CHINAHOY

26-September-2013

Les étrangers en Chine : l’appât du gain ou l’attrait de l’Orient ?

 

Simon Criqui et son épouse chinoise

 

Bruno Vandergucht, membre de la rédaction

Depuis le début de la politique de réforme et d’ouverture, le nombre d’étranger venant vivre et travailler en Chine a crû considérablement. Qu’est-ce qui les incite à effectuer des séjours de plus en plus longs, voire à s’installer en Chine de manière permanente ? Sont-ils motivés par l’argent, ou par l’attrait d’une culture étrangère ?

Quelques chiffres

Depuis la réforme et l’ouverture avec Deng Xiaoping, l’augmentation du nombre d’étrangers, travailleurs, étudiants ou autres, résidant en Chine sur le long terme (plus de trois mois) a été exponentielle. De 20 000 environ en 1980, ils sont passés à 150 000 en 2000, puis à 600 000 en 2011. Si on ne tient compte que des travailleurs, ils sont passés de 74 000 en 2000 à 220 000 en 2011. Une augmentation impressionnante donc, mais il faut noter que la proportion de résidents étrangers par rapport à la population totale reste insignifiante (0,05 %), surtout si on la compare avec les pays occidentaux.

La durée moyenne du séjour des étrangers a, elle aussi, eu tendance à augmenter. En 2006, le nombre d’étrangers employés pour plus de trois mois a pour la première fois dépassé celui des étrangers employés pour moins de trois mois. Sur les 600 000 étrangers résidant en Chine recensés en 2010, environ 250 000 étaient là depuis cinq ans ou plus. Enfin, un peu partout, il y a les vieux de la vieille, ceux qui ont déjà passé 20 ou 30 ans en Chine. Ceux-là aussi sont de plus en plus nombreux.

Mais il faut noter toutefois que quelle que soit la durée, l’immense majorité des étrangers finit par rentrer un jour au pays, ce qui montre que la Chine n’est pas encore vraiment devenue un pays d’immigration. L’accession à la nationalité chinoise reste globalement assez rare. Pour les ressortissants des pays riches toutefois, elle montre peu d’intérêt, car elle impliquerait de devoir renoncer à sa nationalité d’origine. (La Chine n’accorde pas la double nationalité.)

Si l’on trie les travailleurs (y compris ceux de Taiwan, Hong Kong et Macao) selon leurs branches d’activité, et en prenant l’année 2009 comme référence, on voit que la vaste majorité d’entre eux (environ 54 %) était employée dans l’industrie manufacturière. Viennent ensuite les enseignants (20 %), le secteur du crédit-bail et des services commerciaux (7 %), le secteur de la vente en gros et au détail (6 %), l’hôtellerie et la restauration (à peine 2 %), etc. Si l’on n’inclut pas les travailleurs de Taiwan, Hong Kong et Macao, le pourcentage d’étrangers actifs dans l’enseignement ou accessoirement la culture devient toutefois nettement plus important : 44 %. L’industrie manufacturière ne représentant plus que 38 % du total. On peut imaginer que les motivations des étrangers à venir en Chine varieront fortement selon la branche d’activité dans laquelle ils sont actifs.

Motivation première : l’argent ?

Selon l’enquête annuelle menée par la banque HBSC auprès d’expatriés du monde entier, en 2012, la Chine arrivait onzième au classement des meilleures destinations pour les expats. 49 % des sondés déclaraient venir en Chine pour augmenter leurs revenus, et 69 % disaient gagner plus d’argent qu’avant. Les enquêteurs se sont efforcés d’avoir un échantillon aussi représentatif que possible des expats, pris au sens large de « résidents de nationalité étrangère ».

En fait il existe une très grande disparité de salaires entre les différentes catégories d’expatriés. Certains profs par exemple doivent se satisfaire de 4 000 yuans ou moins par mois (500 euros), là où la plupart gagnent entre 5 000 et 15 000 yuans (entre 600 et 1 800 euros). Quelques uns peuvent gagner jusqu’à 30 000 yuans (3 700 euros). Dans certains secteurs de l’industrie manufacturière (automobile, pharmacie, hi-tech, ingénierie, etc.), les salaires varient entre 13 000 et 53 000 yuans (entre 1 600 et 6 600 euros), à quoi s’ajoutent aussi souvent des allocations de logement variant entre 10 000 et 50 000 yuans (entre 1 200 et 6 000 euros), des allocations pour l’éducation des enfants, des primes d’expatriation, etc. Dans d’autres secteurs, les étrangers perçoivent en général au minimum 10 000 yuans (1 200 euros). En tous cas, ce sont clairement les experts envoyés depuis leur pays directement par leur firme qui remportent le gros lot.

