CHINAHOY

4-August-2015

Paris : le Chicago des Chinois ?

 

À Paris, les métros sont des lieux où les Chinois sont fréquemment victimes de vol.

 

Depuis quelques temps, la communauté asiatique, et chinoise en particulier, est victime d’agressions. Le ras-le-bol est là et de nombreuses personnalités se mobilisent pour faire entendre la voix des Asiatiques de France.

ANDRÉ FERNANDEZ et SÉBASTIEN ROUSSILLAT*

Juin dernier, Caroline Chu, actrice et scénariste française d’origine asiatique, lance un appel lors du JT de Canal+ dont l’émission titrait pour l’occasion Les Asiatiques sont-ils en danger ? Elle déclare : « Je suis Chinoise, j’ai été agressée à Paris. On pense que j’ai du cash, je suis une cible idéale. » Phrase choc, mais qui résume bien la situation à laquelle font face les Asiatiques dont les Chinois en France actuellement. Elle explique qu’elle est une cible privilégiée des agresseurs : « Je suis asiatique, je vis dans le quartier parisien de Belleville, où la communauté chinoise est très présente. J’ai été agressée et j’ai moi-même assisté à une agression. Les deux événements ont eu lieu en plein jour aux yeux de tous les passants. Je me promenais tranquillement pas loin de chez moi lorsque deux hommes m’ont attaquée par surprise et m’ont projetée au sol. Je n’ai pas tout de suite compris ce qui m’arrivait. Lorsque j’ai repris mes esprits, j’étais par terre, le genou gauche en sang et mon sac toujours entre les mains. J’ai résisté et les deux agresseurs ont fini par prendre la fuite sans leur butin. Mon agression est survenue après que j’ai été témoin il y a quelques mois d’une situation similaire. »

Pourquoi les Asiatiques, et plus particulièrement les Chinois, sont-ils la cible de ces vols à l’arraché dans la capitale française plus qu’ailleurs ? Un exemple plus récent permet certainement de comprendre un des motifs de ces vols : Mme Ma Li, maître de conférences à l’université du Littoral, auteur du livre Les travailleurs chinois en France dans la Première Guerre Mondiale a été agressée et dévalisée le 12 juin dans le RER B. Elle raconte : « Je rentrais de Chine où je venais de participer à une conférence de presse pour la sortie de mon livre en chinois. Dans le RER, un individu m’arrache mon sac et s’enfuit une fois le train arrivé à la station de Sevran-Beaudottes. Je me mets à crier mais personne ne réagit. » Outre ses effets personnels, le sac de l’universitaire contenait un ordinateur portable, des clés USB, deux disques durs renfermant tous ses travaux et leurs sauvegardes, ainsi que le manuscrit d’un livre : La Chine et la Grande Guerre, qui devait paraître prochainement. Arrivée à la gare du Nord, elle se rend au commissariat pour déposer plainte, et comme elle l’explique au journal La Voix du Nord : « les policiers parisiens ont minimisé le vol en m’expliquant que les Asiatiques sont visés parce qu’ils transportent beaucoup d’argent avec eux. »

Chinois = liasses de billets ?

D’où sort cette conviction ? La cause de ces agressions émane certainement d’un imaginaire collectif dans lequel les Asiatiques seraient riches et cacheraient leur argent dans des bas de laine. De plus, ils ne déposeraient rien à la banque et auraient toujours du cash sur eux... Un reportage diffusé en mars dernier dans Zone Interdite sur M6 et un article sur Le Figaro du 16 mars, Ces Chinois, rois impunis de l’arnaque au faux président, faisaient l’amalgame entre des escrocs isolés d’origine asiatique et la communauté asiatique française, les touristes japonais, chinois ou d’autres pays asiatiques et déclaraient que toutes les transactions se passaient en cash et que par conséquent les Asiatiques avaient toujours du liquide sur eux ou chez eux. Quoi de mieux pour faire frétiller les voleurs et autres délinquants et leur donner envie de « détrousser un Chinois » ?

L’agression de cette gérante de restaurant chinois en Seine-Saint-Denis survenue peu après la diffusion du reportage a provoqué la stupeur : barbarie de l’agression (au marteau) et décès de la victime à cause de ses blessures... Y aurait-il un lien de cause à effet entre ce reportage et l’augmentation des agressions envers les Asiatiques ?

Insinuer « involontairement » que les Asiatiques sont des « coffres-forts ambulants » est loin d’être anodin. Comme le dit Caroline Chu : « Les gens pensent qu’on a du cash parce qu’on a les yeux bridés. Alors qu’en fait, j’ai une carte de crédit... Il n’y avait rien dans mon portefeuille qu’une carte et mes papiers. Non, nous n’avons pas du cash plein les poches ! », s’exclame-t-elle.

Les touristes chinois, victimes d’agression du même genre savent maintenant à leurs dépens qu’ils ne faut plus prendre plus de 50 euros sur soi en France. Maintenant que certains automates des banques françaises acceptent les cartes UnionPay, de moins en moins de touristes asiatiques et plus particulièrement chinois se promènent avec des liasses de billets sur eux.

