CHINAHOY

18-January-2013

La réapparition du village de Gongtan

WANZHOU LAOZHENG*

L’exemple d’un village, qui en dépit de sa délocalisation, a su conserver son âme d’antan.

Le village de Gongtan, riche d’une histoire de plus de 1 700 ans, est situé dans le district autonome miao et tujia de Youyang, dans la partie sud-est de la municipalité de Chongqing. À l’origine, Gongtan prenait place au confluent des fleuves Wujiang et Apeng. Mais suite à l’annonce de la construction d’une centrale hydroélectrique sur le fleuve Wujiang, un projet de réinstallation avait été initié pour les résidents du village en 2005.

Quatre années plus tard, tout le village a été déplacé à Xiaoyintan, en aval du fleuve, à un kilomètre de la rive. Les locaux ont emporté leur maison avec eux : chaque brique et chaque tuile de leur vieux village ont été transportées vers Xiaoyintan, où elles ont servi à la reconstruction. Même la vieille rue en pierres bleues de Gongtan a été transposée vers l’emplacement du nouveau village.

De nos jours, on distingue à peine la différence entre le nouveau Gongtan et l’ancien Gongtan. Bien que cette relocalisation ait pris plusieurs années, les résidents âgés soutiennent que le village a gardé la même atmosphère qu’auparavant, lorsque celui-ci se trouvait un kilomètre plus près du fleuve. Ils se sentent aujourd’hui chez eux dans leurs nouvelles résidences « anciennes ».

Au revoir, mon vieux village

J’aime les vieux villages. Pour échapper à la frénésie des métropoles chinoises en plein essor, rien de mieux que de se rendre à la campagne et de se terrer pendant un week-end dans un des endroits historiques et idylliques du pays.

La Chine est relativement pauvre en termes de ressources naturelles et j’admets que le pays a besoin d’exploiter un vaste potentiel d’hydroélectricité. Néanmoins, par le passé, j’étais sceptique quant aux relocalisations dues à la construction de barrages. Je supposais que les villages reconstruits ne seraient certainement que l’ombre de leur forme première, vides de leur empreinte historique.

Pour cette raison, j’ai tardé à visiter le nouveau Gongtan. La richesse historique du vieux village m’attirait, mais je présumais que le nouveau village ne serait qu’une pâle copie commerciale de plus.

Je me trompais. Cette année, alors que j’allais dans la province du Hubei, je suis passé par le nouveau Gongtan. Et quelle surprise ! C’est le reflet parfait du vieux village sur tous les plans. Certains vont jusqu’à dire que l’emplacement de Xiaoyintan est plus tranquille et idyllique que l’ancien lieu où était situé le village.

Quand je suis arrivé, après deux jours de conduite sur des routes de montagnes escarpées, j’étais impatient d’aller au lit. Mais après un rapide dîner, mon compagnon de voyage avait retrouvé son énergie et était curieux d’explorer les moindres recoins du village. Je suis donc parti flâner dans les vieilles rues avec lui et la soirée s’est achevée sur un splendide couché de soleil, comme ceux que l’on voit sur les cartes postales.

Le soir, dans les vieux villages, est un pur bonheur. La Chine est un pays avec des villes qui ne dorment jamais. Quand vous sortez la nuit à Beijing, Shanghai ou Chongqing, les lumières des néons dérobent l’obscurité à vos yeux, pendant que les klaxons des voitures assaillent vos oreilles. Ce n’est pas ainsi dans les vieux villages, et certainement pas à Gongtan. Au fur à mesure de la tombée de la nuit, le village disparaît sous une couverture d’étoiles, dont le scintillement constitue l’unique illumination des ruelles du village. Nous n’avons vu qu’une ou deux personnes seulement, qui sortaient leur chien. Ils appelaient leur animal de compagnie avec une voix feutrée, comme pour préserver le silence de la nuit.

À 10 heures du soir, il faisait froid dehors. En retournant à notre hôtel pour y passer la nuit, nous avons été surpris d’entendre un grand fracas au loin, venant perturber la sérénité. Et nous avons été d’autant plus surpris quand nous avons compris d’où venait ce bruit. Gongtan a conservé une ancienne tradition chinoise : la ronde de nuit. Tard dans la soirée et durant les premières heures du matin, un gardien de nuit frappe une planche de bois toutes les shichen ou deux heures, afin d’avertir contre les vols et les incendies. Sachant qu’il n’y aurait pas de criminel cette nuit-là, nous avons dormi sur nos deux oreilles.

