CHINAHOY

6-September-2015

Yeshe Drolkar et ses poules aux œufs d’or

 

Yeshe Drolkar s'occupe de ses poules dans sa ferme. (PHOTO : LI GUOWEN)

 

LI GUOWEN, membre de la rédaction

Nous sommes à Nêdong, l'un des principaux districts de la préfecture tibétaine de Lhokha. Yeshe Drolkar nous invite chez elle, en nous faisant comprendre de bien essuyer nos chaussures dans le sable prévu à cet effet avant d'entrer. Au-dessus de la porte, nous lisons sur une plaque suspendue « Coopérative d'élevage de volaille Kunbzang ». Yeshe Drolkar, née en 1974, en est la directrice ainsi que la présidente du conseil d'administration.

Dans une salle où se tiennent régulièrement des stages de formation spécialisée pour les membres de la coopérative ainsi que des éleveurs d'autres régions, Yeshe Drolkar nous raconte les heurs et malheurs qu'elle a traversés pour monter sa société. En d'autres termes, comment une jeune fille tibétaine s'est accrochée à ses rêves.

Roule ma poule !

Yeshe Drolkar est issue d'une famille tibétaine ordinaire. Elle était la petite dernière parmi les six enfants. Pour gagner leur vie, ses parents cultivaient l'orge du Tibet. Mais alors que ceux-ci faisaient face à des difficultés financières, Yeshe Drolkar a été contrainte d'abandonner ses études dès sa première année de collège pour les aider aux champs.

L'année suivante, son deuxième frère, ancien combattant démobilisé, l'a con-vaincue d'ouvrir une maison de thé à Tsetang (chef-lieu de Lhokha), puis une boutique de vêtements et de chaussures. À cette époque-là, âgée de 21 ans, Yeshe Drolkar a fait la connaissance de Gan Xuedong, un jeune soldat originaire du Hubei, qu'elle a ensuite épousé. Ensuite, le couple a trouvé du travail sur des chantiers de construction : lui en tant que soudeur ; elle en tant que cuisinière. Ils ont encore ouvert un petit atelier dans lequel ils fabriquaient des briquets. « Mon mari se chargeait de livrer les produits à nos clients, tandis que moi, je restais dans l'atelier pour confectionner les briquets, a décrit Yeshe Drolkar. Je pouvais en assembler jusqu'à 5 000 en une journée ! »

Ayant ainsi économisé un peu d'argent, Yeshe Drolkar et Gan Xuedong sont partis s'installer dans l'arrondissement Xinzhou à Wuhan, ville natale du mari. Presque toutes les familles installées à Xinzhou vivaient alors de l'élevage de volaille. C'était une industrie très prospère à l'époque. Les grandes fermes dotées d'équipements modernes qui y étaient construites piquaient la curiosité de Yeshe Drolkar. Tous les jours, elle se rendait sur place pour observer attentivement et prendre des notes sur les différentes étapes de l'élevage, telles que vacciner les poules, les nourrir, contrôler la température... Après six mois passés à Xinzhou, Yeshe Drolkar avait appris toutes les techniques, y compris comment soigner les poussins, comment engraisser les volailles, comment entretenir les poulaillers ou encore comment administrer des vaccins.

Pour Yeshe Drolkar, c'était un rêve d'enfant qui allait se réaliser. En plus, les poules sont d'une race particulière sur le plateau Qinghai-Tibet. Mais pendant longtemps, elles se faisaient assez rares dans la région, en raison des contraintes climatiques sur les hauteurs. Il y a dix ans encore, manger du poulet était un luxe pour les Tibétains.

Début 2003, Yeshe Drolkar et son mari sont retournés dans le district de Nêdong, avec en poche, 300 000 yuans qu'ils avaient réussi à mettre de côté, avec l'ambition de mettre sur pied leur propre ferme. « Pour soutenir l'élevage de volaille encore balbutiant dans la région de Lhokha, les autorités locales ont fourni gratuitement aux éleveurs des poussins et des graines, couplés à des subventions pour bâtir », a raconté Yeshe Drolkar.

Néanmoins, la phase initiale du projet n'a pas été de tout repos. Les deux époux ont dû tout faire par eux-mêmes : transporter les briques, préparer le ciment, élever les murs... Ils passaient leurs nuits sous une hutte accolée à un arbre le temps des travaux. « Nous avons d'abord parcouru le village pour acheter des œufs. Pour optimiser le taux d'éclosion, nous devions retourner régulièrement ces œufs à la main », nous explique Yeshe Drolkar.

En 2004, lors de la fête du Printemps, les parents des deux époux insistèrent pour que ceux-ci abandonnent la ferme. Les beaux-parents de Yeshe Drolkar étaient même prêts à lui donner de l'argent pour qu'elle ouvre un petit supermarché à Wuhan. Cependant, de nature obstinée, Yeshe Drolkar n'est pas du genre à renoncer aussi facilement à une entreprise dans laquelle elle s'est engagée. Forte de sa ténacité, de sa diligence et de sa sagesse, Yeshe Drolkar a finalement réussi à gagner son pain en s'occupant de sa volaille. « Nos clients venaient très tôt le matin à notre ferme pour acheter nos poules », se remémore parfaitement Yeshe Drolkar.

