CHINAHOY

4-February-2015

Les fraises : l’or rouge de Changfeng

 

Une serre pour la culture des jeunes plants de fraisiers à Changfeng. (MA HUIYUAN)

 

TANG SHUBIAO et LIU CHENGZI, membres de la rédaction

Tao Wei a travaillé à l'extérieur de sa province d'origine pendant plusieurs années. En 2013, il est retourné dans sa région natale pour y investir plus de 10 millions de yuans dans une exploitation agricole dans le district de Changfeng à Hefei, capitale de l'Anhui. Son exploitation est notamment spécialisée dans la fraisiculture et la recherche dans ce domaine. Il a introduit des variétés de qualité anglaises et espagnoles. Il y a fait apporter des améliorations dans un laboratoire de recherche agronomique de Shanghai pour qu'elles s'adaptent plus au goût des Chinois. Tao Wei souhaite que les fraises de Changfeng entrent dans le marché haut de gamme.

À Changfeng, il y a une centaine d'exploitations familiales, entreprises et autres coopératives fraisicoles. Plusieurs centaines de milliers de personnes dépendent de la fraisiculture. Découvrons ensemble l'incroyable épopée de la fraise de Chang-feng !

Brevet déposé en fraisiculture

« Quelle est la différence entre les fraises de Changfeng et celles du Jiangsu ? » demandé-je à Wei Fasheng, chercheur du centre d'agronomie du district et spécialiste de la fraisiculture à l'échelon national.

J'ai posé cette question car à la mi- décembre 2014, le président chinois avait visité le Jiangsu où il avait notamment cueilli des fraises et s'était enquis du développement de la culture fraisicole dans une exploitation de Zhenjiang. À la mention de cette visite, M. Wei m'a expliqué d'un point de vue agronomique la différence assez technique entre les fraises de Zhenjiang et celles de Changfeng.

Ici, la majorité des familles vivent de la fraise. C'est la source de revenu principale des agriculteurs locaux. Wei Fasheng, qui y a travaillé plus de 30 ans, m'apprend que « le salaire annuel des fraisiculteurs oscille entre 10 000 et 80 000 yuans. »

Depuis les années 1980, la fraisiculture a commencé à se développer à Changfeng. Depuis lors, les exploitations n'ont cessé de s'élargir. « En 2014, la superficie des champs de fraises a atteint 215 000 mu (15 mu = 1 ha), et Changfeng est devenue la plus grande région fraisicole de Chine. » Selon Wei Fasheng, dans tout le district, 80 000 familles, soit à peu près 200 000 personnes, sont liées à la fraisiculture, que ce soit dans des exploitations individuelles, familiales, coopératives ou entreprises agricoles.

Le village de Feigang de la commune de Shuihu est une miniature de ce qui se fait à Changfeng. Là-bas, j'ai pu y rencontrer Tian Chenli, fraisiculteur. Ils sont quatre dans sa famille et exploitent 8 mu de terre, dont 7 sur lesquels ils cultivent des fraises. La partie restante est dédiée à la consommation familiale de céréales. Leur revenu annuel moyen est de 200 000 yuans. La famille Tian a aussi développé une ferme-cueillette pour accueillir les citadins de la région de Hefei. Aujourd'hui, ils vivent dans une maison de trois étages dont la superficie fait plus de 200 m². La fille vient de se marier et les décorations du mariage sont encore sur les portes. Le fils ne travaille pas dans la région. La famille ne compte donc pas sur lui pour cultiver les fraises. Pendant la pleine saison, Tian Chenli emploie des saisonniers pour l'aider. Selon lui, à elles seules, les 500 familles du village cultivent plus de 2 000 mu de fraises. Toutes possèdent maintenant une belle maison, propre et spacieuse.

En Chine, le Jiangsu, le Shandong et les provinces du Nord-Est ont développé la fraisiculture à grande envergure. Mais Changfeng possède un avantage considérable. « Nous disposons d'une technologie brevetée », nous annonce Wei Fasheng fièrement.

Depuis des années, celui-ci passe son temps dans la plantation pour y faire des recherches. Un jour, par hasard, il y a découvert une variété hybride de fraisier. Après amélioration de cette variété, il en a créé une nouvelle : la Jiutian Hongyun.

De plus, Wei Fasheng a déposé un brevet. Dans la serre, il m'a expliqué patiemment comment fonctionne le système de culture des plants-mères des fraisiers. La technologie qu'il a développée est différente de celle du Japon et d'Israël. Grâce à son originalité, elle a été brevetée en Chine.

