CHINAHOY

29-November-2013

Basha, un village miao au Guizhou

 

Le village de Basha

 

LAO HU

Il y a des années, j'ai vu une photo sur laquelle des hommes tout habillés de noir, cheveux attachés au-dessus de la tête, étaient postés devant un village, fusil au poing. Cette photo, qui avait été prise à Basha, dans la préfecture autonome des Miao et des Dong (sud-ouest du Guizhou), comportait comme légende « dernière tribu des tireurs de Chine ». Cette image m'avait beaucoup intrigué. Quelles sont les caractéristiques de cette tribu ? Quelle vie mènent leurs membres à l'ère de la société moderne ? Cette année, j'ai enfin entrepris une expédition à Basha pour partir à la rencontre de ces mystérieux hommes armés.

Une tribu ancienne

Je suis parti de la célèbre ville touristique de Guilin et après 255 km, soit 6 heures de trajet en voiture, je suis finalement arrivé dans le district de Congjiang, situé dans la préfecture autonome des Miao et des Dong. Une fois à Congjiang, il ne reste plus que 9,6 km (20 minutes par la route X883) pour atteindre le village de Basha, dans le bourg de Bingmei. Dans la langue miao, « Basha » signifie « végétation luxuriante ». Bien qu'officiellement il n'abrite aucune forêt, ce village construit au pied du mont Yueliang est entouré de bambous et d'une variété de plantes. Et en contrebas des habitations, où résident un total de plus de 2 000 habitants répartis dans cinq quartiers différents, s'étalent des champs en terrasse.

On raconte que les trois trésors de Basha sont les couettes, les armes et les arbres antiques. Cependant, ce qui a le plus attiré mon attention au premier regard, c'est cette abondance de noir. Les maisons, les fusils, les costumes des Miao et leurs longs cheveux : tout est couleur ébène. Mais malgré son aspect sombre et mystérieux, Basha, comme d'autres villages antiques, est tout de même devenu un site touristique.

Sur l'ensemble du territoire chinois, le port d'armes est formellement interdit. Basha est l'unique endroit où les individus sont autorisés par le gouvernement chinois à posséder une arme à feu. Plus de 80 % des villageois sont détenteurs d'un permis. Ceux-ci sont généralement munis d'un fusil de type traditionnel, à poudre noire, ayant une portée d'une dizaine de mètres seulement. Transmis de génération en génération, ces derniers constituent une part non négligeable de l'héritage familial.

Les hommes là-bas sont de petite taille, mais ne manquent pas de robustesse et d'agilité. Avec leurs habits noirs, leur dague attachée à leur ceinture et leur fusil sur l'épaule, ils ressemblent fort aux guerriers de la Chine antique.

À Basha, selon la tradition des Miao, les hommes travaillent aux champs pendant que les femmes tissent à la maison. Les villageois cultivent du riz, chassent et pêchent pour se nourrir. En outre, ils prient les dieux de l'arbre et du ciel, comme le faisaient leurs ancêtres avant eux. Toutefois aujourd'hui, leur mode de vie se transforme progressivement.

 

Basha est l'unique endroit en Chine où les individus sont autorisés par le gouvernement à posséder une arme à feu.

 

Souvenirs dans les diaojiaolou

Les diaojiaolou en bois de Basha (pavillons sur pilotis), couverts pour les plus anciens d'un toit en écorce, sont les mieux conservés de Chine. Ces constructions, aujourd'hui inhabitées pour la grande majorité, ont gardé leur style d'origine. La plus vieille habitation de Basha, soutenue par ses piliers et ses planches en bois découpées à la hache, est toujours debout après 250 ans. Les nouveaux bâtiments ont été globalement édifiés selon le style des diaojiaolou, malgré quelques modifications. Cette architecture traditionnelle permet d'imaginer la vie que menaient les habitants de Basha par le passé.

Les échelles pour accéder à ces foyers respectent également l'esthétique ancienne de Basha. Elles sont fabriquées à partir d'un tronc d'arbre, au milieu duquel sont percés des trous à intervalles réguliers. J'ai essayé de grimper au premier étage d'un diaojiaolou : comme il est difficile de ne pas perdre l'équilibre !

Le rez-de-chaussée est un espace qui sert à entreposer des objets ou à élever des animaux de ferme. Les familles vivent en fait au premier étage. Ces habitations se marient harmonieusement avec les bambous qui se dressent dans le village. De loin, le mélange des champs en terrasse et des volutes de fumée émanant du village dessine un paysage des plus ravissants.

Les constructions possèdent des murs et un toit fins, qui laissent pénétrer les rayons du soleil. Dans l'ancien temps, elles comportaient des volets en bois pour réguler l'intensité de la lumière, désormais remplacés par des fenêtres en verre. Dans les chambres, pas de lits : la plupart des habitants de Basha dorment à même le sol, mais les plus âgés ont l'habitude de dormir assis. Malgré ces coutumes héritées du passé et les conditions rudes, de nos jours, les habitants de Basha mènent une vie quotidienne moderne par de nombreux aspects.

