CHINAHOY

3-July-2015

Enceinte en Chine

    

    En septembre 2013, Hu Yue utilise chez elle un doppler fœtal pour écouter battre le cœur de son bébé.

    

    

Donner la vie est pour chaque femme une expérience unique, qui répond tout de même à des codes sociaux établis au fil des âges. Décryptage de la maternité en Chine à travers le récit de deux nouvelles mamans, l’une Chinoise, l’autre Britannique.

 

    ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

 

    La presse occidentale a parlé à loisir de ces cohortes de femmes chinoises partant accoucher aux États-Unis dans l’espoir que leur progéniture acquière la citoyenneté américaine. Ces « touristes de l’accouchement », principalement des nouveaux riches, auraient été au nombre de 20 000 l’an dernier. Un chiffre impressionnant, mais toujours est-il très faible en comparaison des 16 millions de nouvelles mères chaque année sur le territoire chinois. C’est elles auxquelles je souhaite m’intéresser aujourd’hui.

 

    En 2013, ma collègue Hu Yue, 31 ans, voyant qu’elle était en retard dans son cycle menstruel, a réalisé un test de grossesse. Positif. Une prise de sang plus tard, elle était fixée : elle était bien enceinte de 6 semaines. Une bonne surprise, se souvient-elle : « Mon mari et moi, nous envisagions d’avoir enfant, mais peut-être un peu plus tard. »

 

    Choyées avant même leur petit

 

    Après avoir annoncé la bonne nouvelle à ses proches, Hu Yue a pu l’annoncer à son entreprise. Elle a réussi à négocier des congés d’un an pour se préparer à l’heureux événement. Elle n’a pas pu percevoir l’intégralité de son salaire sur toute cette période, mais au moins, elle a pu se reposer à la maison, chouchoutée par son mari. « C’est vraiment fatigant la grossesse », lâche-t-elle. Oui, certainement. Encore plus quand on sait qu’elle attendait en fait des jumeaux. Elle ajoute : « Je souhaitais avoir des enfants, deux de préférence, mais apprendre qu’ils allaient arriver au même moment fut une grande surprise ! J’étais néanmoins très entourée par ma famille. Mon mari, en tant que photographe, est régulièrement envoyé en mission aux quatre coins du pays d’ordinaire. Mais durant ma grossesse, il a eu l’opportunité de rester à Beijing auprès de moi. » Comme quoi, même l’entreprise privilégie le bonheur familial de ses employés à leurs objectifs de travail.

 

    D’ailleurs, bien que la Chine soit un pays réputé travailleur, les femmes chinoises ont le droit à un long congé maternité de 98 jours (soit 24 semaines), contre 16 semaines en France. 15 jours supplémentaires peuvent être accordés dans le cas d’un accouchement difficile ou d’une grossesse multiple. En plus de ces « vacances », beaucoup d’entreprises accordent plus de temps libre à ces femmes en passe de fonder une famille : elles les autorisent par exemple à venir plus tard pour éviter les heures d’affluence dans le métro ou le bus, à partir plus tôt le soir pour aller réaliser des contrôles prénataux, et par la suite, à prendre quelques minutes sur leur temps de travail pour allaiter. À noter que l’allaitement exclusif pendant les premiers mois du nourrisson, recommandé par l’OMS, est une pratique particulièrement observée en Chine (à hauteur de 70 % pour les 4 premiers mois suivant des données de l’UNICEF).

 

    Dès les années 50, Mao Zedong avait formulé la phrase désormais culte « Les femmes portent la moitié du ciel », soulignant l’importance accordée à la gent féminine. En période de grossesse, les femmes rappellent qu’elles seules sont capables de donner la vie et forcent naturellement le respect.

 

    Du fait de la politique de planification familiale instaurée à la fin des années 70, l’enfant a pris une place considérable dans la société. Et par analogie, les futures mamans sont particulièrement révérées. Elles sont donc généralement très fières de leur statut et n’hésitent pas à le mettre en avant. Avant de se sentir « grosses », elles se sentent épanouies. D’ailleurs, dans la ville de Haikou sur l’île de Hainan, est régulièrement organisé un concours de beauté réservé aux femmes enceintes, dont le ventre devient un support pour œuvre d’art.

