CHINAHOY

29-August-2014

Bol de fraîcheur corporel et spirituel à Chengde

Le pavillon de la Pluie brumeuse se trouve sur l'île des lotus bleus. Lorsqu'il pleut en été, la brume qui sort du lac le transforme en paysage fantasmagorique.

 

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Après une journée au tronçon Jinshanling de la Grande Muraille, dans le bus retournant vers le centre-ville de Beijing, nous avons fait la connaissance de Song Baishan, médecin traditionnel chinois, qui nous a indiqué : « Je travaille la semaine à Beijing et le week-end à Chengde, ma ville natale. Je vous invite à la visiter d'ailleurs. Il y a tellement à y voir ! »

Une invitation qu'on aurait eu tort de décliner ! Chengde, à environ 200 km au nord-est de la capitale, est un lieu touristique d'exception, pourtant peu connu des étrangers – qui la confondent trop souvent avec Chengdu, la cité des pandas. Pourtant, cette ville était au XVIIIe siècle, sous la dynastie mandchoue des Qing (1644-1912), un centre politique majeur. La cour impériale y passait à l'époque la saison estivale, en quête de fraîcheur et de sérénité. Un peu comme nous...

Il existe différents moyens de rejoindre Chengde depuis Beijing, comme le train lent ou les bus longue distance. Mais nous avons opté pour une solution plus aventureuse : prendre un bus public de Beijing jusqu'au district de Luanping, d'où nous avons partagé un taxi direction Chengde.

Notre ami Song Baishan nous a aidés tout au long de notre périple, commençant par nous accueillir autour d'un bon repas au restaurant. Les mets de Chengde, à l'image de ses habitants, sont plus que généreux ! Un plat aurait facilement pu nourrir trois hommes, d'après moi... Bien que nous n'ayons pas eu l'occasion de nous délecter des spécialités culinaires de la ville, n'hésitez pas à goûter les champignons blancs de Chengde et ses rouleaux à la viande d'âne, arrosés du baijiu (alcool de riz chinois) local !

1er jour : prions aux temples pour un voyage sans embûches

Une fois le ventre bien rempli, nous étions prêts à escalader toute montagne pour admirer la résidence impériale d'été de Chengde ou les huit temples bouddhistes environnants, qui tous sont inscrits sur sa liste du patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1994. Nous avons commencé notre visite par le temple de Puning (ou temple de la Tranquillité universelle), édifié en 1755 selon les plans du monastère lamaïste de Samye au Tibet, suivant l'ordre de Qianlong qui souhaitait commémorer sa victoire sur des tribus mongoles rebelles. Ce temple incarne donc cette volonté qu'avait l'empereur de maintenir la paix entre les diverses ethnies installées au Nord-Est de la Chine.

Ainsi, le site présente à la fois des éléments han, tibétain et mongol. À notre entrée, nous nous croyions encore à Beijing, avec des bâtiments à dominante rouge, au toit richement décoré dans le style des Qing. Mais une fois passées la salle des quatre Rois célestes (gardiens des horizons) et la salle de Mahavira, l'architecture change quelque peu. Une gigantesque pagode rouge, aux étages de dimensions diverses, s'élève dans le ciel. Elle est cernée de moulins à prière, qui grâce aux nombreux croyants et touristes, ne cessent jamais de tourner... À proximité, sont postés des éléphants dorés, symbolisant dans le bouddhisme le salut universel de tous les êtres vivants. Outre notre vue, notre ouïe est agréablement sollicitée par les émanations de l'encens brûlant ça et là. Il faut savoir que ce temple, bien qu'ouvert à tout visiteur, reste un lieu de culte où évoluent librement moines et fidèles.

Nous pénétrons enfin dans cette construction imposante, puis imitant nos voisins, levons directement la tête. Nous sommes dans l'antre d'Avalokitésvara, surnommée aussi Guanyin (la déesse de la compassion), qui du haut de ses 22 m nous observe de ses mille yeux et nous accueille en ouvrant grand ses mille bras. Il s'agit de la plus grande statue en bois au monde de ce bodhisattva.