 

 

Une riche histoire renouvelée

Par le passé, le vieux village de Gongtan s’était développé autour du transport maritime. En exploitant sa géographie naturelle, Gongtan s’était enrichi grâce au commerce le long des fleuves Wujiang et Apeng. Par la suite, Gongtan était devenu un centre de distribution. Les archives indiquent qu’à son apogée, Gongtan enregistrait un flux de marchandises annuel surpassant les cinq millions de tonnes !

Le bâtiment le plus grandiose à Gongtan aujourd’hui est certainement la Maison des corporations de Xiqin, construite à la fin du XIXe siècle par Zhang Pengjiu, un homme d’affaires originaire du Shaanxi. À cette époque, le village comptait un bureau spécialisé dans le commerce du sel, mis en place par l’administration générale du Sel du Sichuan. Considéré comme un bien de consommation essentiel, le sel avait parfois joué le rôle de monnaie dans la région. Il était assez courant, par exemple, de laisser une certaine quantité de sel pour payer un repas au restaurant. Gongtan, en tant que « centre salin », était un bourg important dans le sud-est de Chongqing et pour les provinces voisines de Guizhou et Hunan.

Parmi les autres sites pittoresques, on peut citer le Jardin des Ran, une famille locale qu’il convient de noter. C’était un lieu d’hébergement pour les membres d’une confrérie commerciale dans la première moitié du XXe siècle. Aujourd’hui, beaucoup de studios de cinéma l’utilisent comme décor.

Lors de ma visite du jardin, j’ai repéré un câble de halage enroulé, posé sur le sol au centre de la pièce principale. En l’examinant de plus près, il s’est avéré que ce câble était en fait une corde faite de fins filaments de bambou plongés dans de l’huile d’abrasin. La corde avait été utilisée par les remorqueurs de bateaux locaux pendant des années. En tirant ou « remorquant » les bateaux loin des hauts-fonds du fleuve uniquement par le biais de cette corde, les mains de ses remorqueurs l’ont colorée en noir par leur saleté et leur sueur. Dieu merci, nous avons des moteurs maintenant, me suis-je dit.

La caractéristique la plus remarquable de Gongtan est peut-être sa rue en pierres bleues et ses maisons sur pilotis. La rue s’étend sur à peu près trois kilomètres et ses vieux pavés ont été foulés jusqu’à devenir aussi luisants qu’un jade bien poli. En marchant dessus, j’avais le sentiment d’avoir mis les pieds dans le passé. Des résidences bordant la rue, s’élevaient les effluves irrésistibles de la cuisine locale. De temps en temps, l’une des portes en bois massives des résidences s’ouvrait doucement et un résident âgé jetait un coup d’œil à l’extérieur, à la recherche de quelqu’un ou de quelque chose. Un claquement bruyant, et la porte était fermée à nouveau.

Je ne suis pas le seul à être tombé amoureux de cette rue en pierres bleues : l’éminent peintre contemporain Wu Guanzhong s’en est inspiré pour La Rue ancienne, l’une de ses peintures au lavis d’encre les plus connues. Wu est décédé en 2010, mais son esprit continue de vivre à travers son ode magnifique à Gongtan.

Un aspect de cette rue en pierres bleues qui attire particulièrement les touristes à la recherche de sérénité est l’absence de marchands ambulants. Dans la plupart des rues des vieux villages en Chine, les vendeurs de rue jouent des coudes pour faire du commerce. À Gongtan, cependant, il semble que la paix et le calme ont pour une fois pris le dessus sur le mercantilisme. Il y a des magasins dans la rue en pierres bleues, mais les commerçants sont assis paisiblement et n’interpellent pas les consommateurs en criant.

Les maisons sur pilotis

Gongtan est le berceau de la minorité ethnique tujia. Les habitations sur pilotis des Tujia, encore bien préservées, sont un chef-d’œuvre architectural dans le village.

Depuis 1 700 ans, les Tujia construisaient leurs maisons au bord du fleuve Wujiang et leurs demeures sur pilotis avaient survécues sur près de deux kilomètres le long de la rive, jusqu’au moment de la construction du barrage. Les édifices d’origine ont été réinstallés sur le site du nouveau village et sont toujours debout aujourd’hui, après plus d’un millier d’années. Les maisons incarnent les attributs artistiques et culturels des Tujia, et permettent de respirer l’air frais et d’avoir une vue spectaculaire sur le fleuve. Les demeures les plus remarquables incluent Zhinü, Yuanyang et Xiuhua. Toutes sont des constructions en bois, mais ont néanmoins résisté à l’épreuve du temps. Les planches entre les colonnes s’ouvrent comme des portes ou des fenêtres, et des croisillons de fenêtres ornent la façade qui donne sur le fleuve.

