CHINAHOY

2-April-2014

Yantai, un havre de paix entre tradition et modernité

 

En février 2013, les pêcheurs de Yantai font des offrandes lors de la fête des lanternes des pêcheurs.

 

LAURENT CASSAR, membre de la rédaction

Une ville où il fait bon vivre

À peine arrivé au petit aéroport de Yantai, en provenance de l'immense Terminal 3 de l'aéroport international de Beijing, on se rend vite compte que l'on va découvrir une autre Chine. Une Chine plus calme, moins bruyante, où la maxime « le temps c'est de l'argent » qui colle à la mentalité des gens des mégalopoles chinoises ne s'applique pas. Dans cet aéroport en fin de vie (un nouvel aéroport sera bientôt construit dans un autre district de la ville), ne se trouve qu'une seule minuscule boutique dans laquelle aucun vendeur n'est en vue ; et il n'y a qu'un seul distributeur de billets, hors service le jour de mon arrivée. Ici, les chauffeurs de taxis ne vous sautent pas dessus pour proposer leurs services. Ils sont plutôt en train de plaisanter entre eux en Yantai hua, la variante locale du mandarin jiao liao parlé dans la péninsule du Shandong.

Mais ne vous laissez pas tromper par les apparences.Yantai est une ville à l'économie dynamique et en plein développement : 1er port de pêche et 2e PIB du Shandong (20e PIB de Chine). Yantai se trouve au nord-est de la province du Shandong, au bord de la mer de Bohai. La préfecture compte près de 7 millions d'habitants disséminés sur 13 700 km² et 900 km de côtes. La mer est d'ailleurs indissociable de l'identité de la ville : son nom, sa culture et son économie y sont étroitement liés. Yantai signifie « la tour de fumée ». En 1398, sous les Ming (1368-1644), Yantai n'était encore qu'un modeste village de pêcheurs. Mais compte tenu de sa position géographique stratégique, l'empereur Hongwu y fit construire une tour d'observation sur une colline surplombant la mer. En cas d'approche de bateaux de pirates japonais (les Wokou), un « feu fumant » était allumé à son sommet pour alerter les habitants de la région.

En se promenant en cette fraîche et ensoleillée matinée de mars, sur le bord de mer de Zhifu, le district le plus peuplé de la préfecture (environ 750 000 habitants), on peut saisir une partie de l'esprit de Yantai. Des femmes sont occupées à ramasser des petits coquillages entre des rochers recouverts de mousse, des hommes âgés pêchent de façon désinvolte, tandis que des parents apprennent à leurs enfants à utiliser des cerfs-volants multicolores. C'est ce côté pittoresque et relaxant qui attire ici de nombreux touristes chinois voulant échapper au stress et à la pollution des grandes villes. Nous nous trouvons dans le quartier historique de Yantai, là où les Anglais établirent un port en 1861 après que la Chine eut perdu la guerre de l'opium. 17 consulats étrangers – dont les bâtiments sont pour certains toujours sur pied – s'implantèrent ici dans la foulée. Déambuler dans les petites rues de ce quartier est une promenade très agréable : des vieilles maisons de style européen aux toits recouverts de tuiles cohabitent avec les nombreuses échoppes de vendeurs de fruits et légumes, de raviolis, ou de pains à la vapeur fourrés à la viande, aux légumes ou aux algues (proximité de la mer oblige).

L'atmosphère est paisible. Des vendeuses assises devant leurs boutiques bavardent entre elles en mangeant de grosses fraises bien rouges et vous en proposent si vous regardez avec attention le sachet les contenant. Les enfants ouvrent grand leurs yeux en voyant « un étranger » et vous lancent des « Hello ! » avec de grands sourires. Les voitures sont peu nombreuses et la brise marine qui s'engouffre entre les ruelles rend le lieu irrésistiblement agréable. Il est possible d'aller visiter, pour 3,50€, la fameuse colline d'où partaient les colonnes de fumée il y a plusieurs siècles. S'y trouvent les bâtiments des anciens consulats anglais et américain, des musées sur l'histoire de la ville, un temple, ainsi que de petits parcs aménagés pour la détente. On peut aussi observer un superbe panorama de la ville en montant en haut d'un phare… enfin si le gardien est en poste. Comme il n'y était pas au moment de ma visite, j'ai demandé à un autre employé pourquoi le phare était fermé. Il m'a répondu avec le sourire que le gardien était probablement parti s'acheter à manger. Il m'emmena donc lui-même là-haut, en essayant de plaisanter avec moi en chinois. C'est ce côté détendu et sans trop de pression que les locaux aiment Yantai : la vie n'est pas une course contre la montre, et on ne fait pas toute une histoire de petits désagréments.