Nous poursuivons notre escalade, qui nous rapproche toujours un peu plus du ciel... Là, le ton rouge des constructions cède la place au blanc, rappelant clairement les édifices tibétains. Une ribambelle de cadenas censés attirer chance, bonheur et réussite à leur détenteur pendent le long de cordes de sécurité. Ils nous accompagnent sur le chemin rocailleux menant à la salle où est vénéré Vaishravana, Roi céleste de la richesse. De ce point de vue, nous remarquons que le site est par ailleurs entouré de drapeaux de prières tibétains, qui répandent leurs bonnes paroles au gré du vent...

Accolé, à l'ouest, se trouve le temple Puyou, construit en 1760 sur l'ordre de Qianlong, à l'occasion de ses 50 ans et des 70 ans de sa mère, l'impératrice Xiao Shengxian. Il servit à l'époque d'institut d'études des sutras. Mais ce temple, qui a souffert d'un incendie en 1964, fait pâle figure à côté de son aîné et semble presque à l'abandon... Nous en retiendrons simplement sa collection de 500 arhats (équivalent du « saint » dans le bouddhisme), affichant tous des visages différents et expressions variées.

À un quart d'heure de marche de là, un « mini-Potala » surplombe les collines. D'une superficie de 220 000 m², le temple de Putuo Zongcheng est le plus grand des huit encore sur pied à Chengde. Il fut élevé entre 1767 et 1771, en quatre ans seulement, pour célébrer le 60e anniversaire de Qianlong, qui souhaitait y recevoir le dalaï-lama. Ce fut malheureusement peine perdue. L'empereur accueillit néanmoins des délégations de différentes ethnies dans cette œuvre architecturale sino-tibétaine, où les édifices rouges, blancs, or ressortent magnifiquement sur le vert de la végétation alentours. Ils avaient pu y admirer un pavillon abritant des stèles gravées d'archives historiques en chinois, tibétain, mongol et mandchou, une porte surmontée de cinq stupas colorés, une arche monumentale vernissée qui n'autorisait le passage qu'aux lamas et nobles d'un certain statut, ou encore un pavillon d'or où se recueillait le pieux Qianlong auprès de la statue de Sakyamuni.

Plus loin, se dresse une imposante façade rouge criblée de fenêtres, au-dessus de laquelle triomphent deux temples. Dénommée le grand pavillon rouge, il s'agit, avec ses 60 salles, de la construction principale, modèle réduit du pavillon central du palais du Potala.

À l'est, s'étend le temple de Xumifushou (temple du bonheur et de la longévité au mont Sumeru), qui lui fut édifié à l'image du monastère tibétain de Tashilhunpo en 1780, pour recevoir le 6e panchen-lama souhaitant se rendre à Chengde dans le cadre du 45e anniversaire de Qianlong. Deux fois plus petit que le mini-Polala, il lui ressemble fortement en termes de structure. Mais le toit du bâtiment principal couvert de tuiles d'or, sur lesquelles courent des dragons (symbole de l'empereur) tout aussi resplendissants, vaut néanmoins le coup d'œil !

Des étoiles plein les yeux et des courbatures plein les pattes, nous rentrons à l'hôtel pour nous reposer, dans l'attente d'un lendemain prometteur de nouvelles merveilles.

2e jour : sur la trace des empereurs des Qing...

Le lendemain, c'est de bonne heure que nous partons pour la résidence impériale d'été de Chengde, dont le nom chinois signifie littéralement le « hameau de montagne pour fuir la chaleur ». À vrai dire, nous avons vraiment constaté cette différence de température : l'air chaud et étouffant à Beijing l'été est à Chengde beaucoup plus respirable, balayé par une douce brise.

Une marée de visiteurs campaient déjà devant le site à notre arrivée. Pas le choix, il faut faire la queue... Après de longues minutes, nous pénétrons dans cet ensemble de pavillons, kiosques, monastères, jardins, lacs et curiosités en tout genre, qui occupe 5,6 km², soit presque la moitié de la superficie de la ville ! Il s'agit du plus grand jardin impérial au monde. Sa construction, entreprise par Kangxi et poursuivie sous les règnes de Yongzheng, Qianlong et Jiaqing, a demandé 89 ans, de 1703 à 1792. À l'époque, ces empereurs se réfugiaient dans cette grande résidence pour y passer six mois de l'année, au calme et au frais. Mais quand y moururent Jiaqing puis Xianfeng, Chengde fut accusée de porter malheur : la ville tomba alors en désuétude et ses richesses culturelles finirent par être saccagées dans les différentes guerres qui ont sévi en Chine au XXe siècle.