Il m'a ensuite emmené visiter l'éco-compagnie Yanjiutian SARL. J'avais déjà visité l'endroit il y a deux ans, mais à l'époque, la technologie de détoxification des plants était encore confidentielle. Et elle l'est toujours. Cependant, Wei Fasheng m'a appris qu'elle était d'ores et déjà inscrite comme brevet national et qu'elle sera bientôt publiée.

Changfeng garde son avantage sur les autres régions fraisicoles du pays non seulement grâce à ses nouvelles variétés et sa technologie, mais aussi grâce à sa production standardisée, élément indissociable de la réussite de la région. Cette région est une avant-garde de la production fraisicole standardisée. Une série de normes technologiques sur la culture de jeunes plants, la plantation, le traitement contre les parasites a été créée en fonction des conditions géographiques, climatiques et géologique. En 2006, Changfeng a obtenu le label de zone exemplaire nationale. Puis l'année suivante, les fraises de Changfeng ont obtenu l'appellation d'origine protégée décernée par l'Administration nationale de l'industrie et du commerce, mais aussi l'appellation « marque du terroir » décernée par l'Administration nationale du contrôle qualité. C'est la raison pour laquelle, chaque année, plus de 500 commerçants achètent leurs fraises à Changfeng. En réalité, 70 % des fraises sur les marchés de Beijing et 60 % de celles à Tianjin proviennent de la région.

Changfeng espère également devenir un centre national de la production fraisicole écologique standardisée, afin de forger la réputation de la marque Changfeng. À noter qu'en 2017, la conférence nationale de la fraisiculture sera organisée à Chang-feng.

Jiang Xiuzhi : la « reine des fraises »

Nous voyant arriver, Jiang Xiuzhi a accouru, le sourire aux lèvres, pour nous expliquer : « Voici le lopin de terre où je cultive des fraises ! » Vissés dans ses poches de pantalon, deux téléphones portables, qui nous indiquent que cette femme de tête, surnommée la « reine des fraises » par les habitants locaux, est certainement débordée de travail.

Jiang Xiuzhi compte parmi les premiers agriculteurs à avoir cultivé des fraises dans le district de Changfeng. Par une belle après-midi d'hiver ensoleillée, elle nous a conduits à travers ses serres, tout en nous présentant les diverses variétés : Hongyan, Fengxiang, Zhangji... Ces appellations ressemblent en chinois à de mignons petits noms qu'on aurait donnés à de belles femmes.

Jiang Xiuzhi sourit de toutes ses dents à la vue de ses rangées de fraises alléchantes. Âgée aujourd'hui de 46 ans, Mme Jiang travaille dans la fraisiculture depuis une vingtaine d'années déjà. Elle est propriétaire du parc écologique Dielianhua, un nom romantique signifiant « l'idylle entre le papillon et la fleur ». À l'image de ce papillon, elle-même est sans doute « amoureuse » de ses fraises : chaque jour, elle prend grand soin d'elles, les nettoyant, les cueillant, les triant et les emballant. En retour, ses fraises grossissent, se parent d'une jolie couleur et se dotent d'une saveur sucrée, attirant des consommateurs aux quatre coins du pays comme à l'étranger. D'ailleurs, lors d'une récente foire fruitière nationale, les fraises Hongyan de Mme Jiang ont été désignées « produit ayant réalisé les meilleures ventes ». À la mention de ce succès, Jiang Xiuzhi n'a pu retenir, à nouveau, son sourire brillant.

Et elle a bien raison d'afficher autant de joie ! Cette année, chacun de ses 209 mu de terre lui a rapporté un chiffre d'affaires de 30 000 yuans. Au moment de notre interview, nous avons croisé plusieurs femmes portant des paniers remplis de fraises, toutes employées par Mme Jiang pour effectuer la cueillette. Curieux, nous leur avons demandé leur salaire. L'une d'entre elles a répondu : « Nous gagnons environ 70 yuans par jour. À la campagne, les emplois se font rares pour les femmes. Donc ce n'est pas mal de travailler ici pour gagner un petit pécule. » Mme Jiang a ajouté que le nombre d'employés augmentait en pleine saison, aux environs de la fête du Printemps.

