CHINAHOY

26-November-2014

Conférence du Caire : dimensions stratégiques quant à la souveraineté de certains territoires chinois

 

Document chinois sur la conférence du Caire.

 

Petit rappel historique de la Conférence du Caire tenue au cours de la Seconde guerre mondiale, qui prouve que l'actuelle revendication des îles Diaoyu par le Japon est totalement injustifiée.

MOHAMED NOMAN GALAL*

La conférence du Caire a amorcé un tournant dans la Seconde Guerre mondiale, préparant le terrain pour un nouvel ordre international d'après-guerre. Elle revêt une signification particulière pour l'histoire ainsi que pour la Chine du XXe siècle, mais aussi celle du XXIe siècle.

Contenu principal de La Déclaration du Caire

La conférence du Caire s'est tenue les 22 et 23 novembre 1943 dans la résidence de l'ambassadeur américain Alexander Kirk, tout près des pyramides d'Égypte. Cette rencontre avait pour but d'élaborer la politique des Alliés face au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale et de prendre des décisions sur l'administration du territoire asiatique une fois la guerre finie. Participèrent à cette conférence le président américain Franklin D. Roosevelt, le premier ministre britannique Winston Churchill et le président du gouvernement national de la République de Chine Chiang Kai-shek. Le chef suprême de l'Union soviétique, Joseph Staline, n'y prit pas part en raison de la présence de Chiang Kai-shek, cherchant à éviter d'éventuelles frictions avec le Japon. En effet, l'Union soviétique et le Japon avaient signé en 1941 un pacte de neutralité pour une durée de cinq ans, ce qui signifie qu'en 1943, l'Union soviétique n'était pas en guerre contre le Japon, contrairement à la Chine, la Grande-Bretagne et les États-Unis.

Deux jours après la conférence du Caire, Staline rencontra Roosevelt et Churchill à Téhéran. Le communiqué de cette conférence fut alors publié sous le nom de La Déclaration du Caire, puis signé le 27 novembre 1943, mais ne fut diffusé à la Radio du Caire que le 1er décembre 1943.

En résumé, le communiqué stipulait les clauses suivantes :

1. Les trois Alliés (États-Unis, Grande-Bretagne et Chine) poursuivront leurs opérations militaires contre le Japon jusqu'à sa reddition sans condition ;

2. Les trois Alliés continuent, par le biais de la guerre, à freiner et à punir l'agression du Japon. Ils ne poursuivent pas des intérêts personnels, ne recherchent pas la moindre expansion territoriale, ni n'ambitionnent de livrer une guerre de plus grande ampleur suite au présent conflit ;

3. Le Japon doit être dépossédé des îles du Pacifique qu'il a occupées à partir de 1914. Tous les territoires chinois qu'il a dérobés (tels que la Mandchourie, l'île de Taiwan et les îles Pescadores) doivent être restitués à la Chine ;

4. Le Japon doit être expulsé des territoires d'autres pays qu'il occupe par la force. La Corée, notamment, doit devenir libre et indépendante.

La conférence du Caire a permis à la Chine d'élever son statut et de se classer parmi les quatre grandes puissances du monde. Les participants ont convenu que le Japon devrait retourner à la Chine tous les territoires chinois qu'il lui avait soustraits, mais sans pour autant préciser lesquels, mentionnant simplement « la Mandchourie, l'île de Taiwan et les îles Pescadores ».

Ce qui motiva la tenue de cette conférence du Caire, c'est l'inquiétude du président Roosevelt qui craignait que le moral de l'armée chinoise décline sous la pression du Japon, voire que celle-ci s'effondre ou abandonne la résistance contre l'ennemi. Il est à noter que le commandant des forces américaines, le général Joseph Stilwell, n'était pas en phase avec Chiang Kai-shek. Par ailleurs, l'aide que Chiang Kai-shek demanda aux États-Unis par l'intermédiaire de Claire Lee Chennault, commandant de l'armée de l'air américaine en Chine, ne fut pas accordée, ce qui aggrava encore les tensions entre les chefs militaires des deux pays.

Le président Roosevelt chercha à construire des relations positives et fructueuses avec la Chine en lui prêtant main forte, en empêchant la Grande-Bretagne, la Russie et le Japon de s'emparer de terres en Asie après la guerre. À cette fin, Roosevelt suggéra l'organisation de la conférence du Caire, lors de laquelle il souligna sa confiance envers la République de Chine pour encourager moralement Chiang Kai-shek. Ces deux personnages politiques s'étaient déjà entretenus en privé avant l'arrivée de Churchill au Caire.