Mais le charme simple des bâtiments depuis restaurés garde toute sa fraîcheur. La première partie au sud est quelque peu calquée sur la Cité interdite : au devant, le lieu où l'empereur recevait les hôtes de haut rang ; à l'arrière, les chambres où résidait la famille impériale. Ce palais principal compte un total de neuf cours (chiffre favori de l'empereur), garnies de pins et rochers. Dans les différentes salles, vous pourrez observer du mobilier et des habits ayant appartenu à la famille impériale, ainsi que diverses expositions (vieux chronographes, tableaux chinois en relief, porcelaines et objets en laque).

La deuxième partie est consacrée aux jardins, le tout alliant la solide architecture du Nord du pays à la douceur des paysages du Sud. Nous pénétrons alors dans un environnement fantastique, qui pourrait être partagé en trois zones : zone de lacs, zone de plaines et zone de collines. C'est dans ce dédale de chemins pittoresques que les empereurs et nobles venaient se détendre, chasser ou s'entraîner au tir à l'arc. Il paraîtrait même que Kangxi y cultivait son potager ! De nos jours, vous pourrez encore découvrir, dans cet harmonieux imbroglio d'arbres, de rochers et d'eau, les 72 curiosités nommées par Kangxi et Qianlong, telles que les pavillons au milieu du lac, les deux lacs en miroir, le jardin des innombrables arbres, la maison de l'été frais, la salle diffusant des arômes sur la montagne... Tout au nord, sont même installées des yourtes mongoles !

Autrefois centre politique majeur, cet espace est aujourd'hui un musée sur l'histoire des Qing, une exposition d'architecture ainsi qu'un sanctuaire de verdure, pour le plaisir de toutes les générations.

Après cette après-midi de promenade, nous décidons de rentrer nous reposer un peu. Faute de trouver le bon arrêt de bus, nous nous accordons de pousser la balade jusque dans la ville. Sans regrets ! 30 min à pied suffisent à traverser le centre-ville de Chengde, peuplé d'environ 500 000 habitants. Pour rentrer à notre hôtel proche de la gare, nous avons longé la rivière Luanhe et sommes passés sous un porche boisé, visiblement lieu de rendez-vous des amoureux. Puis, nous avons traversé le bras d'eau en empruntant un petit pont, où court une ancienne voie ferrée. Nous sommes alors arrivés devant le « Big Ben » de Chengde, qui ne manque pas de sonner toutes les heures.

Le soir, nous avons pris un bus pour aller applaudir un spectacle intitulé La cérémonie de Kangxi. Un incontournable, selon notre ami M. Song. Pour preuve, il s'agit de l'un des plus grands projets de l'industrie culturelle du pays. Rien qu'aménager ce gigantesque endroit de 300 km² a requis 2 milliards de yuans et près de 5 années d'efforts. Heureusement, le succès semble au rendez-vous, au vu de la salle comble.

Ce spectacle son et lumière d'1h30, interprété par un cortège d'acteurs, nous en a mis plein la vue ! À l'arrière-plan, sont éclairés une pléiade de temples à flanc de collines ; au premier plan, les artistes dansant rythment l'histoire légendaire de Kangxi, racontée et chantée en fond sonore. Les éléments de décor, tantôt réels tantôt sur écran, s'entremêlent harmonieusement, au point de s'y méprendre. Cette représentation vivante en extérieur repasse ainsi le règne de Kangxi, empereur fondateur de la résidence impériale d'été de Chengde. Les diverses scènes présentent son étude des écritures philosophiques et poétiques, ses questionnements sur la meilleure façon de régner et servir son peuple, ainsi que sa curiosité envers l'Occident à travers un dialogue avec le jésuite astronome belge Ferdinand Verbiest.

M. Song avait raison : nous sommes restés bluffés par ce divertissement féerique ! Mais dès demain matin, sonnera l'heure du retour... Heureusement, Chengde n'est pas bien loin de la capitale : nous pourrons bien nous accorder un autre bol d'air frais le temps d'un prochain week-end, pour explorer plus en profondeur cette ville de Chengde recelant de véritables merveilles architecturales et paysagères.

 

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