 

Yeshe Drolkar (2e à dr.) lors des deux sessions annuelles.

 

Vers un enrichissement commun

Chaque année, la ferme de Yeshe Drolkar ne cessait de s'étendre, avec la construction de nouveaux poulaillers. En 2008, elle abritait des dizaines de milliers de poules et coqs.

C'est cette année-là qu'un cadre du Hubei, qui était envoyé au Tibet dans le cadre du partenariat entre les deux régions, propose à Yeshe Drolkar de fonder une coopérative agricole. Elle n'avait jamais entendu parler du principe des coopératives à l'époque. Mais grâce au soutien financier des autorités locales, le 30 mai, Yeshe Drolkar a investi 10 millions de yuans dans la Coopérative d'élevage Kunbzang, dont elle préside désormais le conseil d'administration.

Avec l'aide de ce cadre, Yeshe Drolkar a participé dès 2008 au Salon de l'agriculture de Wuhan, où elle a présenté les œufs de ses poules et d'autres spécialités de son terroir. Une belle réussite, puisque ces œufs d'origine tibétaine sont depuis vendus sur les marchés à Wuhan. En seulement trois ans, la coopérative de Yeshe Drolkar est devenue la plus importante base d'élevage de poules tibétaines dans la région de Lhokha et l'une des plus vastes au Tibet.

Grâce au concours de membres qualifiés, cette coopérative a formé un grand nombre d'éleveurs et a reçu le titre honorifique de « ferme modèle » de la part du ministère de l'Agriculture. Le Bureau de l'agriculture et de l'élevage de Nêdong l'a aussi désignée « base de formation des éleveurs de volaille » du district. Rien que l'année dernière, cinq stages y ont été organisés.

Ce succès a suscité un mouvement d'émulation. Beaucoup de Tibétains se sont tournés vers l'élevage de volaille ; certains anciens employés de la coopérative ont créé leur propre ferme : cette industrie a connu un essor dans la région de Lhokha. En quelques années, les membres de la coopérative sont passés de 10 à 300 foyers, chacun percevant en moyenne près de 60 000 yuans par an.

Le nombre d'éleveurs augmentant, il devenait de plus en plus crucial de faire naître des poussins de qualité. L'incubation est ainsi devenue une part importante du travail de la coopérative. « Nous allons ainsi établir une chaîne complète, depuis la reproduction des volatiles jusqu'à leur alimentation, leur élevage et leur vente, a souligné Yeshe Drolkar. Une grande usine se charge de nous approvisionner en grains adaptés spécialement pour les poules vivant dans les régions en haute altitude. »

À l'heure actuelle, la coopérative de Yeshe Drolkar reçoit tellement de commandes de poussins qu'elle n'arrive pas à les satisfaire toutes. Ces commandes viennent des professionnels du coin mais aussi de Lhassa, de Chamdo, de Shigatsé et de Ngari. En 2013, la société a vendu un total de 1,75 million de poussins.

Au service du peuple

En 2013, Yeshe Drolkar a été élue députée de la XIIe Assemblée populaire nationale (APN). Mais n'oubliant pas ses racines, Yeshe Drolkar considère qu'il est de son devoir de représenter les intérêts du petit peuple et de suivre de près l'évolution de l'élevage de volaille au Tibet.

Pendant la tenue des sessions de l'APN et de la Conférence consultative politique du peuple chinois en 2014, les députés et autres représentants, logés dans l'hôtel Jingxi, ont pu goûter pour la première fois aux œufs de poules tibétaines. « Ils sont petits, mais délicieux », ont exprimé les convives. Évidemment, ces œufs provenaient de la coopérative Kunbzang.

Après un examen minutieux de la situation, Yeshe Drolkar a proposé de créer à Lhassa un grand marché d'élevage de bétail et de volaille pour faciliter la distribution et la gestion de ces secteurs d'activité. Ce programme permettra également de garantir la sécurité sanitaire des produits et d'en stabiliser les prix.

Encore aujourd'hui, Yeshe Drolkar et son mari vivent dans la coopérative, au milieu de leurs poules. Ils ne possèdent pas d'autre maison. « Ce n'est pas une priorité. J'en ai vu d'autres pendant mon enfance. Avec mon conjoint, ce que nous voulons avant tout, c'est faire notre possible pour aider davantage de gens », a confié Yeshe Drolkar. Avant d'ajouter : « Notre rêve, c'est de voir les poules tibétaines et les produits sains qui en sont issus vendus dans les supermarchés à travers le pays. »

 

 

La Chine au présent

Liens