CHINAHOY

31-October-2013

Chine et Occident se rapprochent à travers la coopération dans l’enseignement supérieur

 

Thorsten Pattberg en compagnie de madame Chen Zhili, ancien ministre chinois de l'éducation.

 

Interview du Dr. Thorsten Pattberg, chercheur à l’Institut des études humanistes avancées de l’université de Beijing.

Vaughan Winterbottom, membre de la rédaction

Le secteur connaît une expansion rapide. Il y a dix ans, chaque année, environ un million d’étudiants obtenaient leur diplôme. Cette année, il étaient presque sept millions, selon un récent rapport du Conseil des affaires d’État.

La qualité de l’enseignement et de la recherche dans les universités s’est améliorée significativement depuis le début du millénaire. Il faut en chercher la cause principalement dans l’augmentation massive des moyens financiers mis à la disposition des universités.

Le projet 211, initié à la fin des années 1990, a permis à cent universités clés de recevoir au total 36,8 milliards de yuans pour construire des bâtiments. Le projet 985, lancé peu après, visait à faire de 39 établissements des universités de rang mondial. L’université de Beijing à elle seule a pu bénéficier de 360 millions de dollars dans le cadre de ce projet. Les neuf universités de tête parmi ces 39 établissements ont reçu par la suite des liquidités supplémentaires avec la mise sur pied de la ligue C9, le pendant de l’Ivy League américaine.

Ce ne sont pas seulement les universités d’élite qui ont bénéficié des fonds gouvernementaux. En mai de cette année, le gouvernement a dévoilé son plan d’injection de 1,62 milliard de dollars entre 2012 et 2015 dans les établissements d’enseignement supérieur du Centre et de l’Ouest de la Chine.

La montée en gamme de l’enseignement supérieur en Chine se reflète par ailleurs de façon éloquente dans les classements internationaux. Il y a dix ans, les universités Tsinghua et de Beijing, qui sont toutes deux situées dans la capitale, étaient les deux seules institutions nationales à figurer dans ces classements. En août de cette année, le classement international des universités établi par l’université Jiaotong de Shanghai, qui est considéré comme l’un des trois classements internationaux les plus influents et les plus observés, a inscrit 42 établissements chinois dans le top 500. Cela place la Chine devant l’Allemagne (37), en deuxième position derrière les états-Unis (149).

Alors que les tableaux de qualifications renvoient l’image d’une compétition entre les nations en matière d’éducation, en réalité, rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Les établissements chinois doivent leurs premiers excellents résultats à leur coopération renforcée avec des universités d’élite dans le monde. Des gestionnaires de l’enseignement supérieur en Occident se sont montrés impatients de partager leurs expériences avec la Chine ; après tout, l’éducation n’est pas un jeu à somme nulle. En fait, nombreux sont ceux qui ont critiqué ces classements qui donnent la primauté à la compétition et au « rang » sur la coopération et les échanges, et ils ne sont sans doute pas près d’arrêter ces critiques.

Parallèlement à ses efforts pour apprendre de l’Occident, la Chine s’est démenée pour amener des talents étrangers à enseigner ou à faire des recherches sur les campus chinois. Beaucoup de ces chercheurs se retrouvent aujourd’hui dans des laboratoires ou des amphithéatres à travers le pays. Ils s’efforcent, directement ou indirectement, d’apporter les meilleures pratiques étrangères aux universités chinoises.

La Chine au présent est récemment allée à la rencontre de l’un d’entre eux pour discuter de la situation de l’éducation chinoise. Le Dr. Thorsten Pattberg, né en Allemagne, est chercheur à l’Institut des études avancées humanistes de l’université de Beijing. Avant de s’installer à Beijing, Pattberg était chercheur invité à l’université d’Harvard, et chercheur étranger à l’université de Tokyo. On peut donc déclarer sans trop de risque de se tromper qu’il est expert en matière d’éducation supérieure. Voici les points saillants de cette entrevue.

