CHINAHOY

29-September-2014

Étudier le français : mais après ?

 

Une bibliothèque à l'université des Langues étrangères de Beijing, qui rassemble des ouvrages dans 55 langues différentes. (CFP)

 

La langue française séduit aujourd'hui un grand nombre d'étudiants chinois. Mais quels débouchés professionnels leur ouvre-t-elle ? Enquête.

MA HUIYUAN, membre de la rédaction

Actuellement en Chine, déjà une centaine d'écoles et d'universités ont ouvert des cursus de français, et ce chiffre s'avère en constante augmentation. Il s'agit de la septième langue étrangère la plus étudiée dans ce pays. D'après le site Jobui.com, premier moteur de recherche d'emploi en Chine, c'est dans les villes de Shanghai, Shenzhen et Beijing que les nouveaux diplômés en langue française auront le plus de chances de décrocher un poste, avec un salaire de départ moyen établi à 4 767 yuans. D'après des statistiques publiées par le ministère chinois de l'Éducation, le français se classe dans le top 10 des spécialités garantissant de multiples opportunités d'embauche.

Chaque année, au moment de la remise des diplômes, les nouveaux titulaires sont hautement préoccupés de leur passage dans le monde du travail. Nous avons interviewé des étudiants chinois ayant récemment obtenu une licence ou un master de français. À travers leur histoire, nous pouvons dégager diverses tendances en termes de choix de carrière professionnelle opérés par ces jeunes Chinois francophones.

S'expatrier en Afrique

Partir ou ne pas partir se perfectionner en Afrique ? Telle est la question que se posent irrémédiablement les nouveaux diplômés chinois en langue française, surtout les garçons. Bien que les conditions de travail y soient relativement rudes et que les occasions de rentrer en Chine voir sa famille et ses amis se font bien rares, cette destination attire néanmoins de nombreux diplômés chaque année, séduits par les salaires généreux et les belles perspectives professionnelles.

Charlotte Zhang a obtenu son diplôme de licence en 2012. Au sortir de ses études, elle a décroché un emploi dans la China State Construction and Engineering Corporation, qui l'a envoyée en Algérie. Elle confie : « Nos conditions de vie en Afrique ne sont pas si mauvaises. L'entreprise nous a installés dans des logements bien équipés. Mon séjour en Afrique m'a aidée à réussir en beauté ma métamorphose d'étudiante passive en cours à nouvelle employée active sur le terrain. J'ai beaucoup appris de cette expérience. »

Pour ces nouveaux diplômés qui s'expatrient en Afrique, le salaire de base est souvent compris entre 1 000 et 1 500 dollars, mais il peut atteindre des sommets pour ceux qui travaillent dans des multinationales comme Chinese National Petroleum Corporation, Sinopec, Huawei ou ZTE. À vrai dire, s'ils restaient dans des grandes villes chinoises comme Beijing, ils pourraient bénéficier d'autres avantages tout aussi attractifs en plus de leur rémunération, dont le hukou (état civil) et des tarifs préférentiels lors de l'achat d'un appartement. Alors pourquoi l'Afrique ? Le challenge ainsi que les possibilités de carrière future comptent parmi les facteurs expliquant ce choix. Les étudiants chinois diplômés en français, bien qu'ils maîtrisent l'outil qu'est la langue, ne possèdent en général pas d'autres « spécialités ». Très peu sont compétents dans un domaine particulier, ce qui les bloque dans leur recherche d'emploi. Ainsi, à travers leur poste en Afrique, ces jeunes Chinois acquièrent un savoir-faire spécifique de valeur. Outre la traduction, ils effectuent des tâches en lien avec les technologies, la gestion de projet et l'administration. Après deux ou trois années de mission sur le site, les nouvelles recrues disposent de vastes connaissances dans un domaine précis, tels que la construction, le transport, l'énergie ou l'hygiène, soit une base solide pour la poursuite de leur carrière.

Au-delà des jeunes employés chinois détachés pour une longue période, il existe également les nouveaux diplômés qui, recrutés par des entreprises d'import-export, gèrent les échanges avec l'Afrique. Aujourd'hui, le commerce sino-africain allant croissant, les talents chinois francophones sont de plus en plus demandés dans ce secteur.

Travailler dans une entité diplomatique

Selon la conception traditionnelle des Chinois, c'est un bon choix que de se tourner vers la fonction publique. Chaque année, les ministères des Affaires étrangères, du Commerce, de la Culture et d'autres encore recrutent un certain nombre de diplômés en langues étrangères. Le salaire des fonctionnaires est moyen, mais la stabilité de l'emploi et le haut statut social allèchent les nouveaux diplômés et leurs parents.

Une fois embauchés par les ministères, leur travail est centré sur la traduction et la diplomatie. Certains également sont affectés sur diverses missions dans des pays francophones. Jeanne Ren a obtenu son master cette année et travaille désormais pour le ministère des Affaires étrangères. Elle se dit très contente de son premier emploi : « Lorsque nous sommes reçus par des ministres, lorsqu'ensemble avec mes collègues nous travaillons dur pour réaliser nos rêves, je trouve mon travail très gratifiant. J'ai vraiment le sentiment d'apporter ma contribution à la cause diplomatique de notre pays. C'est pour moi un rêve, qui prévaut sur le salaire et les conditions de travail. »

À défaut de devenir fonctionnaires d'État au sein d'un ministère, les Chinois francophones peuvent travailler dans des bureaux locaux dédiés aux affaires étrangères ou dans des médias destinés à des lecteurs francophones. Ils sont généralement chargés de traduire des documents ou d'accueillir selon le protocole des hôtes étrangers. Ils contribuent ainsi aux échanges internationaux au niveau local ou aux échanges non gouvernementaux.

