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Ma Ke, couturière pour la première dame de Chine
Loin du cadre ordinaire de la mode et de la poursuite du profit, Ma Ke, la styliste élue par Peng Liyuan, cherche à concevoir des vêtements simples, proches de la nature. Quand « création » rime avant tout avec « mode d’expression »…
HE XIAO*
Avant que la première dame de Chine, Peng Liyuan, n’effectue sa visite initiale à l’étranger, la couturière Ma Ke était peu connue dans le pays. Mais dès lors que le style vestimentaire de Mme Peng a capté l’attention du monde entier, le public a également commencé à s’intéresser à Ma Ke. C’était la première fois que celle-ci s’essayait à la création sur mesure. « L’important n’est pas de tenter de mettre en valeur le statut de la première dame. À défaut, je pense qu’il est préférable de faire ressortir l’image de la femme chinoise moderne, une femme indépendante faisant preuve de maturité et de sagesse, dont le cœur manifeste à la fois tendresse et force. »
Lorsque Ma Ke a fondé la marque Wuyong (« inutile » en français), elle avait pour intention de devenir une artiste « non commerciale ». « Être artiste signifie s’enfermer dans une tour d’ivoire, tandis qu’œuvrer dans l’intérêt public permet de prêter assistance au monde. »
Un « opéra chinois » à Paris
Le 3 juillet 2008, Ma Ke a présenté sa collection lors de la Semaine de la mode à Paris. C’était la première fois dans l’histoire qu’un couturier chinois participer à ce grand événement. Pour un résultat optimal, Ma Ke avait souhaité que le défilé se déroule dans un site en plein air et avait finalement opté pour le Petit Palais de Paris.
Ma Ke avait baptisé ce défilé « pauvreté luxueuse ». Elle l’avait préparé pendant un an et demi, et la fabrication artisanale des pièces avait, à elle seule, demandé sept à huit mois. Dans une lettre adressée à la Chambre syndicale de la haute couture parisienne, elle avait écrit : « Je veux redonner aux vêtements leur charme originel simple et restaurer la sensibilité des spectateurs aux moindres détails en stimulant de manière excessive leurs organes sensoriels. Aujourd’hui, la vraie mode ne consiste plus en un bel emballage vide de sens, qui ne fait que suivre la tendance. Il faut plutôt la voir comme l’exceptionnel qui émane du retour à l’ordinaire. Je suis sûre que le véritable luxe ne réside pas dans le prix d’une tenue, mais dans l’esprit que celle-ci affiche ».
D’un certain point de vue, ce défilé ressemblait plutôt à un « opéra chinois », dont Ma Ke était la metteuse en scène. Rompant avec les modes traditionnels, elle avait transformé l’allée du Petit Palais en une scène d’un genre nouveau. 42 mannequins parés de vêtements Wuyong avaient progressé lentement sur le feutre dont l’allée avait été recouverte ; du côté opposé, des graines symbolisant l’énergie vitale avaient été semées. Sur un rouet, une tisseuse avait tiré adroitement de très fines fibres de coton, tandis qu’une autre avait cousu un lot de toiles de coton en employant la technique ancienne de filage du Guizhou. Sur les lieux de l’évènement, des danseuses de tous âges, vêtus de robes simples, s’étaient mues lentement sur une chanson mongole au soleil couchant. Les vêtements et les chaussures qu’elles portaient, teints à l’aide de colorants naturels en blanc crème, brun-jaune, gris anthracite et autres tons, avaient tous été fabriqués à la main par Ma Ke et son équipe. Quant aux tissus, cette dernière avait sélectionné le coton, le lin, la soie et la laine, ainsi que des matières recyclées pour les chaussures, afin d’approcher le plus possible la simplicité de la nature.
Ce défilé avait reçu un accueil enthousiaste à Paris. Le Monde avait même qualifié les productions de Ma Ke de chefs-d’œuvre éternels restituant l’essence des vêtements et leur fonction primordiale.