Roosevelt tint également plusieurs réunions en marge de la conférence afin d'envisager l'Asie d'après-guerre. Il espérait que la Chine deviendrait l'une des quatre puissances mondiales ainsi qu'un « policier » dans la région. La vision articulée par Roosevelt consistait à ce que chacune de ces quatre puissances devienne un pilier pour le maintien de la paix dans leur région respective. Même si la Chine était faible par rapport aux trois autres Alliés, elle représentait une force majeure en Asie. Selon les prévisions de Roosevelt, la Chine serait capable d'empêcher toute nouvelle agression japonaise, d'aider à prévenir toute tentative japonaise d'expansion, ainsi qu'à détruire le colonialisme nippon, pour finalement mettre en place un régime de tutelle. À vrai dire, Roosevelt espérait empêcher la Russie et la Grande-Bretagne de profiter de l'instabilité d'après-guerre pour accroître leur présence en Asie. Il soutenait également la mise en place d'un régime de tutelle en Indochine après la défaite du Japon, plutôt qu'une restitution de cette terre à la France. Chiang Kai-shek promit à Roosevelt que son pays ne se livrerait pas à une expansion territoriale ou au contrôle de colonies, tandis que Roosevelt lui jura que les territoires chinois volés par le Japon seraient retournés à la Chine, y compris la Mandchourie, l'île de Taiwan et les îles Pescadores.

Analyse des clauses et de leur sens profond

Lorsque l'on considère les participants à la conférence, les circonstances de celle-ci et ses résultats, cinq faits importants se dégagent :

Premièrement, l'Union soviétique n'assista pas à la conférence parce qu'elle rejetait l'idée que la Chine y soit conviée. Pourtant, l'objectif principal de la conférence convoquée par la Grande-Bretagne et les États-Unis était de s'entretenir avec la Chine, qui était alors sous la direction du Kuomintang, bien que l'issue du conflit national ne fût pas encore déterminée à l'époque. En d'autres termes, la conférence visait à réunir les pays vainqueurs pour qu'ensemble ils redessinent l'ordre mondial. Parmi ces pays, l'Union soviétique, les États-Unis, la Grande-Bretagne, mais aussi la Chine et la France, deux nations jouissant d'une place prestigieuse en matière de politique internationale, en raison de leur influence et de leur histoire.

Deuxièmement, l'objectif principal de la conférence était de régler les problèmes en Asie de l'Est. Le conflit dans cette région à l'époque opposait le Japon, agresseur colonial et pays vaincu, et la Chine, qui résistait tant bien que mal aux attaques japonaises. Bien qu'en proie à l'agression et à l'occupation de certains de ses territoires, la Chine était en train d'émerger en tant que grande puissance mondiale. C'est pourquoi la conférence se pencha sur ces deux grands pays asiatiques. La communauté internationale présageait que la Chine deviendrait un allié des États-Unis contre le Japon, et que ce dernier subirait des sanctions à la suite de sa défaite, y compris une reddition sans condition et une renonciation à tous les territoires occupés, en particulier ceux pris à la Chine. Ceux qui siégeaient en tant que membre permanent au Conseil de sécurité et bénéficiaient du droit de veto, soit ceux en mesure de décider du nouvel échiquier mondial, étaient alors les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Union soviétique et la Chine. Par la suite, la France les a rejoints, et c'est ainsi que se forma une union des pays vainqueurs. En réalité, le 25 avril 1945, une conférence fut tenue à San Francisco par ces cinq pays, conférence également connue sous le nom d'« assemblée constituante » des Nations unies. C'est à ce moment-là que l'union entre ces pays vainqueurs fut concrètement scellée. Selon les clauses de la Charte des Nations unies, le Japon, l'Allemagne et l'Italie ne sont pas des pays épris de paix. Il était, de fait, illogique de laisser l'un d'eux adhérer à cette organisation internationale. Enfin, selon l'article 9 de sa Constitution pacifiste rédigée ultérieurement, le Japon n'a pas le droit de maintenir ses forces militaires.

Troisièmement, la Chine constata que la décision de la Conférence du Caire lui donnait le droit de récupérer ses territoires saisis par le Japon une fois la guerre finie, y compris la Mandchourie, dont une partie était alors occupée par l'Union soviétique. À cet égard, des pourparlers furent entamés entre la Chine et l'Union soviétique, pourparlers qui aboutirent sur la signature d'une série d'accords engageant le Japon. Ces accords permirent la co-gestion sino-russe de deux ports (Lüshun et Dalian) et d'un chemin de fer en Mandchourie, ainsi que le règlement de la question concernant les troupes soviétiques stationnées dans les trois provinces du Nord-Est de la Chine.