Diplômée de master en 2014, Sofia Zhao travaille aujourd'hui pour le site Internet China.org.cn en tant que journaliste-traductrice au service français. Elle nous décrit son travail ainsi : « Nous avons une multitude d'informations à traduire chaque jour. Nous sommes souvent contraints d'effectuer des heures supplémentaires, même pendant les congés de la fête du Printemps, parce notre site Internet, lui, n'est jamais en vacances ! Nous devons, en chaque instant, diffuser la voix de la Chine à travers le monde. J'aime mon job. Contrairement aux sites de l'agence de presse Xinhua ou du Quotidien du Peuple, le nôtre fournit davantage d'informations à caractère culturel et social. Bien que je ne fasse pas des reportages qui vont bouleverser le monde, je me considère néanmoins comme un pont entre les cultures chinoise et française, ce dont je suis très fière. »

Devenir enseignant

En Chine, même sans avoir fréquenté une école normale supérieure, il est possible de devenir enseignant. Il suffit de réussir les concours de recrutement organisés par les établissements d'enseignement. Les titulaires d'un diplôme en langue française peuvent donc s'orienter vers le professorat. Dans la classe de master 2 sujette à mon enquête, un tiers des nouveaux diplômés ont d'ailleurs choisi cette voie. Les diplômés de licence peuvent également tenter l'expérience, mais ils seront nécessairement plus facilement « recalés » par les écoles. Seuls des institutions spécialisées et des établissements d'enseignement privé les acceptent dans leurs rangs. Les écoles et les universités de Beijing, plus exigeantes, n'ouvrent leurs postes d'enseignant qu'aux titulaires d'un doctorat. Aussi, la langue française devenant de plus en plus populaire en Chine, de plus en plus d'établissements chinois mettent en place des cursus de français. De fait, beaucoup de nouveaux diplômés choisissent de rentrer dans leur ville natale et d'enseigner dans une université locale, attirés en particulier par les longues vacances d'été et d'hiver dont ils jouiront. Par ailleurs, l'atmosphère académique convient particulièrement aux profils d'enseignant-chercheur. Et puis, en Chine, la profession d'enseignant a toujours été des plus nobles et des plus respectées.

Claire Han a obtenu son master en 2014. Après ses études à Beijing, elle est retournée dans sa ville natale de Changchun, où elle enseigne dorénavant à l'Institut des langues étrangères Huaqiao du Jilin. « C'est un grand plaisir pour moi d'être auprès des élèves tous les jours. À l'obtention de mon diplôme, j'ai envisagé divers types de travail, mais j'ai finalement décidé de devenir professeure. J'aime les moments passés avec les élèves et cette ambiance au sein de l'école. » Elle se rappelle le premier cours qu'elle a dispensé. Bien qu'elle eût assez préparé, elle perdait quelque peu ses moyens face à cette classe. Néanmoins, sous l'encouragement de ses élèves, elle a repris confiance en elle et compte bien devenir une bonne professeure.

Un nombre croissant de Chinois s'attèlent à l'apprentissage du français, de plus en plus en vogue. Parmi eux, un grand nombre espèrent poursuivre leurs études au Canada ou en France. Ainsi, les établissements de formation à la langue française et les organismes intermédiaires pour les études à l'étranger pullulent. Une aubaine pour une partie des nouveaux diplômés de français. Le salaire dans ce type d'établissement est plus élevé qu'ailleurs, mais l'emploi y est plus précaire, et la pression ainsi que le rythme de travail y sont également plus intenses. Ces établissements servent toutefois d'excellent tremplin vers la vie professionnelle.

Poursuivre ses études à l'étranger

Munis de l'outil linguistique, certains diplômés de français choisissent de poursuivre leurs études en France ou au Canada, se spécialisant notamment dans la finance, la gestion commerciale, le vin, etc. Puis, selon leurs préférences, ils restent à l'étranger ou retournent en Chine pour trouver un emploi. Aujourd'hui en Chine, les étudiants détenteurs d'un diplôme étranger ont plus de facilités que les autres à décrocher un bon poste une fois de retour en Chine. Les entreprises étrangères installées en Chine, notamment, privilégient lors du recrutement ces talents disposant d'une expérience à l'étranger et d'un esprit plus ouvert sur l'international. Notons que le gouvernement a instauré des politiques préférentielles à l'égard de ces talents revenus de l'étranger.

En 2012, Zoé Huang a réussi sa licence en langue française à Beijing, suite à quoi, elle est entrée à l'École de management de Lyon pour y étudier le management des produits de luxe. Après deux années d'études à l'étranger, elle est partie pour Shanghai, où elle a été recrutée par la marque française Christian Dior. « Très tôt, j'ai commencé à planifier scrupuleusement ma carrière professionnelle. À l'heure actuelle, les cursus en matière de management des produits de luxe sont de meilleure qualité en France. En apprenant le français, j'ai pu postuler dans des écoles françaises puis séjourner en Europe. Forte de ma maîtrise de la langue française et de mes profondes connaissances sur le marché du luxe, j'ai pu dégoter un emploi idéal en Chine », se félicite-t-elle.

 

La Chine au présent

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