CHINAHOY

29-December-2014

Les derniers gardiens d’anciennes demeures...

 

Grande porte dans le village du Xicun.

 

Balade aux alentours de Pingyao, dans la campagne du Shanxi, où ne survivent plus que quelques habitants, seuls au milieu de vestiges millénaires...

LI SHUANGXI*

De Pingyao (ville au centre du Shanxi), je me suis dirigé vers l'ouest en longeant le fleuve Jaune jusqu'à atteindre le district de Linxian. Puis, j'ai traversé ce fleuve et je suis arrivé au district de Wubao (province du Shaanxi). Au fil de mon périple, j'ai découvert d'anciennes demeures des commerçants du Shanxi, des grottes autrefois habitées ainsi qu'une cité millénaire aujourd'hui abandonnée, dont les seuls gardiens restants sont ces quelques personnes âgées résidant dans des maisons sombres...

Les anciennes demeures des commerçants du Shanxi

La célèbre ville antique de Pingyao connut son heure de gloire sous la dynastie des Qing (1644-1911). À cette époque-là, bureaux de change et boutiques s'y multipliaient. Nombre de commerçants qui y travaillaient construirent leur maison à l'extérieur de la ville, parfois dans leur village natal. Le village de Xicun, à seulement 10 min en voiture, était le lieu de naissance de Mao Honghui, directeur adjoint du premier bureau de change chinois, baptisé Rishengchang. Foyer important des marchands de Pingyao à l'ère des Ming et des Qing, ce village fut le témoin de la prospérité puis de la décadence de leurs affaires.

Naturellement, j'ai supposé que Mao Honghui vivait dans une propriété des plus splendides. En plein dans le mille ! Construite sur plusieurs générations, la maison de la famille Mao possède quatre cours alignées en pente, orientées sud. Bien que toutes ces cours bien conçues présentent une même structure, chacune possède son identité. La chambre accessible depuis la cour centrale, plus grande et plus luxueuse que les autres, était réservée aux hôtes. Bien qu'aujourd'hui, cette maison soit détruite en divers endroits, son agencement et sa décoration méritent encore d'être admirés, révélatrices qu'ils sont des scènes fastes d'autrefois. À la sortie du village se trouvent également le temple des ancêtres, l'entrepôt et le mont-de-piété de la famille Mao, qui tous sont aussi majestueux les uns que les autres.

Ce qui est le plus ravissant, ce sont certainement les sculptures magnifiques et vivantes qui ornent la demeure. De fait, les chambres à l'est et à l'ouest des quatre cours ont été creusées dans la roche et sont reliées l'une l'autre par un couloir en bois. Les colonnes travaillées et colorées n'ont rien perdu de leur beauté, même après des centaines d'années. Le piédestal sculpté de ces colonnes vernies représente des histoires, des personnages, des plantes ou encore des animaux. Certaines salles sont délabrées, et les encadrements des portes sont également en grande partie effondrés, mais reste sur pied une niche en briques contre le mur. Cette niche servait de sanctuaire familial pour vénérer le dieu des commerçants. Désormais, cette pratique a disparu, et seules demeurent les briques, des rosaces dessinées et autres motifs religieux. Devant la grande salle de la maison, sont plantés des lions en pierre, qui de leurs grands yeux vifs gardent la maison.

Les chambres principales, toutes assez spacieuses, sont richement décorées. Malheureusement, la plupart sont à l'état de ruines depuis de nombreuses années...

J'ai alors suivi un petit sentier et poussé les portes d'une de ces habitations. Un homme d'âge moyen m'a invité à pénétrer, bien que je lui fusse étranger. C'est la première fois que je visitais une maison dans ce genre, qui de l'extérieur semblait lumineuse, mais ne l'était finalement pas une fois à l'intérieur. Le plancher bosselé grinçait sous nos pas. Le plafond assez haut, en forme de dôme, était soutenu par des murs blancs noircis par la fumée de charbon, murs sur lesquels étaient collées de nombreuses images colorées du Nouvel An. Sur un lit, monté sur un coffrage de briques et chauffé par-dessous, une vieille femme cousait à la machine, tandis que son mari à côté l'aidait en l'éclairant à la lampe.