    

    Hu Yue se repose avec ses deux nourrissons âgés de 33 jours.

    

    Choisir sa maternité

 

    Quand Nina, Britannique de 31 ans, a appris qu’elle était enceinte, contrairement à certaines étrangères qui préfèrent rentrer dans leur pays natal pour accoucher, elle est restée en Chine pour donner naissance à son premier enfant, notamment car son mari disposait d’une bonne assurance qui couvrirait tous les frais. Toutefois, le couple souhaitait bénéficier d’un suivi en anglais. Après plusieurs visites de cliniques privées, ils ont choisi Harmoni Care. Nina décrit : « Le système est particulier. Ici, on ne paie pas les soins au compte-gouttes. On achète directement un forfait comprenant l’ensemble des examens prénataux, l’accouchement et le séjour à l’hôpital. Dans cet hôpital, les prix variaient entre 35 000 à 50 000 yuans, selon les services. »

 

    Il existe diverses options pour le suivi de sa grossesse : les hôpitaux publics chinois, les hôpitaux chinois privés et les hôpitaux étrangers privés, dans l’ordre croissant des tarifs. Les hôpitaux publics chinois sont les plus bon marché : environ 3 000 yuans pour un accouchement naturel, le double avec une césarienne. L’inconvénient : ils sont toujours bondés ! Encore plus lors des années du dragon, du cheval ou du cochon, considérés comme des bons signes (les mauvais sont la chèvre et le coq). Il n’est pas rare que le jour J, plusieurs femmes soient entassées dans une même chambre pour accoucher « à la chaîne »...

 

    Hu Yue a choisi cette solution économique, mais a exigé tout de même une chambre privée. Elle calcule qu’au total, elle a dépensé seulement 5 000 yuans, son assurance maladie ayant pris en charge 1 400 yuans. Elle raconte : « J’ai accouché à l’hôpital Renmin, un établissement public assez réputé, non loin de chez moi. J’allais faire des tests tous les mois, puis deux fois par mois à la fin de ma grossesse. Comme les patients se bousculaient aux portes de l’hôpital, c’est mon mari qui allait faire la queue dans l’établissement dès 6 h du matin, pour prendre un ticket. Ç’aurait été trop fatigant pour moi sinon ! Mais hormis ce désagrément, j’ai été bien suivie tout du long, toujours par le même médecin, Mme Wei. Nous l’avions choisie pour son excellente réputation. Le dernier mois de ma grossesse, elle m’appelait de temps à autre pour s’assurer que tout se passait bien. »

    

    Photo de famille : Nina et son mari aux petits soins pour Mylo. (PHOTO FOURNIE PAR NINA)

    

    Des traditions encore très ancrées

 

    De retour à la maison après les examens à l’hôpital, parents et proches s’assurent que la maternité, cette expérience « unique » de neuf mois, se déroule dans les meilleures conditions possibles, conseillant aux femmes enceintes une alimentation adaptée et un maximum de repos.

 

    De génération en génération, les traditions gardent un fort ancrage. Elles sont parfois plus superstitieuses que réalistes. Par exemple, certains préconisent d’éviter tout aliment de couleur foncée (café, chocolat, sauce soja, thé...), par peur que le bébé naissent avec la peau foncée.

 

    En outre, les aliments froids, ou qui induisent le froid, sont à proscrire : les glaces, les boissons fraîches, les fruits de mer, certains fruits comme les pastèques, les papayes... Selon la médecine chinoise, le corps doit maintenir un équilibre entre le « froid » et le « chaud » (le yin et le yang). Et la nature féminine étant associée au « froid », on conseille généralement aux filles de se tourner vers le « chaud ». Mais il faut relativiser : tout le monde ne suit pas ces règles à la lettre. Hu Yue témoigne : « Je ne mangeais rien de cru, mais à part cela, je ne me souviens pas d’avoir changé mon alimentation. En revanche, je mangeais énormément ! Et j’ai pris 25 kg ! » Nina suivait à peu près le même régime.

