CHINAHOY

26-November-2014

La Grande Muraille à Gubeikou, là où l’histoire prend vie

 

L'une des nombreuses tours de guets le long de la Grande Muraille.

 

XING ZOU DE YU*

Gubeikou est une des nombreuses passes de la Grande Muraille de Chine. Ancien champ de bataille témoin de plus de 130 combats historiques, la Grande Muraille à Gubeikou se dresse comme un général chevronné sur la crête de la montagne Yanshan au nord de Beijing. Même un simple regard vers elle vous invite à des sentiments profonds et respectueux. C'est son aspect imposant qui attire les amateurs d'histoire chinoise là-bas, dans l'extrême nord-ouest de la capitale chinoise.

Le bourg de Gubeikou se situe dans le nord-est du district de Miyun, à environ 100 km du centre-ville de Beijing. Il était un point de passage important entre la passe Shanhai et la passe Juyong, ainsi qu'une voie principale pour les échanges entre Beijing et la région du Nord de la Chine. C'était donc un endroit militaire stratégique autrefois.

Je pense souvent que parmi les tours de guet innombrables de la Grande Muraille, celles de Gubeikou portent les signaux historiques les plus brillants, car cette zone, à l'entrée de la capitale, a été témoin de nombreux événements très importants dans l'histoire du pays. Aujourd'hui même, certains habitants disent entendre les cris des combats des guerriers retentir dans les montagnes le soir.

Une balle dans la Grande Muraille

Lorsque j'arrive à la Grande Muraille de Gubeikou, mon guide M. Pang est en train de m'attendre sous le portique commémoratif du bourg. Comme il possède une profonde compréhension de la culture locale et de l'histoire de la Grande Muraille, on lui a proposé de travailler au gouvernement local. Il s'occupe également de diffuser des films pour les habitants ruraux.

Dans mes souvenirs d'enfance, regarder des films en plein air était un évènement sacré. On les visionnait aux bruits des grenouilles et des grillons. Les belles images étaient transportées à l'écran par les mains d'un homme : le projectionniste. Évidemment, avec la diversification des loisirs, les films en plein air ne sont plus aussi populaires qu'auparavant, mais cela n'empêche pas M. Pang de travailler avec passion. Dans le bourg entouré par la Grande Muraille, les images sur l'écran font écho avec les montagnes, les champs de bataille anciens redeviennent réels, la guerre et le feu, l'âme et la chair, l'amour et la haine... La vue d'un tel montage entre la réalité et l'histoire ne laisserait pas la même impression dans un grand cinéma d'une ville.

J'ai promis à M. Pang de l'accompagner pour projeter un film au village. En réalité, la plupart des productions qu'il diffuse sont de vieux films de guerre que j'avais vus petit. Certaines, plus récentes, sont pour les enfants, comme le dessin animé Shrek. Mais ce ne sont pas les films qui m'ont le plus intéressés. Ce sont les anciennes photographies que m'a montrées M. Pang.

Ces vieux clichés jaunis sont des documents authentiques pris par des journalistes étrangers lors de la lutte contre l'agression japonaise à Gubeikou en 1933. Elles relatent les moments les plus horribles et tristes de la guerre. On a du mal à imaginer comment ces correspondants de guerre internationaux ont réussi à prendre de telles photographies dans les conditions accablantes qu'étaient celles de la guerre. J'ai vu celle des Tours jumelles, la plus petite appuyée sur la plus grande, sur la rive de la rivière Chaohe. J'ai aussi reconnu le village bombardé par l'armée japonaise, des files de soldats chinois et japonais, et même des femmes de réconfort. J'ai pu retrouver les endroits où les clichés ont été pris en comparant avec les photos. J'avais l'étrange impression d'être face à un livre d'histoire grandeur nature ouvert devant mes yeux.

M. Pang n'avait pas décoché un mot depuis que nous avions commencé à regarder ces vieux clichés. Il me montra alors une photo que je n'oublierai jamais : une balle rouillée enfoncée dans une brique de la Grande Muraille. Autour, plusieurs traces d'impact de balle. J'avais l'impression que c'était moi qui avait été touché. Je me sentais désorienté parmi les montagnes qui disparaissaient peu à peu dans le soleil couchant. À ce moment-là, je pouvais imaginer les batailles sanglantes subies par la Grande Muraille à Gubeikou et je savais pourquoi les habitants locaux disent entendre parfois des cris sur le champ de bataille à proximité.