Romilly Koh, 51 ans, né à Singapour mais d’origine chinoise, ne fait pas grand mystère de la motivation première qui l’amène en Chine : l’argent. Envoyé en 2002 à Hong Kong par l’entreprise américaine pour laquelle il travaillait, il a eu l’occasion d’entrevoir une autre Chine que celle qu’on décrivait alors à Singapour. Jusque là, pour rien au monde il n’aurait voulu y mettre les pieds, tant l’image de la Chine misérable des années 1970 était ancrée dans son esprit. Mais il a commencé alors à découvrir une Chine en plein essor et porteuse de nouvelles opportunités. En 2007, il fonde sa propre compagnie. Aujourd’hui, il emploie 26 personnes. Ses revenus annuels oscillent entre 500 000 et 800 000 yuans (entre 62 000 et 100 000 euros) au moins. Depuis la réforme et l’ouverture initiée par Deng Xiaoping, les Chinois d’outre-mer ont joué un rôle important dans l’internationalisation de la Chine. En 2009, en plus des quelques 5 000 Singapouriens, il y avait 25 000 Hongkongais, 66 000 Taïwanais, et encore beaucoup d’autres descendants de Chinois parmi les dizaines de milliers de travailleurs en provenance d’Asie du Sud-Est. De tous les travailleurs venus de l’extérieur, les Chinois de souche forment la communauté de loin la plus importante. Pour Romilly, comme peut-être pour beaucoup d’autres Chinois nés à l’étranger, venir en Chine, c’est avant tout une occasion de gagner plus d’argent, « sinon, à quoi bon consentir à tous ces sacrifices, et accepter de vivre loin des siens ? »

L’attrait d’une culture étrangère

Beaucoup de gens n’éprouvent pas le besoin de voir ailleurs, de sortir de leur système culturel. Même dans la communauté expatriée, nombreux sont ceux qui ne se fréquentent qu’entre eux, et qui reproduisent à l’étranger le mode de vie de leur pays natal. Mais un grand nombre d’étrangers vient en Chine précisément pour rechercher quelque chose de différent. Ceux-là sont attirés par la richesse culturelle du pays, par les mystères que recèle ce pays resté longtemps fermé. Portrait de trois étrangers qui ont plongé au cœur de la société chinoise :

Nastia Pensin, 27 ans, d’origine russe, est venue en Chine la première fois en 2006, dans le cadre d’un programme d’échange au cours de ses études d’économie et de chinois. Étant venue très tôt en Chine, et y ayant acquis une bonne partie de ses expériences professionnelles, elle déclare « mieux comprendre aujourd’hui la mentalité chinoise que celle de ses compatriotes, qui peuvent être quelquefois très rudes. » À la différence de ceux-ci, elle est ouverte aux différences, qui suscitent en elle la curiosité, et non le rejet. Depuis un an, elle travaille pour le compte d’une entreprise d’import-export. Elle est chargée de faire enregistrer la branche chinoise de l’entreprise. Elle reçoit un bon salaire (20 000 yuans par mois, environ 2 500 euros), salaire qu’elle ne pourrait sans doute jamais obtenir si elle restait au pays.

Nicolas Godelet est un architecte belge. À 20 ans, il vient en Chine dans l’idée de découvrir les paysages sauvages de l’ouest du pays, mais ce sont finalement les régions de l’est qui lui laisseront l’impression la plus forte. Il désire comprendre cette culture qui lui semble radicalement différente. De retour en Belgique, parallèlement à ses études d’ingénieur-architecte, il se met sérieusement au chinois, qu’il finira d’étudier à l’université des Langues étrangères de Beijing, avec une bourse de l’État chinois. Après avoir travaillé pour différents architectes, il fonde en 2007, à 31 ans seulement, son propre cabinet d’architectes, dans les hutongs, en plein cœur de Beijing. Il en est à la fois l’investisseur et le dirigeant. Aujourd’hui il emploie quinze personnes, moitié chinois, moitié étrangers, qu’il paie selon le principe d’égalité. Il se définit lui-même avec humour comme étant déjà devenu à moitié un œuf : à l’extérieur il est resté blanc, mais à l’intérieur il est déjà devenu jaune. Ayant fondé sa société en Chine, il ne pense déjà plus à retourner au pays.