« Sa collection ne mettant pas en avant des aspects chinois, le style de Ma Ke est généralement apprécié des Occidentaux. En fait, le simple étalage d’éléments chinois ne leur plaît pas. Pour Ma Ke, les habits ne constituent que le support de ses œuvres d’art », commente Zhao Qian, responsable Chine à la Fédération française de la couture, du prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de mode et directrice de InLife International Group.
« Ce n’est pas de la mode que je fais »
En 2007, Ma Ke avait déjà présenté son défilé intitulé « Terre » sur la scène consacrée au prêt-à-porter lors la Semaine de la mode à Paris. Elle était ainsi devenue la deuxième styliste chinoise à dévoiler sa collection sur cette scène à Paris, après Xie Feng, fondateur de la marque Jefen.
« Ma Ke désirait une corrélation entre les vêtements et la nature », explique Zhao Qian. Pour ce faire, elle avait enfoui les tenues dans la terre, de sorte à ce que celle-ci les retouche elle-même. « La styliste ne contrôle pas tous les effets et délègue le processus de création à la nature ». Par ce procédé, habits et nature interagissent, permettant l’élaboration de vêtements uniques empreints de la mémoire de la nature, impossibles à reproduire.

Le 25 février de cette année-là, Ma Ke avait organisé la première exposition personnelle de ces créations à l’occasion de la semaine du prêt-à-porter à Paris. « Cette présentation différait des autres défilés par son caractère immobile. Les mannequins avaient été maquillés à l’aide de boue et ressemblaient à des sculptures. Le décor rappelait un musée de nuit, se souvient Zhao Qian. Ces statues humaines n’étaient pas des mannequins à proprement parler : certaines exerçaient cette profession, mais d’autres étaient danseuses, actrices de théâtre, et même artistes de rue. »
Ce défilé « Terre » a suscité la vive admiration des Parisiens pour cette couturière chinoise. « Ces vêtements sculptés sont aussi émouvants que les objets d’art emplis à jamais d’une force créatrice », a décrit Le Monde. Vogue l’a désignée, dans un article titré Qui est Ma Ke ?, comme « première vraie styliste de Chine ».
En raison des bons échos qui ont fait suite au défilé de Ma Ke, la Chambre syndicale de la haute couture parisienne l’a inscrite au programme officiel de la Semaine de la haute couture quand elle l’a de nouveau invitée en 2008. « Nous pensons que ses méthodes et ses collections sont au plus proches du concept de personnalisation dans la haute couture. Ses vêtements ne collent pas l’étiquette de la mode et sont inimitables. Nous avons classé Ma Ke en tant qu’‘‘artiste se servant des vêtements comme support’’. Pas vraiment une styliste, plutôt une artiste qui se démarque du fait que son travail prend l’habillement comme vecteur », explique Mme Zhao.
Certains ont contesté les créations de Ma Ke, considérant qu’elles ne ressemblaient pas à la « haute couture ». Mais Didier Grumbach, président de la Chambre syndicale de la haute couture parisienne a déclaré sur place que la Semaine de la haute couture visait justement à permettre aux stylistes de manifester leur créativité, inexprimable ailleurs. « Pour révéler ces œuvres expérimentales et fort introspectives, il n’y a pas meilleure scène que la Semaine de la mode ».
