CHINAHOY

28-October-2013

Les films chinois pour les jeunes, reflet des époques

 

Photo prise en 1994, le réalisateur Jiang Wen et les principaux acteurs du film In the Heat of the Sun.

 

TANG YUANKAI

Jiang Wen est revenu récemment de Venise, où il a participé à la 70e Mostra de Venise en tant que membre du jury.

En tant que l’un des meilleurs acteurs chinois, Jiang Wen a pourtant commencé sa carrière en tant que réalisateur. Et c’est à Venise qu’il s’est fait un nom dans le milieu du cinéma international : en 1994, Xia Yu, un lycéen de 17 ans, y a remporté le prix du meilleur acteur pour son rôle dans In the Heat of the Sun, le premier film dirigé par Jiang Wen.

L’hebdomadaire Time a classé ce long-métrage en tête de sa liste des dix meilleurs films au monde, le présentant comme l’un des plus remarquables chefs-d’œuvre de l’année 1994, à voir et à revoir. Ce film innovant, tant au regard de la forme que du contenu, a marqué l’entrée du cinéma chinois dans une nouvelle ère.

In the Heat of Sun a été adapté du roman Wild beast rédigé par l’écrivain chinois Wang Shuo, qui décrit dans cette ouvrage la jeunesse ennuyeuse, exaltante et parfois un peu violente et triste d’un groupe d’enfants de Beijing, au moment de la Révolution culturelle. Le réalisateur a souligné le côté dramatique de cette histoire, sans pour autant s’éloigner de la réalité de l’époque. Le décor et des détails qui semblent insignifiants reflètent en fait fidèlement le contexte social de cette période, comme par exemple les chants révolutionnaires hurlés par les hauts-parleurs, les slogans du même type placardés dans les rues, les décorations subtiles dans les maisons, etc.

Ce film est si authentique qu’on pourrait le comparer à une collection de vieilles photos jaunies, qui retracent sans leurre les souvenirs des gens ayant vécu en ce temps-là. Si les spectateurs restent profondément ému par ce film, c’est sans doute parce qu’ils découvrent, au travers de cette succession d’images riches de sens, quelles étaient les relations entre société et individu, ainsi qu’entre culture et psychologie, au cours de cette période. Et quand le film se termine, il semble que c’est tout un âge qui prend fin.

L’ère Tiny Times

Le 27 juin, Wang Jiaqi, une jeune fille de 17 ans originaire de Kaifeng (Henan) s’est ruée vers les salles obscures. C’était la date de la sortie de Tiny Times. Elle a acheté 12 billets pour visionner ce film avec ses camarades.

Ce même jour, Tiny Times a été projeté 36 000 fois en Chine, attirant dans les cinémas 2,3 millions de personnes, qui ont déboursé un total de 72 millions de yuans pour le regarder. Tiny Times s’est imposé directement premier film chinois en 2D au box-office. Puis, il s’est bientôt hissé en tête du box-office national avec des recettes de 468 millions de yuans, détrônant le blockbuster hollywoodien Superman: Man of Steel.

Le 8 août, Tiny Times 2 est sorti en salles. Grâce aux fans, les places se sont écoulées à hauteur de 97 millions de yuans durant les deux premiers, un chiffre bien supérieur aux revenus générés par les deux autres longs-métrages projetés à la même période.

Cependant, à l’exception des fans, le public a qualifié ces deux volets de Tiny Times de « navets ». Et les débats et querelles à ce sujet n’en finissent pas d’enflammer Internet.