Une signification historique

À mon avis, Gubeikou est la partie la plus belle de la Grande Muraille à Beijing. La montagne du Tigre en embuscade s'élève telle une tour au-dessus de la vallée, et la montagne du Dragon qui s'entortille y serpente le long. La Grande Muraille de Gubeikou est scindée en deux par la rivière Chaohe. Chaque brique de la muraille, brute et non ornementée, et surtout les ruines du mur nous transportent dans le temps et nous laissent entrevoir la beauté historique de celle-ci.

L'évolution continue de la société chinoise, les rénovations et reconstructions excessives nous empêchent souvent d'examiner le vrai visage de l'histoire de la Chine. De ce point de vue, la Grande Muraille à Gubeikou est précieuse, car elle n'a pas subi de destructions ni le désastre de la « réparation ».

L'histoire de Gubeikou peut être divisée en trois phases : la première remonte à l'époque de la dynastie des Song alors que celle-ci combattait les Jurchens (fin du Xe siècle – début du XIe siècle). L'histoire selon laquelle les guerriers de la famille Yang ont combattu les Jurchens pendant trois générations est connue de tous ici. Trois générations d'hommes de la famille Yang ont été aux commandes de l'armée des Song. L'un des hommes de la famille Yang est décédé ici, à Gubeikou, et il est communément admis que son tombeau se trouve sur la montagne du Tigre en embuscade.

La deuxième phase est la période Wanli de la dynastie des Ming (de 1573 à 1620). À cette époque, on avait confié l'édification de la Grande Muraille dans la région de Gubeikou à Qi Jiguang, qui a participé personnellement à la construction. La partie qu'il a édifiée est incomparable en termes d'ingéniosité et de solidité. Aujourd'hui, une stèle qui relate le travail de Qi pour construire la Grande Muraille est conservée dans la salle d'exposition du village, et une statue de celui-ci a été érigée sur la place centrale.

La troisième phase de l'histoire de Gubeikou est la Guerre de résistance contre l'agression japonaise dans les années 30. Le 17e Corps d'armée du Kuomintang avait lancé une bataille sanglante à Gubeikou pour empêcher l'armée japonaise d'envahir Beijing.

Pour mieux illustrer ces trois phases de l'histoire de Gubeikou, je vous propose de visiter le temple Linggong, le plus ancien et le mieux conservé de la famille Yang. Il a été construit par les descendants de la famille en mémoire de Yang Linggong, général réputé de la dynastie des Song du Nord. Les habitants locaux sont en majorité des descendants des soldats qui défendaient la Grande Muraille à l'époque. Ils préservent la mémoire de leurs ancêtres et leur font souvent des offrandes au temple.

La Tour aux 24 yeux s'appelle ainsi, car elle possède 24 échauguettes. On raconte que c'est là où Qi Jiguang travaillait pendant la construction de la Grande Muraille. L'allure imposante, la sophistication de l'architecture et le fait qu'elle soit adossée à la montagne du Dragon me poussent à y croire.

La stèle des Sept Héros au pied de la montagne du Chat est aussi à voir. On dit qu'à la fin de 1933, l'armée chinoise avait sonné la retraite et laissé sept soldats pour garder la Grande Muraille. Ceux-ci réussirent à déjouer de nombreuses attaques japonaises, mais l'armée nippone finit par leur lancer une grenade et les exterminer. On raconte que la stèle a été établie par les Japonais par respect pour leurs sept valeureux ennemis.

La tour Dahua, construite sous la dynastie des Qi du Nord (550-577), est la partie la mieux conservée de la Grande Muraille. Le charme spécial du tronçon de Gubeikou est précisément dû aux morceaux des Qi du Nord et celui des Ming. Ils sont d'une grande valeur pour les recherches historiques sur la Grande Muraille. Ils sont comme deux bras qui embrassent l'ancien bourg de Gubeikou.

La voie de chemin de fer de Gubeikou fut utilisée pour transporter l'armée japonaise avant l'invasion de Beijing par la vallée de la montagne du Tigre en embuscade. C'est la raison pour laquelle c'est aussi un site intéressant pour comprendre l'histoire de la Guerre de résistance contre l'agression japonaise. Auparavant, je l'avais visité par le train partant de la Gare du Nord de Beijing à Xizhimen. Malheureusement, aujourd'hui le train ne s'arrête plus à la station Gubeikou.

Cependant, le bourg de Gubeikou a su garder son cachet, et nombreux sont les bâtiments bien conservés. L'ancien bureau de poste est toujours ouvert : les touristes peuvent envoyer leur carte postale de la Grande Muraille. Bien sûr, le must est d'y coller un timbre de la Grande Muraille et d'y faire apposer un cachet « Gubeikou ».

 

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