Une discrétion qui les dessert

Pourtant, les agressions continuent d’aller bon train. Une autre raison pour laquelle les Asiatiques sont attaqués plus facilement, c’est certainement parce que la plupart d’entre eux n’osent pas porter plainte au commissariat. Comme l’explique Caroline Chu : « Une fois que vous commencez à parler de votre agression, les autres, ceux qui avaient trop honte pour parler, se mettent alors à raconter la même histoire que vous. C’est comme ça que je me suis rendue compte du nombre de personnes asiatiques autour de moi qui avaient vécu ce genre d’agression à Paris. »

La culture asiatique de la discrétion, de l’harmonie sociale fait que les gens évitent de créer des remous. Peu osent dire qu’ils ne se sentent pas en sécurité ou qu’ils sont victimes. Mais depuis ces agressions, la conscience qu’il faut se faire entendre a fait surface et de nombreuses associations et personnalités asiatiques médiatisées relayent la voix de la communauté la plus discrète de France.

À l’instar de Caroline Chu, Mme Ma Li a également décidé de se faire entendre et a déposé plainte au commissariat de Boulogne-sur-Mer le 14 juin après qu’on ait refusé de la recevoir au commissariat de la gare du Nord. Les réseaux sociaux ont aussi relayé l’information, les journaux L’Express, La Voix du Nord, Métro-news, les radios La Chine en français et Europe 1 l’ont interviewée et ont diffusé l’information. Une page Facebook a même été créée spontanément avec un comité de soutien afin que les recherches commencent et que l’on s’active pour retrouver ses documents de travail.

Une mobilisation en marche

Ces deux agressions ont été le révélateur d’un mouvement qui existe depuis déjà quelques années. L’Association des Jeunes Chinois de France, Notre Avenir Notre Profession, Asiagora, Agir Solidairement pour le Quartier Popincourt, Les Indivisibles, L’Union des Vietnamiens Républicains etc, avaient même envoyé une pétition exprimant leur colère en mars dernier pour dénoncer le reportage de Zone Interdite : « Nous, citoyens asiatiques vivant en France et Français d’origine asiatique, nous contribuons chaque jour à l’économie française, nous sommes en colère. En quelques minutes, en quelques lignes, l’ensemble d’un groupe désigné selon son seul critère ethnique, au travers de cas particuliers, devient une cible. Tout le travail que nos associations mènent auprès de nos concitoyens, des médias et des pouvoirs publics afin d’améliorer le vivre ensemble dans nos quartiers est sapé. En quelques minutes, en quelques lignes, la xénophobie, le racisme et la suspicion ambiante à l’encontre de toute personne perçue comme “chinoise” se trouvent comme justifiés. Nous ne voulons plus avoir à subir cette situation. » Les responsables des associations ont demandé aux médias que cessent ce type de reportages et cette stigmatisation. M6 a finalement reçu une délégation des représentants des associations. Elle a même promis de tenir compte de leurs préoccupations et de faire un rectificatif lors d’une nouvelle diffusion.

La première pétition, adressée aux médias, a recueilli plus de 3 000 signatures. La deuxième, en direction des autorités, en a recueilli plus de 20 000. La lettre demandant que la sécurité des personnes asiatiques, touristes ou résidents en France soit assurée, adressée par les associations au premier ministre n’a cependant toujours pas obtenu de réponse à ce jour.

Une exaspération de longue date et grandissante

Par le passé, d’importantes manifestations en 2010 et 2011 ont déjà eu lieu pour les mêmes motifs, mobilisant des milliers de personnes asiatiques. La communauté asiatique de France est évidemment exaspérée. Cela fait des années que la situation n’est pas bonne, déjà le 16 novembre 2013, le journal franco-chinois Le Pont, se faisait l’écho d’une importante manifestation à Bagnolet, où des milliers de ressortissants chinois étaient descendus dans la rue avec comme slogans « La sécurité est l’affaire de tous », « L’insécurité est subie par toute la population, il est important d’agir ensemble pour vivre dans la tranquillité ». Le Parisien titrait encore le 22 avril 2015 « Les commerçants chinois ne veulent plus être attaqués ». Il citait dans la même édition qu’entre 2012 et 2013, les agressions visant des Asiatiques ont bondi de 50% à Aubervilliers. Ce même article décrivait les mésaventures récentes d’un responsable d’une association d’Asiatiques victime des agissements d’une bande crapuleuse.

Les témoignages de plus en plus nombreux surmontent les hésitations et les craintes, les Asiatiques commencent à parler dans les journaux français, à la télévision, dans les radios, les réseaux sociaux et même en Chine sur le site de microblogs Weibo et à la CCTV.

Pour Wang Rui, président de l’Association des Jeunes Chinois de France, la solution se trouve dans une meilleure compréhension réciproque entre la communauté asiatique de France et les autres composantes de la population mais aussi par l’action des pouvoirs publics : « Notre souci est de développer une coopération plus efficace avec les autorités. Nous espérons une prise en compte du problème par les pouvoirs publics. Nous devons régler le problème avec la population dans sa diversité, avec une meilleure connaissance de chacun. Il est indispensable de tisser des liens avec toutes les composantes ethniques de notre société [...] Le bien vivre ensemble est à ce prix et nos associations s’y emploient constamment, la solution durable au problème posé passe par ce que nous construisons tous les jours avec toute la population dans les quartiers franciliens. »

 

*ANDRÉ FERNANDEZ est docteur en sciences sociales de l’université Paris 5-La Sorbonne, cher- cheur en sociologie dans le domaine de la protection sociale et président de l’association France-Chine Cultures Interactives (AFCCI) ; SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de la rédaction.

 

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