Le Parti communiste chinois accéda au pouvoir et la République populaire de Chine fut fondée en octobre 1949 ; la guerre de Corée fit rage de 1950 à 1953 ; la guerre froide opposa l'Union soviétique, d'une part, et les pays occidentaux, de l'autre. Tous ces épisodes modifièrent les positions de l'Union soviétique et des États-Unis vis-à-vis de la Chine et du Japon. Les alliances évoluèrent également. Des pays occidentaux restaurèrent le statut du Japon et de l'Allemagne qui étaient des pays vaincus en les incorporant dans l'alliance, et l'Union soviétique s'allia avec la République populaire de Chine.

Quatrièmement, la Chine et le Japon étaient au premier plan des stratégies de sécurité américaine et soviétique. Mais les circonstances évoluant après la Seconde Guerre, le système d'alliance changea bien rapidement.

Cinquièmement, la Chine, affaiblie, était parfois contrainte d'accepter les sommations des puissances coloniales comme le Japon et de faire des concessions. Mais bientôt, le peuple chinois s'éleva contre le gouvernement qui acceptait des demandes déraisonnables, et refusa de se soumettre au colonialisme.

Situation actuelle des îles Diaoyu et autres îlots chinois

Le 10 septembre 2012, le gouvernement japonais a annoncé sa décision d'acheter les îles Diaoyu à leur propriétaire et de les nationaliser. Ce comportement va à l'encontre de l'histoire, violant le droit international, la conférence du Caire de 1943, la conférence de Potsdam de 1945, ainsi que les dispositions complémentaires aux accords de Yalta en date du 11 février 1945. Cet acte du Japon manque de crédibilité sur trois points :

Premièrement, dans ses relations avec d'autres pays, surtout avec la Chine, le Japon se doit, de prime abord, de ne pas faire revivre le militarisme expansionniste. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la Chine, alors à bout de souffle, avait fait de nombreuses concessions à ce pays, y compris l'occupation illégale des îles Diaoyu par le Japon après que celui-ci a vaincu la Chine en 1895. La Chine avait alors été forcée de signer un traité inégal. Aujourd'hui, le Japon, d'une part, augmente son budget militaire pour étendre son armement, et d'autre part, se ligue aux États-Unis via un traité de sécurité portant sur les conflits internationaux en Asie de l'Est. Les États-Unis cherchent en fait à dominer cette région. De facto, le Japon faillit à ses obligations.

Deuxièmement, le Japon n'a pas observé les accords de Yalta ni l'accord conclu dans l'acte de capitulation ratifié à la fin de la Seconde Guerre. Il n'a pas respecté non plus les conventions internationales, notamment la Charte des Nations unies.

Troisièmement, le Japon a transgressé les cinq principes de la coexistence pacifique, l'article 33 de la Charte des Nations unies concernant le règlement pacifique des différends, ainsi que les normes du droit international. Il a tenté d'imposer un fait accompli à un autre pays (en l'occurrence, la Chine), afin de menacer la paix et la sécurité régionales, voire mondiales. Mais le pire, c'est que le président américain Barack Obama a déclaré que les États-Unis prenaient parti pour le Japon dans le différend sur les îles Diaoyu, ajoutant que le Traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les États-Unis et le Japon couvraient tous les territoires japonais. Ignorant les droits légitimes de la Chine, ces déclarations graves auraient pu conduire à un conflit international dont il est difficile de quantifier la portée et l'impact.

La Chine y a réagi avec fermeté et raison, rappelant la souveraineté de la Chine sur les îles et envoyant des navires patrouiller dans les eaux autour. Les patrouilleurs chinois ont mis en garde leurs homologues japonais, dans le but de souligner le pouvoir d'administration légal de la Chine sur les îles Diaoyu et leurs îlots affiliés, de démontrer la détermination du pays à protéger ces îles, de mettre un terme aux provocations japonaises et de préserver les intérêts maritimes chinois. En septembre 2012, la Chine a publié un livre blanc confirmant l'appartenance des îles Diaoyu à la Chine, lequel se base sur la jurisprudence et des données historiques.

