été inscrit par l'UNESCO sur sa liste du patrimoine culturel et immatériel de l'humanité, de même que quelques autres arts propres à Regong, tels que les broderies Dui (duixiu) et les sculptures en argile.

Les artistes séjournent souvent temporairement dans d'autres provinces et régions, réalisant des thangka pour des temples bouddhistes et des pratiquants. Leur vie est pleine de contrastes harmonieux : la moitié du temps à cultiver les champs de blé dans leur village natal, l'autre moitié à fouler les régions lointaines ; une partie de leur concentration à peindre paisiblement les images du bouddha, l'autre à négocier le prix avec les acheteurs en s'appuyant sur leur mandarin médiocre ; et alors qu'ils perpétuent toute leur vie durant les rites religieux du bouddhisme, dans le même temps, ils profitent de la prospérité et de l'élan de la vie moderne.

Au cours de mon séjour dans cette zone tibétaine, j'ai fait la connaissance de nombreux artistes du thangka, qui en me présentant leur œuvres, m'ont ouvert une fenêtre sur leur vie réelle. Après de longues conversations et de profondes pensées, ces gens ne sont plus, à mes yeux, des silhouettes vagues derrière la toile, et les portraits qu'ils dessinent ne sont plus non seulement des images du bouddha, mais aussi le reflet de leur propre existence. (À suivre)

*XUE MING est une doctorante en anthropologie qui étudie à l'université de Californie de Los Angeles.

 

La Chine au présent

Liens