Quand on y regarde de plus près, on se rend compte que le village a connu des mutations, indispensables à l'amélioration du cadre de vie. L'écorce sur les toits a laissé place aux ardoises. Certains villageois dotent même leur foyer d'un revêtement métallique, pour être plus en sécurité lors des tempêtes.

Dans le village, en bordure des routes, trônent d'immenses étagères, réalisées à partir de troncs épais. Après la récolte du riz, les villageois coupent les épis et les entreposent sur ces étagères, pour que ceux-ci sèchent. Les épis de riz, une fois secs, forment un magnifique ruban doré dans le village.

Les mœurs originales des Miao

Les costumes des habitants de Basha sont uniques, emplis d'un mystère qui les rendent somptueux. Les hommes portent une longue tunique noire avec des boutons en cuivre et un pantalon droit noir ; les femmes se vêtissent d'une veste noire qui se ferme sur le devant grâce à des boutons ainsi que d'une courte jupe plissée, décorée de batiks colorés ou de broderies. Par ailleurs, tous, hommes et femmes, vieux et jeunes, arborent une sorte de veste bleu-violet, dont le tissu est teint par les Miao à l'aide d'une plante indigo appelée landian. Pour rendre le vêtement à la fois brillant et imperméable, les Miao le recouvrent de blanc d'œuf lors de sa fabrication. Lorsque la veste est sale, ils ne la lavent pas, mais la colorent à nouveau, afin que celle-ci retrouve tout son éclat.

Les hommes de Basha attachent beaucoup d'importance à leur coiffure. Ils font une couette avec leurs cheveux au sommet de leur tête et rasent le reste. Cette coupe est dénommée hugun dans la langue miao. Les hommes gardent tout au long de leur vie cette coiffure, vue comme un symbole de virilité. Selon la légende, cette coupe, l'une des plus anciennes de Chine, aurait été transmise par Chiyou, personnage mythique chinois et dieu de la guerre. Même les enfants connaissent bien cette histoire et savent que le hugun est un signe de masculinité et de force. Cependant, les hommes que j'ai croisés lors de mon périple portaient plutôt des turbans. Seuls les enfants dans les spectacles étaient coiffés selon la tradition du hugun.

Les villageois de Basha attribuent la vie agréable qu'ils mènent à cette terre divine choisie par leurs ancêtres ainsi qu'à la protection qu'ils reçoivent de la part de la végétation. Ainsi, ils vouent un culte aux arbres, notamment à ceux qui poussent sur la montagne, regardés comme étant les arbres sacrés de Basha. Ils ne les abattent jamais, sauf si cela est vraiment nécessaire à la production et à leurs besoins vitaux.

Les bambous sont en outre des plantes caractéristiques de Basha. Les maisons sont cernées de bambous, une vue qui donne au site son atmosphère extraordinairement paisible. Un touriste a suggéré en plaisantant qu'en pelletant un peu, on trouverait des pousses de bambou en quantité suffisante pour faire un grand festin. Mais je doute que les gens du pays nous laissent creuser chez eux...

Dans le village, nous avons constaté qu'une maison avait brûlé. Tout avait été réduit en cendres. Peut-être le feu est-il la plus grande menace pour ces villages miao. Je crains qu'un jour, en un instant, tous ces vestiges anciens partent en fumée dans un incendie destructeur.

Un village en transformation

Tout en préservant leurs mœurs d'antan, les gens de Basha se fondent lentement dans la société moderne. Hormis l'architecture miao qui est restée fidèle à la tradition, certaines coutumes, telles que le port constant du fusil et leur habillement noir, se perdent petit à petit.

Le tourisme a exercé une influence imperceptible sur Basha.

À Basha, sont organisées sur un terrain plat des représentations miao lorsqu'arrivent des groupes de touristes. Tous les villageois revêtent alors des costumes traditionnels, se munissent de leur fusil et jouent du lusheng (orgue à bouche chinois), ce qui donne aux voyageurs, en quelques minutes seulement, un aperçu de la culture miao.

Basha est un site touristique un peu différent des autres. Les vendeurs de souvenirs s'y font rares. Les spécialités ne manquent pas pourtant (broderies, pousses de bambous, etc), mais les villageois ne harcèlent pas les touristes pour les pousser à l'achat. Les produits locaux sont disponibles dans quelques boutiques seulement. Peut-être est-ce dû au caractère distant des habitants de Basha.

Avant de repartir, nous avons déjeuné dans une auberge de jeunesse miao. Assis à côté de la fenêtre, j'avais une vue sur tout le village de Basha et observais les allées et venues des résidents. Je peux comprendre qu'ils soient ainsi sur la défensive. Lorsque Basha est devenu un village touristique, leur environnement a subi de grands bouleversements. Leur mode de vie traditionnel s'est vu remplacer par le modèle contemporain. Ce choc de la civilisation moderne et de la culture traditionnelle est source d'incertitudes pour les locaux. Ils ont perdu un peu d'eux-mêmes, et ne savent pas encore ce que le tourisme leur apportera, en bon ou en mauvais...

 

La Chine au présent

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