Beaucoup d’étrangers sont arrivés en Chine un peu par hasard. Au départ complètement dépaysés, ils se sont mis peu à peu à apprécier le pays. C’est le cas de Stephen Bwansa, Congolais de 33 ans, qui est aujourd’hui PDG de la société Greater Kingdom Chine et préside la chambre de commerce RDC-Chine à Beijing. Quand il est arrivé comme étudiant en 2001, poussé par son père et son oncle, il avait une idée complètement fausse de la Chine, qu’il voyait comme un pays arriéré. À l’époque, il se sentait complètement perdu. Même s’il en a bavé au début, aujourd’hui, il a appris à apprécier les qualités laborieuses des Chinois, le fait qu’ils ne se plaignent pas. Comme il le dit lui-même : « les échanges entre l’Afrique et l’Asie constituent désormais l’essence même de ma vie. »

Une fuite du pays d’origine ?

Changer de pays peut être un moyen de rompre de manière radicale avec sa vie passée, et d’induire un changement de cap. Peut-être de s’éloigner d’une famille trop envahissante. Cette motivation n’est d’ailleurs pas nécessairement consciente.

Shelly Shiner, 41 ans, américaine, est arrivée en Chine en 2008, alors que la crise des subprimes battait son plein aux États-Unis. Pour les ressortissants des pays anglo-saxons, l’enseignement est un débouché très important en Chine. Plus de deux tiers des 68 403 travailleurs américains de courte ou de longue durée présents en Chine en 2009 étaient actifs dans l’éducation ou, accessoirement, la culture. Shelly pourrait gagner plus aux États-Unis. Si elle choisit de venir en Chine, c’est avant tout parce qu’elle a le sentiment de ne pas pouvoir trouver un travail qui corresponde à son niveau de compétence. Aux États-Unis, elle était rédactrice publicitaire, elle aurait pu continuer dans cette voie là, ou bien trouver de l’emploi dans la restauration par exemple, mais elle aurait eu le sentiment de se brader et de ne pas mettre à profit l’éducation qu’elle a reçue. Aussi, avait-elle envie de changer d’environnement culturel. Aujourd’hui, elle gagne à peu près 9 000 yuans net par mois (environ 1 100 euros), en ce compris une allocation pour son logement. Son travail en Chine ne lui apporte cependant pas pleinement satisfaction. À présent, alors qu’elle va sur ses 42 ans, elle hésite à retourner aux États-Unis. Mais elle craint de rencontrer l’incompréhension de ses compatriotes par rapport à son expérience en Chine. Il serait dommage aussi de perdre tout le temps et l’énergie qu’elle a investis dans ce pays.

Takashi Komaru
 

Takashi Komaru, 35 ans, est Japonais. En 2009, les Japonais étaient plus de 45 000 à travailler en Chine pour une période au moins supérieure à trois mois, soit 17 % du total des experts étrangers cette année-là. Takashi est venu en Chine en 2002. Il venait d’obtenir son diplôme de philosophie au Japon, où l’économie traversait sa pire phase depuis l’après-guerre. Pour ceux qui arrivaient alors sur le marché de l’emploi, on parlait de génération perdue. En Chine, chercher du travail est plus facile. Il décide d’apprendre le chinois, qu’il maîtrise désormais parfaitement. Récemment, alors qu’il hésitait à rentrer au Japon, la société chinoise où il travaille lui a proposé une augmentation de salaire. Par les temps qui courent, les Japonais ne courent pas les rues. Il gagne aujourd’hui 14 000 yuans net par mois (environ 1 700 euros). Par rapport au Japon, la Chine présente quelques avantages. Les contraintes hiérarchiques ne sont pas si fortes, et globalement le rythme de travail y est plus relax. Au Japon, il n’est pas rare qu’on travaille jusqu’à minuit. Or ici, les heures supplémentaires sont relativement rares, deux ou trois fois par mois seulement. Il ne voudrait pas imaginer mener au Japon une vie sous pression comme son père.

L’amour ?