« Pour moi, il s’agit uniquement d’une plateforme pour m’exprimer. Je sais bien que ce que je fais, ce n’est pas de la mode, a livré Ma Ke à propos de ce défilé. J’ai à cœur de réveiller la conscience de davantage de gens sur la valeur sentimentale que renferment ces traditions et ces mémoires sur le point de disparaître. Les visiteurs se promènent autour des œuvres et les observent, tandis que les mannequins se tiennent immobiles. Une telle formule fait également part de mon point de vue : les gens naissent égaux. Depuis ses débuts, la mode constitue un symbole de haute classe sociale et de privilèges. Mais je pense que chacun est égal devant ces œuvres, qui renvoient au visage de la vraie terre et à celui des agriculteurs. Sans le travail de ces derniers, les urbains ne pourraient pas vivre sur ce sol. Il n’y a vraiment pas de quoi se sentir supérieur aux paysans. »
« Il est catastrophique pour une styliste de chercher à maximiser les bénéfices »
Suite à son défilé à Paris, les Européens n’ont pas oublié le nom de Ma Ke. En mai 2008, elle a été invitée à présenter sa collection Wuyong au Victoria and Albert Museum au Royaume-Uni. En septembre 2008, Ma Ke a reçu un prix lors de la 11e édition du Fonds du prince Claus au Pays-Bas. « Dans l’industrie du stylisme contemporain, une voix courageuse et puissante s’est élevée. Elle s’est détachée de l’industrie de la mode pour nous créer des vêtements simples, rustiques, inspirés par la vie. Ma Ke fait l’objet de notre reconnaissance et de notre appréciation », avait estimé le jury.
Toutefois, suite au débat animé que son voyage à Paris avait soulevé dans le milieu de la mode, Ma Ke avait vécu quasiment en ermite, hors du champ des médias. Si la première dame n’avait pas insufflé un nouvel élan à sa notoriété, Ma Ke serait restée dans l’ombre, bien que cet état n’eût sûrement pas déplu à la couturière. Évoquant sa soudaine renommée, Ma Ke a indiqué : « Je vais continuer de vivre comme par le passé. Toute richesse et gloire ne sont qu’illusoires. »
En effet, hormis pour ces deux défilés à Paris, les médias écrivaient rarement au sujet de Ma Ke. Née en 1971 à Changchun, chef-lieu de la province du Jilin (au Nord-Est de la Chine), elle est sortie diplômée en arts appliqués du Suzhou Institute of Silk Textile Technology (Jiangsu) en 1992. Puis, elle a rejoint une entreprise à Guangzhou, dans laquelle elle a travaillé en tant que styliste pendant trois ans. « Au travers de cette expérience, j’ai compris que rechercher à maximiser les bénéfices, l’objectif prioritaire de l’entreprise, n’en était pas moins catastrophique pour une styliste », a avoué Ma Ke.
En 1996, Ma Ke et Mao Jihong ont fondé leur propre entreprise, Zhuangtai (« état »), et nommé leur marque Liwai (« exception »). Ma Ke était alors directrice de la conception – elle est aujourd’hui directrice artistique. « Nous avons créé notre propre marque, à moitié par frustration, à moitié par mécontentement, se rappelle Ma Ke. Je ne m’intéresse pas aux choses populaires et stéréotypées. Je me suis dit que je devais faire quelque chose de différent, quelque chose d’ “exception’’. »
En 2006, Ma Ke a établi à Zhuhai un studio pour commencer sa collection Wuyong. À la différence de Liwai, Wuyong n’est pas une marque dans le contexte où elle ne fait l’objet d’aucune stratégie d’entreprise ou planification de produits, ni de positionnement ou d’objectifs d’affaires ; depuis sept ans qu’elle existe, les vêtements ne sont pas commercialisés en magasin. Tel est le statut de Wuyong selon Ma Ke : « Il s’agit d’un groupe d’intérêt public dédié à la transmission et à l’innovation des arts appliqués traditionnels, qui a pour but de mettre à l’honneur, à travers sa gamme de produits fabriqués soigneusement à la main, la simplicité de la vie, ainsi que la quête de la croissance spirituelle et de la liberté. »
Devant le public, Ma Ke se montre discrète et taciturne. « Je n’aime pas m’exprimer au moyen de paroles, je suis plus disposée à faire parler mes créations à ma place. Les œuvres font preuve d’une grande honnêteté car elles laissent entrevoir le cœur et le monde spirituel de leur auteur. D’abord créatrice de mode, puis créatrice de vêtements et enfin créatrice tout court, j’ai manqué de devenir artiste. Désormais, je ne suis plus rien. »
*HE XIAO est journaliste pour la revue Lifeweek.