CHINAHOY

26-September-2013

Les derniers maîtres de la xylogravure de Mianzhu

 

 

Une œuvre de Li Fangfu pour le Nouvel An chinois
 

Quatre-vingt-trois ans et toujours bon pied bon œil

Li aime son travail et sa vie en général. Lui et sa femme vivent dans une vieille maison qu’ils louent dans le centre de Mianzhu. Leur fils et leur petit-fils sont tous deux à Gongxing, la ville natale de Li, où ils ont ouvert une école de xylographie Mianzhu et réalisent un commerce actif d’estampes du Nouvel An. « Ils ont leurs affaires, et moi j’ai ma vie », explique Li.

Li se lève tôt chaque matin et travaille entre cinq et six heures par jour. Faire ce qu’il aime lui permet visiblement de rester en forme à la fois mentalement et physiquement.

Li pense que la qualité de la peinture de chaque gravure est un reflet de la vie mentale de l’artiste. C’est la raison pour laquelle il préfère exécuter ce stade de la gravure lorsque son humeur est adéquate. Cette année il a décidé de cesser de porter des lunettes afin de rendre sa peinture plus spontanée.

Toutes les peintures exposées dans l’atelier sont des œuvres personnelles de Li. Leur composition est riche et variée, affichant des motifs complexes, des couleurs brillantes et vives et des lignes fluides et gracieuses. Il y a des images, mais aussi des bandelettes horizontales calligraphiées, des distiques pour la fête du Printemps à coller sur les portes, les fenêtres, les calendriers et les paravents, rédigés de manière concise. Les thèmes sont puisés dans l’opéra chinois, les coutumes locales, les beautés célèbres, les symboles de mariage ou d’autres événements heureux, les fleurs et les paysages.

Li peint sur du papier produit localement à partir du bambou qui pousse à Mianzhu. La fine couche de terre du district de Maoxian dont il enveloppe chaque feuille permet à celle-ci d’absorber et de conserver longtemps de riches couleurs. L’usage d’un papier produit localement était autrefois une spécificité des gravures de Mianzhu. La plupart des artistes locaux, toutefois, ont opté plus tard pour le papier de riz, bien plus facile à produire.

Le travail de Li incarne le style du Sichuan. La figure du dieu de la richesse, le maréchal Zhao Gongming, supposé amener l’opulence à la famille, est représenté de manière fruste et flanqué d’yeux exagérément larges et courroucés. Les dieux du portail d’entrée, bigarrés, qui repoussent les mauvais esprits avec leurs fouets en fer, symbolisent une masculinité vigoureuse. De nobles dames sont dépeintes dans le style aguicheur et plein de vitalité du Sichuan, qui contraste fortement avec l’aspect doux et moelleux qui caractérise les gravures du Sud-Est de la Chine.

Les gravures sur bois de Mianzhu se démarquent par l’originalité du procédé de peinture. Ainsi que l’explique Li : « Bien qu’elles soient faites à partir du même modèle, les artistes peuvent néanmoins leur apporter une touche personnelle à travers la peinture. » Il désigne les plis de la toge d’un dieu de la porte d’entrée d’une gravure avant de déclarer : « Tout cela ne se trouvait pas sur la planche de départ, pas plus que les moustaches et les sourcils, tout cela a été ajouté à la main par la suite. »

La vie à l’époque d’un maître de la xylogravure

Les premières années de Li comme apprenti xylograveur ne furent pas une partie de rigolade ! Ayant perdu ses deux parents, c’est en ultime recours qu’il a appris le métier, afin de gagner sa vie et de pouvoir survivre. Avec le temps il en vint à apprécier la sagesse de son mentor pour qui chaque profession et chaque métier produit ses propres maîtres, et consacra toute son énergie à perfectionner son art.

« À l’époque, les apprentis intégraient la guilde des xylograveurs de Mianzhu au cours d’une cérémonie où deux tables symbolisaient la relation de maître à élève », se souvient Li.

Les règlements de la guilde étaient sévères. Ils interdisaient toute simplification du procédé de fabrication ainsi que la vente de fausses gravures. Il n’y avait pas de contacts entre les écoles de l’Ouest et du Sud, chacune conservant un style propre. Le calendrier des foires et les procédures étaient réglées dans les détails, le premier jour du dixième mois lunaire étant réservé à la présentation d’échantillons aux acheteurs potentiels, et les étalages pour les gravures du Nouvel An ne pouvant être montés qu’au premier jour du douxième mois lunaire.

Le marché était florissant à l’époque. Il se tenait dans une école de la rue Nanhuagong, et les centaines d’étals qui le constituaient restaient ouverts jusqu’aux petites heures. Il y avait aussi une foire de dimensions plus réduites sur la route du canton de Qingdao.

Dans les années 1940, les gravures de Mianzhu se vendaient dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest de la Chine, ainsi qu’au Japon, en Inde et en Asie du Sud-Est.

