CHINAHOY

6-September-2015

Yann Layma : objectif Chine

 

Le quartier des ambassades de Sanlitun, à Beijing, en 1985.

 

Portrait d'un photographe français qui suit les changements de la Chine depuis trois décennies.

GONG HAN et NA RISONG*

Si, dans les années 1980 ou 1990, vous avez croisé à Beijing, sur une avenue ou dans les hutong, un étranger, masque sur le visage et appareil photo Leica au cou, qui roulait à bicyclette tout en observant de tous côtés quelles jolies scènes il pourrait bien prendre en photo, c'était probablement Yann Layma !

Yann Layma est né en 1962 en Bretagne. Fier de sa région natale, Yann Layma considère que les Bretons partagent plusieurs points communs : ils sont talentueux, relativement têtus et amateurs de voyages. Lui-même a hérité de tous ces traits de caractère. Dès l'âge de 14 ans, il a commencé à parcourir le monde ; à 16 ans, il s'est passionné pour la photographie ; puis à 18 ans, il est devenu photographe professionnel. En 1984, il a obtenu l'autorisation d'entrer librement au palais de l'Élysée tout au long de l'année pour réaliser un album sur la vie quotidienne du président d'alors, François Mitterrand. C'est l'unique photographe français qui a reçu cet honneur.

Sa première visite en Chine remonte à 1985. Depuis, il y est venu un nombre incalculable de fois, se faisant ainsi le témoin des percées du pays depuis la réforme et l'ouverture, de même que des grands changements opérés dans la vie et l'esprit des Chinois.

En l'espace de trente ans, ce Français a réalisé une soixantaine de reportages photographiques sur la Chine et publié 4 albums. En 2004, son album photo intitulé tout simplement Chine a été distribué simultanément dans six pays à des centaines de milliers d'exemplaires, faisant de Yann Layma le photographe spécialiste de la Chine le plus influent en Occident. L'année suivante, il s'est vu même attribuer l'ordre de chevalier de la Légion d'honneur, en reconnaissance de sa remarquable contribution aux échanges culturels sino-français.

En mars 2015, son album La Chine d'hier est paru en Chine et a instantanément suscité l'intérêt des lecteurs. Ce livre reprend la collection de photos grand format constituant son album Chine de 2004, avec en complément des clichés inédits triés sur le volet.

Focus sur la Chine

Lors de l'interview, nous lui demandons par curiosité s'il s'est habitué à la cuisine chinoise. Yann Layma répond, dans un très bon chinois, que ses plats préférés sont le poulet sauté aux cacahuètes et le porc aigre-doux. Ce Français s'est totalement acclimaté et n'est plus victime de la barrière de la langue. Chaque fois qu'un Chinois le félicite sur son mandarin, il réplique en plaisantant : « Comme si comme ça, pas beaucoup mieux que toi. » Un jour qu'il déjeunait dans un restaurant chinois, il a entendu les serveuses chuchoter entre elles : « Un étranger. Charge l'addition ! » Yann Layma a alors rétorqué tout haut : « C'est vous, les étrangers ! Pas question de me laisser arnaquer ! » Voici le caractère assez « sauvage » de Yann Layma, qui revendique le fait d'être tigre selon l'astrologie chinoise.

Yann Layma est un des meilleurs photographes étrangers ayant scruté la Chine. Depuis une trentaine d'années, il traverse le pays en long et en large, enregistrant avec son Leica l'immense transformation qu'il a connue depuis les années 1980. Sa collection de photos offre un riche panorama de la Chine en pleine mutation à l'heure de la réforme et de l'ouverture.

Parmi ses œuvres figurent des slogans et des affiches de propagande collées sur les murs prônant la Chine socialiste, de jeunes Chinois dans le train ou attendant sur le quai, ou encore les nouveautés étrangères faisant pour la première fois leur apparition dans la vie des Chinois : les jeans, les chaussures en cuir, les cigarettes, le Coca-Cola, les téléphones publics et les portables… On peut voir également des Chinois qui, pris dans la vague de la réforme, achètent des actions en bourse ou commencent à étudier le commerce sur un ordinateur. S'ajoute à cela des scènes de loisirs, dans la rue ou dans les parcs. Toutes ces photos nous rappellent à quel point les temps ont changé, détaillant les métamorphoses subtiles, mais indélébiles, qu'ont subies ce vieux pays tout comme l'existence des gens qui le peuplent.

Après les grands maîtres que sont Henri Cartier-Bresson, Marc Riboud et Liu Heung Shing, Yann Layma est considéré comme le photographe occidental qui est resté le plus longtemps en Chine et qui a couvert la plus large superficie du territoire chinois. D'après un collègue photographe : « Dans les années 1980 et 1990, la plupart des photos sur la Chine qui paraissaient dans les médias étrangers étaient l'œuvre de Yann Layma. Une performance rarement vue, même parmi les photographes chinois. »

 

Dans une rue de Beijing, en 1986.

 

Au tréfonds de la Chine

En 1989, Yann Layma a passé six mois dans le district autonome de Sanjiang peuplé par l'ethnie dong, dans le Guangxi.

En quittant les métropoles comme Guangzhou et Beijing, il a approfondi ses connaissances sur la Chine. « Ici, bien loin des artistes chics et populaires des grandes villes, je me suis enfin senti au plus proche de la réalité chinoise », se souvient-il.

En 1993, Yann Layma a passé une demi-année à Yuanyang, dans la province du Yunnan, aux côtés de l'ethnie hani qui habite ici depuis des générations. Pendant son séjour, il a réalisé un film et un album de photos, les deux intitulés Les sculpteurs de montagnes. À travers ces productions, il a révélé au monde l'existence des champs en terrasses, qui ont été classés par les médias occidentaux comme l'un des « sept paysages humains nouvellement découverts en 1993 ».