La Chine au présent : Pourriez-vous nous parler un peu de vos recherches ? En quoi sont-elles importantes ?

Thorsten Pattberg : L’essentiel de mes recherches peut se résumer en une phrase : afin de préserver la force et l’authenticité du « monde chinois », le language international doit adopter certaines de ses terminologies fondamentales. Ainsi par exemple le « Shengren » (le sage en chinois) de la tradition confucéenne est aussi unique et bien définissable que par exemple le « Bouddha » dans le bouddhisme. Ces termes renvoient à des archétypes de la sagesse qui ne sont pas occidentaux.

Je ne suis pas le seul à travailler sur l’histoire de la traduction. Au Japon, il y a aussi Haneda Masashi, aux États-Unis, Roger T. Ames, en Inde, Rajiv Malhotra et S.A. Mirhosseini en Iran. Et on peut continuer la liste. Nous sommes tous d’accord pour penser qu’on peut approfondir la connaissance en général en dénichant les « intraduisibles » dans chacune des grandes traditions et en les réintégrant dans l’histoire mondiale.

CP : En vous basant sur votre expérience, pensez-vous qu’une importance exagérée soit donnée aux classements des universités en Chine ? Cette importance exagérée est-elle susceptible de nuire à l’expérience estudiantine dans les universités chinoises ?

TP : Les classements sont cruciaux en Chine, et les universitaires sont souvent jugés par leur alma mater et par les organismes où ils travaillent. Cela peut sembler brutal, mais je ne pense pas que ce soit différent aux États-Unis. Notre institut a été fondé par un ancien professeur de Harvard, et trois de nos quatre chercheurs ont séjourné un temps à Harvard, moi y compris, donc, honnêtement, on se retrouve un peu entre vieux de la vieille.

Les classements, ou plus précisément, l’effet des classements, sont très réels. Surtout dans une société très compétitive d’un milliard trois cent millions de personnes où on trouve un amour (confucéen) pour l’étude. Vous pouvez penser que vous êtes un génie, mais si vous n’entrez pas dans les meilleures écoles, vous vous contredisez un peu, non ? Les étudiants chinois sont excessivement travailleurs, il y a tant de gens talentueux ici, c’est époustouflant. Bien sûr, il y a bien d’autres moyens de se gagner une brillante réputation académique. Mais je pense que beaucoup de savants chinois seront d’accord pour dire que le meilleur moyen reste d’être affilié à une université d’élite.

CP : En quoi votre expérience académique à l’université de Beijing diffère-t-elle de ce que vous avez connu dans d’autres universités ?

TP: Harvard peut sembler minuscule, mais son infrastructure et l’organisation de ses bibliothèques sont supérieures. Néanmoins, beaucoup m’ont envié la chance de pouvoir venir à l’université de Beijing. L’herbe semble toujours plus verte ailleurs, je suppose.

Je ne pense pas que la Chine s’oriente davantage encore vers les modes de fonctionnement occidentaux à l’avenir. La Chine détient par exemple un modèle salarial très différent. Vous ne percevez en effet qu’un salaire symbolique, qui ne suffit souvent même pas à louer un studio, encore moins d’assumer une charge de famille. Vous devez donc recourir à d’autres moyens ou a d’autres avantages, comme la nourriture ou le logement subsidiés, le cumul des postes, les missions en province ou à l’étranger, le financement de projets, etc. Les chercheurs chinois reçoivent souvent des bonus pour des publications dans des journaux qui font référence, ou pour la publication de monographies. En tant que chercheur étranger vous pouvez trouver d’autres opportunités pour gagner plus d’argent, et, bien sûr, vous dépendrez entièrement de votre esprit d’entreprise pour subvenir à vos besoins. La plupart des Occidentaux ne sont pas prêts moralement à doubler voire à tripler leur salaire comme le font les Chinois.

CP : Que pensez-vous des chercheurs étrangers dans les universités chinoises en général? Financièrement, est-il intéressant de faire de la recherche en Chine ?