Toutefois, si Mme Jiang s'appuyait uniquement sur ses ressources, elle n'aurait peut-être pas acquis son titre de « reine des fraises ». En 2007, elle a fondé une coopérative professionnelle qui rassemble aujourd'hui 220 familles d'agriculteurs. Mme Jiang s'est chargée de leur enseigner gratuitement des techniques et de partager son expérience. De plus, elle a combiné récolte des fraises et marché de la vente directe, soulageant certaines préoccupations économiques des cultivateurs. Pour conclure, sa coopérative cherchant sans cesse à former des paysans et à créer de nouvelles variétés à haut rendement s'inscrit dans une démarche de développement durable.

Tout quitter pour la fraisiculture

« Si on t'a envoyé à l'école, c'est pas pour que tu reviennes planter des fraises ! » s'était écriée Han Zhengshuo, ne pouvant s'empêcher de laisser couler des larmes amères. Car pour celle-ci, son fils Chen Linfeng était la fierté de la famille. Depuis des générations, leur famille se crevait à la tâche dans les champs pour survivre, mais lui, il était le premier à avoir réussi son entrée à l'université. Comme on dit en Chine : « Il est comme la carpe qui a sauté par la Porte du Dragon » : il allait gravir les échelons, peut-être même trouver un travail dans l'administration.

Et c'est ce qui arriva à Chen Linfeng qui, après son diplôme, trouva un travail de bureau à Hefei, la capitale de la province de l'Anhui. « Pour mes parents, j'étais devenu un "mandarin", j'avais assurément une belle carrière devant moi. Mais je m'ennuyais profondément. Je n'arrivais pas à rester toute la journée assis devant mon bureau », raconte Chen Linfeng en souriant.

Chen Linfeng, 26 ans aujourd'hui, est diplômé de sciences naturelles. Pendant ses études et après qu'il a commencé à travailler, il s'est essayé plusieurs fois à la fraisiculture. Même si cela n'a pas toujours été un succès, il a pu engranger de l'expérience dans la culture des fraises.

En février 2014, il décide de tout laisser tomber dans le dos de ses parents et utilise sans leur dire les 100 000 yuans d'apport donnés par ceux-ci pour son appartement à Hefei et son mariage, afin de se lancer dans l'exploitation fraisicole. Il est ainsi devenu le premier étudiant entrepreneur de la marque de fraises Changfeng.

« J'ai loué le terrain seul, y ai construit une serre et installé les films plastiques dessus par moi-même. Heureusement, l'administration de la commune et les coopératives alentours accordent beaucoup d'importance à la création d'exploitations fraisicoles. Ils offrent une politique de soutien en amont pour les exploitants et un prêt économique à rembourser sur 5 ans. Grâce à ces aides, mon terrain a été électrifié, un chemin jusqu'à l'exploitation a été aménagé et j'ai pu obtenir tous les outils nécessaires à la production », explique-t-il.

« Une fois, il était 3 h du matin que j'étais encore à connecter les tuyaux d'eau. Parce que l'irrigation est capitale pour pouvoir planter les fraisiers. Il faut que le sol soit complètement imbibé d'eau pour pouvoir y mettre les pousses », explique Chen Linfeng. « Normalement, pour planter 20 mu, il faut cinq ou six personnes. Nous l'avons fait à deux, ma mère et moi. On ne mangeait que deux repas par jour et si on arrivait à dormir plus de trois heures, c'était du luxe... » Au début de l'exploitation, Chen Linfeng travaillait comme un acharné.

« Ces 20 mu vont arriver bientôt à maturation, nous annonce en souriant ce grand gars aux allures d'étudiant à lunettes. Je n'ai pas peur de l'effort, sinon je ne serais pas fraisiculteur. Le début d'une entreprise, c'est toujours beaucoup de difficultés, mais j'ai tenu bon ! », ajoute-t-il.

Chen Linfeng a également innové dans les outils de production fraisicole et ne cesse d'essayer de nouvelles techniques pour minimiser l'influence du climat sur la production de fraises.

« Chacun a des ambitions différentes. Certains diront qu'il faut monter en haut de la montagne pour avoir les meilleures vues. Moi, ce que je veux, c'est trouver quelque chose qui me tienne en haleine, quelque chose qui me donne envie de continuer malgré toutes les difficultés. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, comme on dit, et moi ce que j'aime, ce sont les fraises ! »

Aujourd'hui, l'entreprise de Chen Linfeng, basée à Hefei, s'occupe de l'expansion du marché des fermes-cueillette et du développement des débouchés à l'extérieur de la province. Il a également commencé à ouvrir un magasin virtuel sur WeChat et sur les sites d'achats groupés.