Pause déjeuner

Au niveau gastronomique, la ville possède de nombreuses spécialités, à commencer, bien sûr, par les produits de la mer. Je choisis un petit restaurant au hasard, au milieu des ruelles, et y entre. Un couple et une vieille femme épluchent tranquillement des gousses d'ail, assis à une table. Ce sont les patrons. Je leur demande de me servir des spécialités locales et me retrouve avec de délicieux morceaux de calamar et de poulpe frits à l'ail, ainsi qu'avec de petits poissons baignant dans une sauce aigre-douce avec des galettes de maïs. Les brochettes de calamar grillées au barbecue sont d'ailleurs un classique de la ville, les soirs d'été, où les marchands improvisent des terrasses en installant des tables et des chaises en plastique sur les trottoirs. Il est aussi possible de déguster une douzaine d'huîtres extra-fraîches pour 1€, oui j'ai bien dit 1€ ! Les autres spécialités de la ville sont les concombres de mer (étranges animaux rampant au fond des mers), les pommes (avec une variété locale spéciale), les cerises, les aubergines (réputées dans toute la province comme étant délicieuses) et le vin. Yantai est en effet la capitale chinoise du vin.

L'entreprise Changyu, basée à Yantai, est aujourd'hui le 10e fabricant mondial de vin, avec une production annuelle de plus de 9 millions de tonnes. La légende veut que Zhang Bishi, un diplomate de haut rang sous la dynastie des Qing, eut l'idée de produire du vin ici après avoir goûté du vin français offert par le consul de France en poste à Yantai à la fin du XIXe siècle. Il commença sa quête de pieds de vignes en 1892 et après des expériences peu concluantes, il arriva à produire du vin avec des pieds venant du nord-ouest de la Chine greffés avec des pieds européens. Aujourd'hui, Changyu s'est associée avec l'entreprise française Castel et connaît un succès commercial certain. Changyu a aujourd'hui son propre château, imitant le style des châteaux français, un domaine que l'on peut visiter. On peut se balader au milieu de champs de vignes de différentes espèces, et il y a même un espace où les visiteurs peuvent cueillir des grappes et les déguster sur place (selon les saisons). Outre les vignes, la visite comprend les caves ainsi qu'un musée, et une dégustation de vins produits au château est offerte.

 

En janvier 2013, une jeune fille joue sur le ponton glacé au port de Yantai.

 

Petit détour par Penglai

Quittons la ville de Yantai un moment pour aller 80 km plus à l'ouest, à Penglai. Cette ville d'à peine 400 000 habitants est remarquable à plusieurs égards. De nombreux Chinois connaissent son nom de par la légende Les huit immortels traversent la mer, qui narre comment ces huit dieux du folklore taoïste ont traversé la mer sans bateau et se sont battus contre le Roi-dragon, ici à Penglai. Cette histoire est immortalisée au pavillon des Huit Immortels, musée en plein air bâti en bord de mer, comportant statues, temples et bassins où nagent des cygnes noirs. Mais ce pavillon n'est qu'une petite partie de la richesse culturelle offerte par la ville. Non loin se trouve le site des Trois montagnes sacrées, noté « attraction AAAAA » par le gouvernement chinois, l'équivalent des 5 étoiles de nos hôtels. Site taoïste sacré en Chine depuis au moins mille an, ce complexe consiste en un immense parc comprenant pagodes, temples, lacs et musées. 20 millions d'euros ont été injectés dans sa rénovation, et le résultat est spectaculaire. Nous pouvons découvrir ici le folklore religieux chinois et ses centaines de dieux plus ou moins importants. Sont réunis ici les courants bouddhiste, taoïste et confucéen, avec des statues monumentales sculptées dans des roches provenant des quatre coins d'Asie et installées dans des édifices colorés à l'architecture chinoise traditionnelle. Un musée de plusieurs étages expose également des objets rares, telles des collections de pierres et de bois précieux venant du monde entier (à conseiller aux amateurs d'améthyste !), des vases, des sculptures ou des calligraphies anciennes. Ce complexe appartient à Ma Jing, une femme d'affaires locale qui a d'énormes ambitions pour la ville.

En effet, Ma Jing possède bien d'autres sites à Penglai, ce qui permet à la ville d'accueillir plus de 2 millions de visiteurs par an ! Parmi ces sites, figure ce qui était il y a peu le plus grand parc océanographique d'Asie (aujourd'hui 2e après celui de Jinan, également au Shandong). Sont exposés dans d'immenses aquariums, des milliers de poissons en provenance des cinq continents, des dauphins, des requins, une baleine blanche, un ours blanc, des crocodiles… Des spectacles sont régulièrement donnés où l'on peut voir par exemple des otaries faire de la musique, jouer au volley-ball et résoudre des additions, ou encore des dauphins effectuer des sauts d'une hauteur impressionnante. Toujours à Penglai, Ma Jing a inauguré il y a tout juste une année un parc d'attraction, Europark, petite réplique des parcs Disneyland. Durant les mois d'été, ce site a reçu 100 000 visiteurs mensuels en moyenne. Mais ce n'est pas tout, un grand parc aquatique d'une valeur de plusieurs centaines de milliers de yuans est en construction, entre la mer et un gigantesque complexe hôtelier de 1 800 chambres, également en travaux. Les gens de Penglai ont la réputation dans la péninsule du Shandong d'être très intelligents. Je demande à mon guide s'il sait pourquoi. « Évidemment, nous descendons des dieux ! », me dit-il en riant .