Il s’agit des premiers essais cinématographiques de Guo Jingming, un écrivain né après 1980. Prenant pour arrière-plan l’élégante métropole économique de Shanghai, ces deux films racontent l’histoire de quatre jeunes filles, avec des conceptions et des valeurs différentes, dont la vie sentimentale – amicale, amoureuse ou familiale – prend un tournant. Les scènes mettent en lumière le culte de l’argent et l’étalage qui est fait de la fortune et de la beauté, avec des personnages principaux vêtus de marques luxueuses de la tête aux pieds. À titre d’illustration, dans le scénario, un verre en soirée coûte 4 800 yuans ! La fille soi-disant « ordinaire » ne peut se le payer. Mais elle possède néanmoins plusieurs sacs d’une valeur de plus de 10 000 yuans. Des journalistes taiwanais se sont écriés : « Le matérialisme de Guo Jingming est effarant ! »

Guo Jingming a expliqué à plusieurs reprises qu’il dressait un portrait de cette génération avide de richesses pour justement critiquer ce culte de l’argent. Mais concrètement, ce thème de la cupidité et du « m’as-tu-vu » n’apporte aucun charme au film, car le rêve naïf de strass et de paillettes qu’a composé Guo Jingming sur écran déforme en fait les véritables valeurs des jeunes.

Datatopia, un organisme d’études créé par des étudiants de l’université Tsinghua, a mené des enquêtes et analyses sur les spectateurs des deux épisodes de Tiny Times, à partir du microblog des films. Selon les résultats, la population la plus active sur le microblog correspond aux fans, dont la moyenne d’âge se situe autour de 20,3 ans. Ce groupe est composé à plus de 80 % de femmes, qui résident principalement dans des grandes et moyennes villes. « Le secteur cinématographique risque de suivre ce mauvais exemple, c’est-à-dire de chercher à satisfaire le goût avili des masses populaires pour s’assurer une bonne position dans le box-office, tout en réduisant les exigences de qualité des productions », déplore un internaute. Le Quotidien du peuple, premier journal chinois, s’est opposé dans un article à ces films qui considèrent « l’enrichissement comme un objectif et la consommation comme un dogme », craignant que Tiny Times reste encore longtemps une référence.

Auparavant en Chine, les films destinés à la jeunesse, qui portaient principalement sur la Guerre de résistance contre l’agression japonaise, la révolution et la construction de la Chine nouvelle, étaient empreints d’une énergie positive, qui a encouragé plusieurs générations. Xiu Ruijuan, première Chinoise dans l’histoire à avoir donné son nom à une théorie médicale connue internationalement, avait confié à Qin Yi, une vedette chinoise : « C’est à vous que je dois tout ce que j’ai réalisé jusqu’aujourd’hui. » En effet, c’est à l’âge de 12 ans, quand elle a vu au cinéma Qin Yi en héroïne dans un film sur la Guerre de résistance contre l’agression japonaise, que Xiu Ruijuan a décidé de sa carrière médicale future.

De nos jours, de nombreux jeunes réalisateurs continuent à s’intéresser à la jeunesse. Il est appréciable de voir qu’en grandissant, ils n’ont pas renoncé à leurs idéaux. Dans le récit que ces cinéastes font de l’époque qu’ils ont connue, les jeunes spectateurs d’aujourd’hui trouvent des résonances avec leur vie actuelle.

 

Scène du film So Young.

 

Une époque traversée ensemble

Suite au récent succès phénoménal du film taïwanais You Are the Apple of My Eye, les scénaristes chinois se sont presque tous concentrés sur le sujet inépuisable qu’est la jeunesse, déclenchant un printemps du cinéma chinois. Au 4 août dernier, les longs-métrages So Young, American dreams in China et Tiny Times avaient généré respectivement des recettes de 709 millions, 534 millions et 468 millions de yuans au box-office.

Vicki Zhao, aspirante-chercheuse en cinéma, a débuté sa carrière de réalisatrice avec le fameux So Young. Ce film montre la vie ordinaire d’un campus universitaire dans les années 1990, à son époque donc. En présentant notamment les chagrins d’amour des étudiants, Vicki Zhao part à la recherche du temps perdu en traitant des émotions avec une touche de nostalgie. Simultanément, en ancrant son œuvre dans cette époque et cette société, elle explique de manière lucide ses valeurs actuelles.