Les ancêtres de la famille Mao n'avaient pas ménagé leurs efforts pour développer leurs affaires et construire ce beau domaine. Mais avaient-ils même imaginé un jour qu'après des années, les gardiens de cette bâtisse ne seraient plus leurs descendants ?

Des maisons tranquilles dans le lœss

À 5 km au sud du fleuve Jaune, se trouve, dissimulé dans les profondeurs des montagnes, le village de Lijiashan, dans le bourg de Qikou (province du Shanxi). En octobre 1989, M. Wu Guanzhong, grand peintre chinois contemporain et théoricien qui a modernisé la peinture chinoise, s'était rendu dans ce village et l'avait décrit comme le tombeau de la dynastie des Han (202 av. J.-C.-220). De l'extérieur, cet endroit ressemble effectivement à un tombeau vide, mais il renferme des cavernes où avaient vécu nos ancêtres. Relativement fermé, ce village fait figure de paradis isolé. Ces constructions suivent judicieusement la topographie du lieu, de sorte que les habitants jouissent non seulement de la beauté de l'environnement naturel, mais aussi de la magnificence de leurs logements qui se superposent en suivant la forme de la montagne.

Il faut pas mal de temps pour se rendre au village de Lijiashan depuis le centre-ville de Pingyao. On doit passer d'abord dans la ville de Lüliang, puis changer d'autobus pour prendre la direction du bourg de Qikou. Ce trajet vous occupera au moins une demi-journée, mais le jeu en vaut la chandelle ! Car une fois debout en haut de ce plateau de lœss, le panorama sur les ravins et les grottes alentour est des plus spectaculaires.

Le village de Lijiashan dessine les traits d'un phénix : les habitations au milieu en forment le corps ; celles sur les deux pentes à 70 degrés en constituent les ailes. Un superbe effet visuel ! Il s'agit d'un relief typique du lœss, avec ce vaste plateau, son milieu naturel charmeur, ses grottes en strates, le long fleuve Jaune à proximité et ses gens simples. Chaque année, ce décor attire une foule d'artistes qui viennent y chercher l'inspiration.

Les touristes se faisant rares en hiver, j'ai trouvé ce village on ne peut plus paisible. Pour quelques dizaines de yuans par jour, il est possible de réserver une chambre, avec trois repas quotidiens compris. Alors, j'ai décidé de passer la nuit dans la caverne d'un villageois, où j'ai dégusté des nouilles faites maison. Une bonne expérience de la vie locale !

Il paraît que la demeure dans laquelle j'ai séjourné, au sommet du plateau, était autrefois la cour d'un grand commerçant, cour sur deux paliers qui donne aujourd'hui accès à une vingtaine de chambres. Les actuels propriétaires sont un couple d'âge moyen, qui vivent de la culture de leurs terres et en font une maison d'hôtes durant leur temps libre. Dès mon arrivée, la femme a fait chauffer pour moi le lit de briques kang, avant de m'apporter un plat de nouilles. Après une longue journée de marche, c'est goulûment que j'ai dévoré ce repas à la saveur authentique du Shanxi.

Son mari, après avoir fini son travail au champ, est entré dans ma chambre pour bavarder. Il a détaillé les changements qui avaient eu lieu dans sa maison, décrit les avantages que le tourisme leur avait apportés et précisé également l'état de pauvreté dans lequel vivaient les villageois. Il a alors sorti d'un tiroir un DVD, en m'indiquant avec un grand sourire que ce disque racontait son histoire. Il s'agissait d'un documentaire intitulé Les Foyers du fleuve Jaune, avec pour protagonistes ce monsieur et son épouse.