Li a consacré sa vie à la gravure sur bois. Au cours de celle-ci, il a été le témoin de la transformation sociale de la Chine. Il se souvient qu’il y a longtemps, toutes les familles plantaient des légumes et avaient leurs propres cultures. À la fête du Printemps, elles créaient leurs propres peintures de Nouvel An. L’environnement culturel à Mianzhu se prêtait idéalement à la fabrication de gravures sur bois. Mais l’urbanisation des trois dernières décennies a modifié la façon de vivre. Quand les gens ont commencé à quitter leurs cours carrées pour aller vivre dans des immeubles résidentiels, la coutume de décorer les maisons avec des gravures du Nouvel An est lentement tombée en désuétude. Il n’y a plus d’étals de la fête du Printemps, mais bien un genre artistique largement recherché par les collectionneurs.

« Quand les arts populaires se détachent de la vie quotidienne, ils ne subsistent que sous la forme d’héritage culturel », explique Li.

Depuis les années 1990, les xylogravures de Mianzhu ont connu un étonnant renouveau. L’atelir de Li reçoit toujours d’innombrables visiteurs, chercheurs, et groupes d’investigations du monde entier.

Le célèbre écrivain et spécialiste des arts populaires chinois Feng Jicai s’est rendu pour la première fois dans l’atelier de Li en 2004. Plus tard, il écrivit un livre sur la xylogravure chinoise dans lequel on trouvait entre autres le compte-rendu de ses conversations avec Li et les deux autres spécialistes de la gravure sur bois de Mianzhu, Chen Xingcai et Chen Xuezhang. Après le tremblement de terre de Wenchuan de 2008, Feng est retourné à Mianzhu pour voir si Li et son atelier avaient survécu au désastre.

La plus grande peur de Li après le séisme fut que le matériel de peinture contenu dans sa vieille maison, y compris la coûteuse poudre pour faire de la terre de Mao qui lui suffit pour peindre sur trois décennies, des pigments précieux de couleur spécifique, et la plupart des centaines de gravures en bois de poirier qui représentent une vie de travail, ait été détruit dans la catastrophe.

Des décennies de dévouement aux estampes de Mianzhu et d’ardeur à la tâche ont enrichi l’expérience artistique de Li. Alors qu’il rencontrait des artistes de l’école Taohuawu venus aider à reconstruire Mianzhu après le tremblement de terre, il leur a fait part de sa technique pour protéger les gravures avec de la mousse plutôt qu’avec un pinceau souple.

Li s’est toujours évertué à trouver une meilleure façon de raconter les contes traditionnels dans ses peintures. Une œuvre intitulée Wang Xiang sur la glace, célèbre les vertus de la piété filiale, et raconte l’histoire du garçon Wang Xiang qui utilisait la chaleur de son corps pour fondre la glace de la rivière et attraper des poissons pour ses parents. Il dépeint Wang de façon réaliste, recroquevillé sur lui-même et tremblant de tous ses membres, plutôt que simplement couché sur la glace comme on le représente habituellement dans les livres.

Li croit que dessiner avec compassion en puisant son inspiration dans une observation minutieuse de la vie et en méditant sur l’action de l’homme, est le seul moyen de créer des chefs-d’œuvre artistiques. Son portrait d’une noble dame à vélo lui est inspiré par les femmes qu’il voit quotidiennement dans la rue. « Les gens que je vois sont ma source d’inspiration », déclare-t-il.

Li, avec son fils et sa fille, a compilé une édition en couleur du classique Vingt-quatre histoires de piété filiale. Son intention était d’éduquer les enfants aux valeurs morales traditionnelles chinoises. « Gagner de l’argent n’était pas le seul but, car les artistes et artisans ont aussi des responsabilités sociales. »

Alors qu’aujourd’hui les jeunes quittent Mianzhu pour faire l’expérience du mode de vie moderne dans les grandes villes, il ne reste que peu de gens susceptibles de reprendre l’héritage de l’art de la gravure de Mianzhu. Aucun parmi les douzaines d’apprentis que Li a formé ces dernières années n’a maintenu le cap jusqu’au bout.

« Peindre c’est développer une force intérieure », explique Li. « Les jeunes d’aujourd’hui sont en général trop impétueux et superficiels que pour s’y consacrer corps et âme. »

Jusqu’à maintenant, seuls le fils et le petit-fils de Li ont appris l’essence de ces techniques de peinture. Li préside à toutes sortes d’activités et d’exposés liés à la xylogravure de Mianzhu. Ainsi qu’il le dit : « Cela fait plus de 70 ans que je peins, tant que je peux lever mon pinceau, je continuerai. » Son souhait principal est de créer davantage d’œuvres pour les générations futures.

« La peinture, tout comme la société, a besoin d’équilibre et d’harmonie », déclare Li alors qu’il nous parlait de l’accoutrement du dieu de la Porte dans une de ses œuvres. « Sa toge est essentiellement écarlate, mais elle possède aussi des reflets verts clairs pour équilibrer les tons, et des touches dorées, argentées, noires et blanches pour illuminer l’ensemble du tableau. De la même façon, une vie sociale harmonieuse est le fruit des efforts combinés des tous les membres qui la composent. »

 

La Chine au présent

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