La cabine téléphonique à l’extérieur du dortoir, le couloir semblant sortir d’un autre temps, les chambres tapissées de posters des stars de l’époque, le best-seller de l’auteur américain John Gray Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus posé sur la table, les lits superposés, les plaques à induction, les ventilateurs de bureau, le professeur répétant à ses élèves d’éteindre leur pager qui sonne sans arrêt... Tous ces détails ramènent l’audience dans le passé. Les personnes nées dans les années 1950 et 1960, ou encore 1980 et 1990, peuvent chacunes, à travers ce film, se remémorer les souvenirs qu’ils gardent de cette époque.

Les Chinois qui ont vu le jour dans les années 1970, comme Vicki Zhao, née en mars 1976, à la fin de la Révolution culturelle, ont mené une vie confuse : on leur a inculqué des sentiments patriotiques alors qu’ils étaient bercés par une vague d’individualisme. Ils ont vécu dans une « période de transition » vers l’époque contemporaine.

Malgré les efforts passionnés qu’a déployés Vicki Zhao pour reconstituer l’époque de sa jeunesse, celle-ci n’a pas pu s’affranchir des facteurs extérieurs relatifs à la production de films, dans notre ère caractérisée par la recherche du profit.

Ainsi, des marques qui n’existaient pas encore à cette époque-là sont promues dans le film. Il convient d’ajouter que la population née dans les années 1970, qui a vraiment vécu cette période, éprouve moins d’intérêt pour ces films dont l’histoire se déroule dans l’ancien temps : « Nous sommes désormais au XXIe siècle. Notre jeunesse ne reviendra jamais. Et même si l’on se laisse quelques instants transporter dans le passé, notre voyage est vite gâché par l’intrusion commerciale ! » a commenté un internaute en colère. Sachant également que le financement du film a rencontré quelques obstacles durant le tournage, cette même personne ajoute : « Cela prouve qu’actuellement, il est quasiment impossible de produire une œuvre pure. »

Le réalisateur hongkongais de renom, Peter Chan, en utilisant ses propres ressources financières abondantes, a mis en scène dans la partie continentale de la Chine American dreams in China, qui retrace une époque qu’il n’a même pas connue. Le film raconte les péripéties d’une bande de trois amis à l’université dans les années 1980, qui sont contraints de choisir leur avenir, activement ou passivement, à l’heure où la tendance est à l’émigration. Après que leur propre « rêve américain » se brise, ils tirent parti du « rêve américain » poursuivi par des milliers de Chinois pour réaliser enfin leur « rêve chinois ». L’intrigue s’étale sur une période de trente ans, mais chaque détail a été minutieusement respecté, comme par exemple l’évolution des coiffures des protagonistes et les classiques du rocker Cui Jian qu’on entend en fond musical. Ces éléments ont ravivé chez les spectateurs les souvenirs du bon vieux temps.

Du point de vue artistique, cette production, qui s’intéresse à des jeunes faisant l’expérience de trahisons amoureuses et de l’effondrement de leurs rêves, aurait pu traiter ces sujets sous des angles plus variés et approfondir davantage sa recherche sur la nature humaine. Cependant, le scénario étant inspiré de l’histoire vraie de la fondation de l’institut privé de langues étrangères New Oriental, le déroulement et la fin du film étaient a priori déterminés. Dans ce cadre limité, seul l’esprit d’initiative est la valeur mise en avant dans le film.

American dreams in China a d’ailleurs été la cible de critiques lui reprochant de faire l’éloge du succès sans proposer de réflexion sur la société de surconsommation actuelle.

« Le plus difficile dans la vie, ce n’est pas d’obtenir le succès, mais de procéder à des choix, a déclaré Tang Ying, un responsable de 30 ans travaillant pour une société étrangère, après avoir visionné le long-métrage. À la fin de mes études universitaires, j’ai fait rire mes camarades lors de mon discours d’adieu lorsque j’ai déclaré : suivre des cours à l’université ou à l’étranger n’a pas pour objectif de nous transformer en agent économique à forte productivité. Nous devons avant tout rechercher le sens profond de la vie et ne pas se laisser distraire par des détails mineurs comme notre profession au quotidien, car à un moment donné, il est nécessaire de faire face à la réalité... »

 

La Chine au présent

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