Installée sur des fondations en pierre, une maison tujia typique est construite sur pilotis, soit appuyée contre la colline, soit au bord du fleuve. Les pilotis mesurent entre 20 et 30 centimètres de diamètre. Elle compte deux à trois étages et est entièrement fabriquée en bois. Dans le nouveau Gongtan, les maisons tujia relocalisées font toujours bénéficier les visiteurs d’une vue panoramique sur le fleuve. La maison la plus jeune a déjà plus de cent ans.

Les merveilles architecturales sont une chose, mais ce qui nous a plus marqués dans notre voyage, ce sont les gens du village : chaleureux, sympathiques et toujours désireux de nous indiquer les directions, à nous, malheureux touristes. Nous commencions à devenir jaloux du fait qu’eux peuvent rester là-bas, tandis que nous devions repartir vers la ville frénétique.

Mon compagnon de voyage et moi étions réticents à l’idée de quitter Gongtan. Le matin de notre départ, le village était enveloppé d’une fine bruine ; on aurait dit que même le temps voulait nous garder là-bas. Alors que nous nous éloignons, à mesure que les vieilles maisons sur pilotis s’effaçaient derrière nous, je ne pouvais m’empêcher de penser que jamais je n’avais été aussi triste de quitter un endroit.

Guide de Gongtan (Conseils aux voyageurs) : Sites à visiter

Maison des corporations de Xiqin : la construction la plus grandiose du village, qui respecte le style architectural local. Le mur extérieur est peint en rouge et le sol est pavé. Donnant sur la rue à l’ouest, cet édifice inclut une salle principale, une salle secondaire, un appartement-terrasse et un théâtre. Comme cette maison ressemble à un lieu de culte, les locaux la surnomme souvent le « temple rouge ».

Le Jardin des Ran : Les Rans sont une notable famille de Gongtan. Leur jardin aurait une histoire de plus de 300 ans. Son style est similaire aux habitations résidentielles de Huizhou, sauf qu’un côté est ouvert, que le couloir qui relie les divers bâtiments rejoint la rue, et que les salles principale et secondaire affichent un style de construction à base de colonnes et d’attaches. Ce sont des particularités architecturales typiques de Gongtan. Le jardin intègre ainsi à la fois le style de Huizhou et les caractéristiques locales.

Le Jardin des Xia : Selon un vieux proverbe local, « la plus belle vierge vient du Jardin des Xia ». Ayant géré le commerce du sel pendant des générations, la famille Xia est devenue très riche et les femmes de cette famille étaient réputées pour leurs vêtements raffinés et leurs bijoux exquis. Sur un panneau accroché à la porte principale est inscrit « Cixiao », ce qui signifie « les parents aiment leurs enfants et les enfants honorent leurs parents ». Deux caractères chinois « ci xiao » sont un des principes majeurs du confucianisme.

La Salle ancestrale des Dong : La salle a été construite grâce aux dons de la riche famille des Dong. Après avoir montés des escaliers et passé le haut seuil en pierre, les visiteurs entrent dans une ancienne salle principale en bois avec une cour carrée. Les membres qui avaient déshonoré le clan des Dong subissaient leur châtiment à cet endroit et d’importantes questions relatives au clan y étaient discutées par les aînés. Des tablettes commémoratives identifiant les chefs du clan sont également conservées précieusement dans cette salle.

Transport

L’isolement géographique et les difficultés de transport se sont traduits par la souffrance de l’économie pour Gongtan au XXe siècle. Aujourd’hui, cette économie se développe grâce au tourisme, Gongtan ayant acquis la réputation d’être l’un des villages anciens le mieux préservé de la région.

Des trains partent pour Youyang au départ de Chongqing, Changsha et Huaihua.

De 9 h à 18 h 30, des bus réguliers partent en direction de Youyang depuis l’arrêt Chaotianmen à Chongqing. Le voyage dure environ quatre heures et demie.

En prenant un minibus à Youyang, il faut approximativement deux heures pour arriver à Gongtan.

*WANZHOU LAOZHENG est un routard professionnel.

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