Une ville ouverte au monde

Revenons à Yantai pour en découvrir un autre aspect, celui d'une ville moderne à l'économie dynamique, diversifiée et ouverte sur le monde. Sont installés ici, entre autres, General Motors, Foxconn, Auchan, Converteam, Maf-Roda ou Lafite Rothschild. Yantai (jumelée avec les villes françaises d'Angers et de Quimper) compte aujourd'hui plus de 80 présences françaises : entreprises, usines, ingénieurs, professeurs, etc… La ville le doit en grande partie à Michel Humbert (voir notre numéro de janvier 2014), un Français installé ici depuis 17 ans et dont le rôle est d'attirer entreprises et investisseurs étrangers. Mais la plus grande partie de la population étrangère de Yantai se range dans trois catégories : les étudiants, les professeurs d'anglais et les élèves d'une grande école de kung-fu.

Yantai compte deux grandes universités : l'université Ludong (où plus de 500 étudiants chinois apprennent le français) et l'université de Yantai. Plus d'une centaine d'étudiants du monde entier (en majorité des Russes) y étudient le chinois. « C'est très bon de parler chinois en Russie pour le commerce, me dit une jeune étudiante rencontrée dans un bar. Et puis j'aime Yantai : il y a la mer et de belles plages, la vie n'est pas chère et on se sent en sécurité, même pour une fille seule la nuit. » Encore plus nombreux que les étudiants, on retrouve à Yantai un grand nombre de professeurs d'anglais originaires de divers pays anglophones. Les plus chanceux travaillent dans des écoles privées (maternelles ou primaires) et gagnent le double de ceux travaillant dans les écoles ou universités publiques. Paul, 32 ans, est Irlandais et travaille à l'université de Yantai depuis le mois de septembre dernier. Il est ravi d'être ici : « J'habitais à Londres et j'avais besoin d'un changement de vie. J'aime Yantai : c'est tranquille, et les gens sont gentils et détendus. Il y a deux semaines, j'ai passé quelques jours à Chongqing, où un de mes amis enseigne, et je n'ai vraiment pas aimé ! Je crois que j'ai de la chance d'avoir atterri ici », confie-t-il.

Quant aux élèves de kung-fu, ils sont également plusieurs centaines et suivent un entraînement à la prestigieuse Académie d'arts martiaux Shaolin des montagnes de Kunyu, à une trentaine de kilomètres à l'est de Yantai. Les Français représentent le contingent des élèves le plus nombreux. Ils sont venus ici pour devenir professeurs d'arts martiaux ou pour découvrir une certaine philosophie. L'enseignement des différents styles de kung-fu est donné par des moines Shaolin, et les élèves suivent des cursus allant de 3 mois à 3 ans. Ils s'entraînent 6 heures par jour et habitent à l'Académie, au milieu des mystérieuses montagnes brumeuses de la région. Ils sont néanmoins autorisés à sortir les vendredis et samedis soirs. J'ai rencontré par hasard ce jeune Mexicain qui m'a raconté son parcours, semblable à celui de beaucoup d'autres étrangers de la ville. « Après avoir été diplômé, j'ai travaillé deux ans dans un bureau, mais je n'aimais pas cette vie. J'ai toujours adoré les films de kung-fu, alors j'ai économisé pour aller à l'école Shaolin. Au début, je devais rester 6 mois, mais comme je donne des cours d'anglais le week-end, je gagne de l'argent qui me permet de continuer ma formation. C'est tellement rare de trouver une ville où on se sent bien… Je ne me vois pas rentrer au Mexique. Je vais essayer de trouver un travail pour rester à Yantai », dit-il. Et toutes ces catégories d'étrangers côtoient les locaux sur la rue Chaoyang, la « rue des bars », où sont installés quantité de pubs et de restaurants, et où les brochettes grillent sur les barbecues en toute saison.

Yantai est élue, année après année, dans le top 10 des villes les plus agréables de Chine (tout comme les villes « voisines » de Weihai et Qingdao). Sous la neige (qui tombe parfois abondamment en hiver), ou en été sur les plages ensoleillées (celles du district de Laishan sont parmi les plus belles de Chine), Yantai a de quoi charmer tout le monde. Je laisserai le mot de la fin à un sympathique chauffeur de taxi local, qui chantait une chanson tout en slalomant de façon imprudente entre les voitures, avant que j'engage la conversation : « Je n'aime pas Beijing : l'air n'y est pas bon, il y a trop de voitures, trop de gens, et c'est trop cher. Ici, l'air est pur et la nourriture est saine. La santé, c'est important. Yantai hen hao (Yantai c'est très bien) ! », conclut-il en me regardant, le pouce levé, sans arrêter d'accélérer.

 

La Chine au présent

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