TP : La Chine recherche avidement des talents. Pensez à l’environnement, aux arts, à l’architecture, à l’agro-alimentaire, à la pharmacie, aux finances, à l’automobile ou aux transports, tout est plus grand qu’ailleurs. La Chine mise intensément sur les ressortissants chinois d’outre-mer et cherche à les faire revenir dans la mère patrie, car ils peuvent s’adapter plus facilement aux coutumes chinoises. Quant aux étrangers, ils peuvent postuler pour de nombreuses bourses, par exemple à travers le programme Fulbright du gouvernement américain, le China Scholarship Council, le service allemand d’échanges universitaires, etc. Si vous êtes un scientifique, ou un ingénieur, gardez un œil sur les multinationales ou les entreprises à capitaux mixtes présentes en Chine, elles sont en général d’envergure mondiale et fourniront le coup de pouce parfait pour votre carrière en Asie.

D’une façon générale je dirais que les chercheurs étrangers se font encore et toujours rares en Chine, et la plupart sont, au moins partiellement, financés par l’étranger. Je dis toujours, obtenez d’abord un poste universitaire en Occident et puis venez ici comme chercheur invité. Ça c’est la bonne méthode.

CP : Y a-t-il une forte demande à l’université de Beijing pour l’expertise étrangère, et des moyens financiers mis en place pour l’attirer?

TP : Il y a une forte mobilisation pour attirer des talents étrangers. Quand je suis arrivé en Chine en 2003, j’ai obtenu une exemption de frais d’inscription, et c’est tout. J’ai passé plusieurs années de « pauvreté universitaire », et je ne quittais presque jamais le campus. Mais de nos jours les étrangers sont bien plus choyés. Le bureau des relations internationales de l’université de Beijing a récemment introduit un programme d’allocations pour diplômés universitaires qui paraît-il s’élève à plus de 20 000 yuans par mois, en plus de divers avantages tels que le remboursement du billet d’avion. La seule condition posée est que vous soyez diplômé d’une des cent meilleures universités de la planète.

Et l’université Tsinghua, qui se trouve de l’autre côté de l’avenue, a bénéficié cette année d’une dotation de 300 millions de dollars du fondateur du groupe américain Blackstone Stephen A. Schwarzman, qui veut fournir des bourses à des dizaines de milliers de « futurs dirigeants ».

CP : Y a-t-il dans le système d’éducation supérieure chinois des idiosyncrasies qui ont pour résultat d’exclure certains chercheurs étrangers ?

TP : Eh bien par exemple, on peut dire que la Chine n’est pas les États-Unis, où les nouvelles idées sont appréciées pour elles-mêmes. En Chine, les chercheurs veulent maintenir le statu quo à tout prix, surtout en politique, en histoire et pour le guoxue (études chinoises). Concrètement, cela signifie que les doctorants et les post-doctorants citent tous leurs professeurs, même si leurs théories sont démodées. La critique virulente est taboue. Le respect, l’honneur, et la loyauté sont tenus en plus haute estime que la vérité, la preuve ou l’esprit critique. En d’autres mots : le monde chinois a toujours eu une vision plus holistique et inductive, moins étroite et déductive que la vision occidentale, avec tous les avantages et désavantages que cela implique.

CP : Pensez-vous qu’il faille s’attendre à une confrontation ou une course aux armements universitaires entre la Chine et l’Occident alors que les universités chinoises continuent de se perfectionner?

TP : Les universités chinoises seront toujours avant tout chinoises. C’est un peu comme l’université de Tokyo au Japon. Elle est de rang mondial, mais on ne peut pas vraiment dire qu’elle soit en compétition pour la chasse aux talents internationaux. De la même façon, les universités chinoises seront toujours avant tout pour les Chinois. La plupart des universitaires occidentaux trouveront la langue trop difficile et la culture trop exotique. Mais ce n’est jamais que mon opinion.

 

La Chine au présent

 

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