 

    J’ai pu lire, au cours de mes recherches, des croyances assez farfelues : en Chine, une femme enceinte ne doit assister ni à un enterrement ni à un mariage ; elle ne doit pas toucher le bébé d’un autre, lequel pourrait lui donner des maladies ; elle ne doit pas frotter son ventre, sinon l’enfant sera pourri gâté ; elle doit rester loin de tout adhésif ou objet tranchant, de peur que le bébé naissent avec des taches de naissance ou un bec de lièvre... À savoir tout de même que ce n’est pas une exception chinoise. Nos cultures occidentales recèlent également des superstitions autour de la grossesse et de l’accouchement, tout bonnement parce que cet événement, majeur dans une vie, comportait autrefois de nombreux risques avant les progrès modernes de la science. Les gens se raccrochaient alors aisément au divin pour apaiser leur esprit.

 

    Au-delà de l’alimentation, les femmes chinoises, lorsqu’elles sont enceintes, prennent garde à tous les éléments extérieurs potentiellement nocifs : produits cosmétiques contenant des perturbateurs endocriniens ; ondes diffusées par les ordinateurs et portables... La santé du bébé est primordiale, au point que certaines portent des tabliers anti-radiations pour protéger le fœtus.

 

    Et le bébé naquit !

 

    Le 13 février 2013, l’heureux événement est arrivé : Hu Yue a mis au monde ses deux bébés. Elle aurait souhaité accoucher par voie naturelle, mais les jumeaux étant dans une position délicate, la césarienne a été de mise. Cette opération est très fréquente en Chine. Dans une enquête menée auprès d’hôpitaux asiatiques en 2007-2008, l’OMS avait révélé que 46 % des accouchements en Chine se faisaient par césarienne, un taux record sur le continent (l’OMS recommande un taux n’excédant pas 15 %). Diverses raisons viennent l’expliquer : beaucoup de Chinoises craignent la douleur de l’accouchement et pensent en plus, à tort, qu’il y a moins de risques pour l’enfant. De l’autre côté, les médecins encouragent la pratique, puisqu’elle prend moins de temps et est plus rémunératrice. À cela s’ajoute la superstition de certaines qui souhaitent que le bébé naisse à une date propice.

 

    Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, Hu Yue et son mari espéraient avoir une fille, selon eux « plus calme ». Mais le couple a finalement eu deux petits pour le prix d’un accouchement : un garçon et une fille. En Chine, il est formellement interdit aux médecins de révéler le sexe du bébé pendant la grossesse, au risque de perdre le droit d’exercer, car traditionnellement, les enfants de sexe masculin sont préférés, en particulier dans les campagnes. Nina et son mari, quant à eux, souhaitaient garder la surprise pour le jour de l’accouchement. Cela tombait bien ! Sauf que leurs oreilles ont intercepté le mot « nan » (masculin) dans les conversations entre le docteur et les infirmières, qui n’envisageaient pas que des étrangers puissent avoir des notions de chinois.

 

    La barrière de la langue a été l’une des plus grandes difficultés pour Nina et son mari, bien qu’ils s’y fussent attendus. « J’ai été suivie par un médecin chinois formé à New York et beaucoup d’infirmières avaient un anglais de base, mais tout de même, traduire tout ce qui a trait aux sentiments était difficile pour elles. Pour me rassurer, j’allais régulièrement consulter le “docteur Google”! Je posais aussi des questions sur des forums WeChat dédiés aux futures ou jeunes mamans, comme BeijingMamas ou Bumps2Babes », avoue-t-elle.