Toujours en septembre 2012, le ministre chinois des Affaires étrangères, dans son discours devant l'Assemblée générale des Nations unies, a accusé le Japon d'avoir volé des îles chinoises en mer de Chine orientale ; le premier ministre japonais a riposté en déclarant que ces îles faisaient à l'origine partie du territoire japonais. Ces deux-là se sont encore jeté la pierre lors d'une réunion des ministres des Affaires étrangères. Dans une déclaration, Yoshihiko Noda a appelé la Chine à rectifier ses idées fausses et à cesser de s'en prendre aux intérêts japonais, tout en soulignant que le Japon avait découvert ces îles pour la première fois en 1884. Par ailleurs, lors de sa rencontre avec l'ancien ministre chinois des Affaires étrangères en septembre 2012, la secrétaire d'État américaine de l'époque, Hillary Clinton, a invité les deux pays à résoudre ce conflit de manière pacifique. En outre, le président américain a explicité la position de son pays, indiquant qu'il comprenait le point de vue japonais et que toute île détenue par le Japon était concernée par le traité de défense américano-japonais.

Face aux allégations du Japon, la Chine a rétorqué que ces îles appartiennent à la Chine depuis 500 ans. D'ailleurs, selon des documents collectés par le ministère japonais des Affaires étrangères, le Japon en est bien conscient. Dans le Traité de San Francisco passé en 1951 entre le Japon et les États-Unis, ces îles ne sont pas mentionnées. Toutefois, l'Accord sur la restitution d'Okinawa au Japon, signé par le Japon et les États-Unis en 1971, inclut l'archipel Ryukyu et les îles Diaoyu, ce qui avait soulevé immédiatement à l'époque une objection forte de la part de la Chine. Il est à noter que le gouvernement de Taiwan estime également que les îles Diaoyu appartiennent à la Chine et en a réclamé le retour. Ce fait confirme bien la crédibilité de la position chinoise et son fondement historique.

Conclusion et perspectives d'avenir

On constate clairement qu'il existe des preuves historiques et juridiques démontrant que les îles Diaoyu appartiennent bien à la Chine, avec notamment la conférence du Caire de novembre 1943, la conférence de Potsdam du 17 juillet du 2 août 1945, ainsi que les accords de Yalta de février 1945. Par conséquent, remettre sur le tapis des questions déjà résolues était indirectement un moyen d'attiser la confrontation et le conflit entre les États.

Certains pays revendiquent des territoires et îles d'autres nations, sous le prétexte qu'ils les avaient à une époque occupés ou possédés. Ces revendications s'avèrent les plus dangereuses et les plus provocatrices, dans la mesure où l'histoire ne cesse d'apporter des changements et de bouleverser l'ordre géographique établi. Selon moi, l'approche la plus sûre consiste à renoncer aux réclamations historiques périmées, telles que celle du Japon concernant les îles Diaoyu. Ces dernières font sans conteste partie de la Chine depuis des siècles. Elles furent occupées de force par le Japon, puis cédées, ou disons plus franchement que le Japon fut contraint de les redonner suite à sa défaite dans la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, il n'est pas logique, raisonnable, ni acceptable qu'aujourd'hui, le Japon revendique ces îles. C'est le signe que sont en train de se répéter les erreurs fatales commises par les militaristes japonais après la réforme de Meiji dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Cette réforme était axée principalement sur l'augmentation de la puissance militaire plutôt que sur l'économie, la culture ou le tissage de liens historiques et amicaux entre les nations, en particulier celles voisines.

Ces vieilles revendications, en rupture avec l'histoire, sont néanmoins susceptibles de provoquer des troubles et des conflits, voire de redessiner la carte du monde moderne. D'ailleurs, je me demande : si les Amérindiens revendiquaient le territoire américain ou que les Aborigènes revendiquaient le territoire australien, que se passerait-il donc ? La Chine fut un grand empire par le passé, qui conquit de vastes territoires voisins tels que la péninsule coréenne et l'Indochine. Serait-il pour autant raisonnable que la Chine réclame aujourd'hui ces territoires ? Le monde change : il faut donc l'envisager selon une perspective différente, avec des idées différentes. Il convient de s'éloigner des ambitions coloniales qu'entretiennent certains qui cherchent à détruire la Chine afin de poursuivre leur domination.

 

*MOHAMED NOMAN GALAL est un ancien ambassadeur d'Égypte en Chine ainsi qu'un chercheur sur les affaires internationales et les problématiques en Asie de l'Est.

 

La Chine au présent

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