Alors que Yann Layma pointe son objectif sur la Chine, c'est à travers une lentille de tendresse qu'il la voit. Il évite de tomber dans les images stéréotypées que beaucoup d'Occidentaux ont sur elle. Il dit garder délibérément une distance avec les reportages sur la Chine, qu'ils soient composés par les Occidentaux ou par les Chinois. Il préfère rester fidèle à sa propre expérience pour que ses photos soient le reflet vivant et libre de ses impressions personnelles au moment où il immortalisait la scène. C'est une façon de livrer un autre regard sur le pays, en témoignant des bouleversements fascinants qui ont secoués la Chine contemporaine, sans pour autant suivre une ligne journalistique ou se limiter à un style photographique.

Force de caractère s'il en est, Yann Layma est, parmi les photographes que je connais, celui qui manifeste la plus ferme volonté. Depuis 2000, il souffre d'une grave dépression qui l'a longtemps empêché de travailler normalement. Il s'est alors tourné vers les antidépresseurs, aux effets secondaires particulièrement virulents. Bien qu'il soit fortement déconseillé d'entreprendre des longs voyages, il a continué de venir en Chine, souffrant encore plus que les autres du décalage horaire qui perturbait son sommeil. Yann Layma est passé à côté de beaucoup d'opportunités de travail à cause de cette maladie. Néanmoins, même dans ces conditions, il a gravi encore quelques marches dans sa merveilleuse carrière en Chine.

En octobre 2004, son exposition photo « Les 108 portraits du dragon » s'est tenue au jardin du Luxembourg à Paris. Ce sont 108 photos géantes, au format 1,8 x 1,2 m, qui ont été exposées le long de la clôture entourant le parc, formant un nouveau paysage des plus éblouissants dans les rues parisiennes. Yann Layma en reste très fier, car en général, seuls les grands maîtres sont en mesure de présenter leurs œuvres dans ce lieu mythique. Par ailleurs, le même mois de la même année, il a encore eu la chance de participer à l'Exposition photographique internationale de la Cité interdite, à Beijing.

En 2007, son exposition « Portraits du dragon » s'est tenue dans le quartier artistique 798 à Beijing. En 2011, Yann Layma a été élu, avec 11 autres personnalités, « voyageur culturel » par le programme China Right Here. 2011 fut également une année très importante pour lui, puisque c'est à ce moment-là qu'il a trouvé l'amour, en Chine.

Yann Layma n'est pas un journaliste photographe stricto sensu. Il ne se considère pas comme un artiste non plus. Selon lui, il ne fait que conter de belles histoires vraies à travers des photos. En 1990, un de ses albums sur la minorité dong avait fait sensation. Grâce à cette publication, les districts de Sanjiang (Guangxi) et de Liping (Guizhou) avaient attiré davantage de chercheurs et de touristes étrangers.

Un enthousiasme sans fin

« C'est incroyable : à 16 ans, j'ai rêvé que je venais vivre en Chine. Et l'année suivante, en 1979, la Chine a commencé à délivrer les tout premiers visas autorisant l'entrée sur le territoire aux touristes étrangers. Je n'arrivais plus à dormir tellement cette nouvelle était renversante pour moi. Je voulais apprendre la photographie, je voulais étudier le chinois, je voulais prendre des clichés montrant la réforme et l'ouverture en Chine. Je me sentais appelé par ce pays, de sorte qu'il fallait que j'y aille, donc j'y suis venu. Je ne regrette pas ce rêve. » Ces trente dernières années, Yann Layma n'a cessé d'arpenter et d'immortaliser « ce monde de rêve », comme il le dit. Il affirme avoir visité beaucoup de lieux féeriques en Chine, mais que malheureusement, ils se font de plus en plus rares dorénavant…

« Le monde évolue rapidement, mais c'est en Chine que les changements ont été les plus précipités. C'est donc là qu'il fallait être », décrit Yann Layma. Il poursuit : « En tout cas, je suis très satisfait de ma vie d'aujourd'hui. C'est encore mieux que dans mon rêve ! »

« De nos jours, il est difficile de trouver de bonnes photos qui reflètent sincèrement la vie quotidienne des Chinois. Si j'étais encore jeune, je prendrais des clichés témoignant des problèmes touchant la société : pollution, embouteillages, gaspillage, etc. Hélas, je ne peux pas faire cela tout seul ! Il faudrait que plus de photographes se lancent dans l'initiative », soupire-t-il.

Dans la préface de La Chine d'hier, Yann Layma a écrit : « Au fil des années, j'ai trouvé 1,5 million de raisons d'aimer la Chine. J'ai appris à connaître, à observer et à admirer cette civilisation grandiose, plus dynamique aujourd'hui que jamais. Ici en Chine, je n'ai jamais ressenti la moindre menace visant mes biens ou ma propre personne. Je n'ai jamais attrapé de maladie grave non plus. Mon parcours fut tel un long fleuve tranquille. À maintes reprises, je me suis retrouvé, à ma grande surprise, dans une ambiance si ingénue et singulière, où débordaient l'enthousiasme et la gaieté. Si l'on respecte les différences culturelles d'autrui, l'échange avec lui est souvent source de découvertes extraordinaires. Durant toutes ces années, ma détermination de découvrir la Chine n'a jamais molli.

 

*GONG HAN est membre de la rédaction et NA RISONG est directeur artistique du centre d'art Inter de 798.

 

 

La Chine au présent

Liens