 

    Après la naissance en mars 2013 du petit Mylo, elle s’est sentie également un peu « abandonnée ». Tandis que les belles-mères chinoises s’installent généralement chez les nouveaux parents pour donner des conseils et s’occuper du petit pendant que la mère se repose, comme ce fut le cas pour Hu Yue, Nina était seule avec son mari. Elle ne savait pas, par exemple, comment donner le sein à son enfant, et celui-ci avait contracté une jaunisse. Mais en faisant à nouveau appel au soutien de forums, elle a résolu les problèmes. Aujourd’hui, elle se sent même prête à renouveler l’expérience de la maternité en Chine.

 

    Après l’effort, le réconfort...

 

    Pendant ce temps-là, Hu Yue restait alitée, ne se levant que pour aller au petit coin. C’est la tradition post-partum OBLIGATOIRE en Chine, appelé yuezi (« être en couches »). Pendant 40 jours, la nouvelle mère doit rester allongée, ne pas être en contact avec l’eau (pas de douche, pas de lavage de cheveux, pas de lavage de dents…) et toute autre source de « froid » (boissons froides, ventilateurs ou fenêtre ouverte…), sans pour autant passer son temps devant un écran de télévision, de portable ou d’ordinateur, au risque de s’abîmer les yeux. Pour toute occupation, la femme boit des soupes protéinées, préparées par ses belles-mères présentes ou par une yuesao, une femme de ménage-nourrice. Il existe même des centres semi-médicalisés spécialisés, assez onéreux, où les femmes, en plus de soins et services, reçoivent des conseils pour s’occuper a posteriori de leur nouveau-né.

 

    Cette tradition remonte à l’époque où l’accouchement, par voie naturelle, était une rude épreuve pour la mère et où l’eau était potentiellement porteuse de maladies. Puis la coutume s’est perpétuée. Toutes les Chinoises le font ; aucune étrangère ne le fait… Les sites français sur la grossesse préconisent au contraire une alimentation équilibrée et des exercices sportifs pour remuscler son corps, ainsi qu’une toilette intime minutieuse.

 

    À ce choc des cultures, de nombreux Chinois suggèrent que les femmes occidentales sont plus fortes, parce qu’elles ont mangé plus de viande et de fromage dans leur vie... Selon moi, la différence résulte avant tout du contexte : les femmes chinoises sont prêtes à accueillir leur mère ou belle-mère 24h/24 chez elles pour s’occuper du bambin ; les femmes occidentales refusent en général que quelqu’un vienne perturber leur couple et doivent donc retrouver au plus vite toute l’énergie nécessaire pour s’occuper du nourrisson.

 

    Ainsi, Nina, qui n’a pas respecté la « règle chinoise », s’est pris quelques réflexions : « Des passants dans la rue me disaient que le bébé était trop petit pour sortir. Un jour aussi, je suis allée voir un photographe avec Mylo. Il me fallait une photo d’identité pour faire une demande de visa. Mais comme il n’avait que deux mois, le photographe avait catégoriquement refusé », narre-t-elle. Néanmoins, elle s’est vite sentie comme une célébrité avec sa poussette. « Les Chinois ADORENT les bébés étrangers. Très vite, j’ai dû apprendre à leur dire de ne pas toucher Mylo, par sécurité », ajoute-t-elle.

 

    Maintenant que Nina a repris le travail, c’est une ayi (femme de ménage) qui s’occupe du petit depuis ses quatre mois. « Avec mon mari, nous la considérons comme une membre à part entière de la famille. Grâce à elle, Mylo pourra apprendre le chinois, en plus de l’anglais », espère-t-elle.

 

    Chez Hu Yue et son mari, ce sont les deux grands-mères, plus une femme de ménage, qui jouent les nounous. Et elles peuvent se targuer d’être les nounous de célébrités, car pour garder des souvenirs de la grossesse, le mari de Hu Yue avait pris une série de clichés et les avait publiés sur Weibo. De nos jours, Hu Yue compte 35 000 fans sur ce microblog ; son mari en possède pas moins de 50 000. Mais aujourd’hui, c’est à ces nouveau-nés qu’il nous faut souhaiter tout le succès possible dans leur vie future.

    

    

    La Chine au présent

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