Les couples mixtes chinois-étrangers sont très nombreux à se former aujourd’hui en Chine (et nombreux aussi à se déformer). La plupart concernent un homme étranger et une femme chinoise. L’inverse est moins vrai. Nombreux sont ceux aussi qui décident de sceller leur union par un mariage. Les statistiques montrent que chaque année, environ 50 000 mariages mixtes, où au moins l’un des deux partenaires est étranger, ont lieu sur le sol chinois (y compris avec des ressortissants de Taiwan ou de Hong Kong).

Simon Criqui a 28 ans. Alors qu’il terminait son BTS (Brevet de technicien supérieur) en France, les classes sortantes se voyaient proposer un stage en hôtellerie en Chine. Le désir de découvrir le monde lui fait accepter la proposition. De retour en France, l’envie de retourner ne le lâche pas, et il repart presque aussitôt en Chine. Aujourd’hui, cela fait huit ans déjà. Entretemps, il a acquis une bonne position dans son travail et, achevant résolument son intégration à ce milieu étranger, il a épousé une Chinoise. Dans l’hôtel pour lequel il travaille, le Millenium hôtel de Wushi, une chaîne singapourienne, il est assistant au directeur de restauration. Le traitement des cadres tels que lui oscille entre 10 000 et 15 000 yuans par mois (entre 1 200 et 1 800 euros). S’il est satisfait de sa situation dans l’immédiat, Simon n’envisage pas pour autant de rester indéfiniment en Chine. Après huit ans, l’envie de découvrir s’est émoussée, les exigences du secteur de l’hôtellerie en matière d’horaires et de vacances l’incitent à penser à autre chose pour l’avenir, ailleurs, pourquoi pas dans un autre pays. Dans cinq ans peut-être lui et son épouse chercheront-ils leur bonheur ailleurs. En attendant, il s’est fait aux différences dans la façon de travailler, ou encore au fait qu’en Chine, il restera toujours un étranger. Il a accepté tout cela et se sent bien dans ce pays.

Conclusion

Le nombre d’étrangers s’établissant en Chine a connu une expansion fulgurante en quelques décennies. Cela n’en reste pas moins un phénomène récent qui n’est pas encore vraiment entré dans les mœurs. La plupart des étrangers ne restent encore que pour une durée limitée. De ce qui précède, il ressort clairement qu’au delà de l’évidente motivation économique, les raisons individuelles qui incitent les étrangers à s’établir en Chine peuvent être très variées, et sans doute difficiles à cerner et énumérer précisément. On a vu dans les pages qui précèdent qu’en une même personne pouvaient coexister des motivations diverses, tour à tour pragmatiques ou idéalistes. Toutefois, le Rapport 2012 sur les étrangers du centre de recherche sur la mondialisation peut nous aider à détailler une série de facteurs objectifs qui expliquent l’attrait actuel que la Chine exerce sur les étrangers, qu’ils soient investisseurs, travailleurs ou étudiants :

1. Les efforts continus de la Chine pour donner au monde l’image d’un pays ouvert et responsable, image qui s’est imposée notamment lors des crises économiques de 1998 et 2008 et avec les JO de Beijing.

2. Les besoins en main d’œuvre étrangère suscités par une internationalisation toujours plus approfondie et une économie de plus en plus interdépendante, besoins qui se trouvent accentués encore par la pénurie en travailleurs compétents sur place et le vieillissement de la population chinoise.

3. Le développement fulgurant de la Chine sur les trente dernières années qui a contribué à fournir aux étrangers un cadre de vie qui satisfasse à leur niveau d’exigence. Plus spécifiquement, pour les investisseurs, ce même développement fournit des opportunités qu’ils ne trouveraient pas ailleurs, surtout en ces temps de crise.

4. Le développement d’un cadre légal de base pour les étrangers qui garantit leurs droits et intérêts et d’une manière générale, une prise en considération de plus en plus adaptée des besoins spécifiques des étrangers vivant en Chine.

5. Une histoire millénaire et une culture resplendissante (ce facteur constitue évidemment un attrait particulier pour les étudiants).

6. Enfin, un environnement social et politique stable (cela est certainement le cas pour les travailleurs venant de pays politiquement instables).

On le voit, à côté des raisons individuelles qui poussent les étrangers à s’installer en Chine, existent aussi toute une série de facteurs objectifs qui expliquent leur présence. Quoi qu’il en soit des causes, l’élan semble à présent donné, et rien ne semble pouvoir arrêter la venue en nombre toujours croissant d’étrangers en Chine à l’avenir.

 

La Chine au présent

Liens