Augmenter la valeur ajoutée des fraises grâce à l'e-commerce

« Tous les jours, je reçois 100 à 200 commandes en moyenne. Je ne sais plus où donner de la tête ! » nous raconte celui que l'on surnomme à Changfeng le « roi de la fraise e-commerce » : Tian Feng. Il répond à nos questions assis entre des boîtes de toutes sortes, en même temps qu'il choisit avec expérience les plus belles fraises pour les ranger dans de jolis coffrets. « Après avoir choisi et rangé les fraises, je n'ai plus qu'à attendre que le coursier vienne les récupérer. Et demain matin, elles seront arrivées chez le client. »

Il y a trois ans, Tian Feng était encore un responsable technicien dans une usine de plastique à Guangdong. Son salaire avoisinait les 9 000 yuans. Parmi les gens de Changfeng partis travailler à l'extérieur de la région, il est un de ceux qui a le plus d'expérience. « En 2012, je suis revenu avec ma femme et mes enfants ici, d'une part pour m'occuper de mes parents vieillissants, et d'autre part, pour entreprendre dans ma région et permettre à la marque de fraises de Changfeng d'être plus connue. »

« Mon père a été fraisiculteur pendant plus de trente ans, mais sa façon de vendre les fraises était vraiment trop arriérée, déclare Tian Feng. Les fraises de Changfeng sont de très bonne qualité et affichent une valeur nutritive importante. Mais la façon dont mon père les vendait au marché de gros faisait baisser leur valeur. Dans ce type de commerce, le prix des fraises ne dépend pas de leur qualité, mais de la demande des clients. Si les vendeurs de gros les achètent en grande quantité, alors le prix augmente ; s'ils en prennent peu, les prix baissent, et au bout d'un an, le bénéfice est finalement assez mince. »

Inspiré par la fièvre de l'e-commerce qui sévit en Chine, la première année où il a monté son entreprise, Tian Feng cultivait les fraises la journée et étudiait le développement de sites Internet le soir. Puis il a ouvert le site Internet « Fraises de Changfeng ». À la fin de l'année, il s'est mis à Taobao et a commencé à vendre ses fraises sur Internet : « Je n'avais jamais pensé que la première année, j'en vendrais 100 à 150 kilos et que je gagnerais une telle valeur ajoutée », nous raconte Tian Feng content.

Actuellement, les fraises qui se vendent le mieux sur Taobao sont les fraises Hongyan, en raison de leur chair tendre et juteuse. Les fraises envoyées sont cueillies le jour même. Tian Feng choisit les plus belles (celles rouges et brillantes), les range dans des boîtes, les emballe et les envoie. Il les vend 89 yuans les 1 200 grammes. Un prix bien supérieur à ceux fixés par les marchands de gros et qui peut faire augmenter la valeur ajoutée des fraises.

Tian Feng a également développé des emballages différents pour l'envoi des fraises en fonction du climat de la région où elles sont expédiées, mais aussi pour éviter que les fraises ne soient écrasées pendant le transport. En tout, il propose 6 boîtes différentes. Il a également veillé à diminuer la durée de transport pour que les fraises restent bien fraîches. « Lorsque les expéditions sont faites vers les régions voisines de l'Anhui, les commandes arrivent dans la journée en général. Pour les régions plus lointaines, comme le Xinjiang, le Heilongjiang ou l'île de Hainan, ça ne dépasse pas trois jours », explique fièrement Tian Feng.

Le problème de l'empaquetage et du transport une fois réglé, il restait à améliorer les canaux de distribution. Pour élargir les ventes, Tian Feng a créé des partenariats avec des sites d'achat groupé. Depuis 2013, les ventes de ses fraises sur Internet n'ont cessé d'augmenter.

« Cette année, je vais améliorer mes emballages et mettre en place l'empaquetage directement dans les champs. Directement du fraisier au consommateur, explique Tian Feng. Plus tard, je connecterai mon système d'e-commerce avec le réseau logistique. De cette façon, les produits pourront être tracés sur le site de vente Internet. Vous pourrez suivre tout le processus : la plantation, la pulvérisation d'insecticide, l'inspection sanitaire, la cueillette, l'emballage et le transport à la sortie de l'entrepôt. Le consommateur pourra contrôler toute la préparation du produit et ainsi le manger sans inquiétude. »

 

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