Ce documentaire retrace une année de la vie de ce couple. De la plantation à la récolte, du printemps à l'hiver, le film montre le village de Lijiashan parfois ensoleillé, parfois couvert. Mais en toute saison, l'absence de précipitations est un problème... Et le fleuve Jaune est bien loin de leur terrain... Pour arroser ses cultures, le couple est contraint d'aller puiser de l'eau en un endroit et de la transporter dans des seaux accrochés à une palanche. Toutefois, malgré le travail pénible du couple, leur visage affiche toujours un large sourire. À la fin du documentaire, la femme enseigne aux enfants du village la danse folklorique chinoise appelée Yangge. On voit les enfants portant des vêtements colorés former une ronde dans la grande cour. Durant ce passage, la femme expliquait timidement qu'elle avait temporairement servi de professeur pour ces enfants, afin qu'ils puissent se produire en spectacle dans le chef-lieu de la province.

L'ancienne cité millénaire près du fleuve Jaune

À 2,5 km à l'ouest du fleuve Jaune, se trouve l'ancienne cité de Wubao, située dans le bourg de Songjiachuan du district de Liulin (province du Shanxi). Les anciens la surnommaient « la cité de cuivre ».

Entre le quartier central et l'ancienne cité de Wubao, les transports ne sont pas pratiques. Le plus simple est de marcher 5 km pour atteindre Wubao. À mesure que je suivais le sentier muletier, l'environnement devenait de plus en plus apaisé : d'un côté, des vallées profondes ; de l'autre, le fleuve Jaune suivant son cours au pied de la falaise. J'ai abordé le dernier virage, traversé une forêt de jujubiers nus et suis arrivé en fin de route, d'où je pouvais apercevoir des murailles de pierre. Debout sur cette paroi, se dessinait devant moi, comme à l'encre de Chine, une peinture de paysage avec le fleuve Jaune en arrière plan.

Vers 9 h du matin, le soleil a commencé à se lever. Le silence régnait dans la cité. Tous les verrous rouillés étaient cadenassés. Je me croyais vraiment dans une ville fantôme, avec pour seule compagnie des pierres massives recouvertes d'une poussière cuivrée due à l'érosion, ce qui explique son appellation de « cité de cuivre ».

Cette cité n'a pas toujours eu cette apparence désolée. À l'époque des guerres à l'épée, il s'agissait d'une place forte, disputée par les stratèges. Dans son histoire millénaire, cette ancienne cité traversa donc des périodes florissantes, tout comme elle connut plusieurs bains de sang et destructions par le feu. Les murailles en ruine par endroits s'en souviennent encore aujourd'hui. Aux quatre portes de la cité, sont toujours disposées de vieilles plaques gravées à son nom, qui témoignent de l'histoire de Wubao.

Cependant, cette ancienne cité s'est réduite comme peau du chagrin, et la désolation remplace la prospérité d'antan. Avec le temps, Wubao est devenue méconnaissable...

Inopinément, au sud-ouest de la cité, un filet de fumée a attiré mon regard vers la maison de M. Wang. Il était assis seul dans sa caverne, en train de manger des raviolis. Il m'a informé que c'était son anniversaire et qu'il avait préparé ce plat en guise de célébration. Il m'a invité à partager son repas dans sa petite cuisine et à bavarder avec lui plus longtemps.

Selon ses informations, il ne reste plus que trois habitants à Wubao. Les deux autres, malades, ne sont pas sortis braver le froid. Il m'a raconté sa vie tranquille et monotone dans cette campagne. Tous les jours, il menait paître son troupeau dans la cité, de sorte que Wuabo devint sa ferme. Pour se reposer, il montait sur la muraille fumer des cigarettes en admirant le paysage, toujours seul...

« Pourquoi êtes-vous resté ici ? » lui ai-je demandé. « Je me suis habitué au calme de cette cité. Je ne souhaite pas aller habiter en ville avec mes enfants », m'a-t-il répondu d'un air serein, sans une once de tristesse. Puis, il m'a tendu une tasse légèrement jaunie par le lœss, qui contenait de l'eau chaude fumante. Celle-ci avait le goût de l'attachement à son village natal.

 

*LI SHUANGXI est concepteur d'emballages pour produits.

 

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