CHINAHOY

31-May-2013

Le retour en Chine de deux têtes d’animaux en bronze

LI YUAN, membre de la rédaction

Deux bronzes chinoises, qui avaient été dérobés lors des invasions de l’ancien palais d’été Yuanmingyuan par les forces armées étrangères, vont bientôt être rendus à la Chine. Retour sur le passé historique de ces sculptures, la longue marche vers leur restitution, ainsi que les diverses réactions qu’a suscitées cette récente annonce.

 

Le 26 avril 2013, la famille Pinault a annoncé qu’elle allait rendre à la Chine, à titre gracieux, deux têtes en bronze – l’une de rat et l’autre de lapin – provenant à l’origine du palais Yuanmingyuan.

Depuis la mise aux enchères de ces deux reliques par la société Christie’s en 2009, leur restitution fait objet d’une vive attention.

Œuvres d’excellence de styles oriental et occidental

Douze têtes en bronze à l’image des douze animaux du zodiaque chinois faisaient office de jets d’eau pour la fontaine se trouvant face au Haiyan Tang (Salle de la paix nationale), dans le palais impérial Yuanmingyuan de la dynastie des Qing (1644–1912). Elles ont été conçues par le missionnaire italien Giuseppe Castiglione (connu en Chine sous le nom de Lang Shining) et supervisées par le Français Michel Benoît, puis ont été fabriquées par les artisans de la cour royale sous le règne de l’empereur Qianlong (de 1735 à 1796).

Dans l’ancien palais Yuanmingyuan, ces douze têtes en bronze étaient alignées le long de deux rebords de la fontaine : le rat, le tigre, le dragon, le cheval, le singe et le chien du côté sud : le bœuf, le lapin, le serpent, le mouton, le coq et le cochon du côté nord. Toutes les deux heures, l’eau jaillissait d’une nouvelle tête. À midi, les douze fonctionnaient de concert.

Ces têtes en bronze ont été créées à l’apogée du règne de Qianlong. Leurs matières premières comprenaient une teneur élevée en métaux précieux. Le haut niveau de précision dont faisait preuve les artisans de la cour impériale s’observe clairement dans ces objets, où même les poils des animaux se distinguent nettement. Il est à noter que l’équipe internationale avait emprunté le style occidental pour la forme de ces statuettes en bronze, tout en faisant ressortir la beauté traditionnelle chinoise. Ces splendides œuvres sont l’exemple d’une combinaison réussie entre arts oriental et occidental.

En 1860, les forces alliées britanniques et françaises ont incendié cet ancien palais d’été impérial. Les douze têtes ont alors été spoliées et rapportées à l’étranger. Des experts estiment que le pillage du jardin de la Clarté parfaite (Yuanmingyuan) par les troupes britanniques et françaises en 1860, son deuxième sac par l’Alliance des huit nations en 1900, ainsi que l’invasion de la Chine par le Japon lors de la Seconde Guerre mondiale sont les époques durant lesquelles la majorité des objets anciens a été perdue. Une enquête menée par l’UNESCO démontre que plus de 10 millions d’antiquités chinoises ont été égarées notamment à cause de guerres et de trafics illégaux, et que 1,67 million d’entre elles sont actuellement conservées par quelque 200 musées, répartis dans 47 pays.

Une restitution difficile

Le retour de ces deux sculptures en bronze, dont une tête de lapin et une tête de rat, ne s’est pas fait en un jour. En octobre 2008, Christie’s a déclaré qu’elle tiendrait, en février 2009, une séance spéciale de vente aux enchères à Paris. Ces deux têtes figuraient sur la liste des articles à mettre aux enchères.

Le 16 janvier 2009, un groupe composé de 76 avocats chinois ont intenté un procès international, avec le soutien du gestionnaire du jardin Yuanmingyuan, d’experts en vestiges historiques et de spécialistes, et ont ordonné à la maison Christie’s de mettre immédiatement un terme à la vente. Ils ont appelé les collectionneurs à rétrocéder ces têtes pillées au jardin Yuanmingyuan .

Mais Christie’s a insisté pour procéder à cette vente aux enchères. Le soir du 25 février 2009, les têtes de lapin et de rat ont été adjugées à 14 millions d’euros chacune. L’identité de l’acheteur, qui en ayant fait l’acquisition via son téléphone, est restée inconnue. Le lendemain, à Beijing, l’Administration du patrimoine culturel de Chine a déclaré que « les autorités compétentes ne rempliraient pas les formalités nécessaires à l’import-export des statuettes dès lors que le propriétaire ne serait pas en mesure de fournir un certificat d’origine valide et des justifications complètes ».

Le 2 mars 2009, l’acheteur anonyme de ces deux têtes s’est révélé au grand jour : il s’agissait de Cai Mingchao, un homme d’affaires chinois. Dans une conférence de presse qu’il a tenue à Beijing, il a déclaré qu’il ne verserait pas le montant fixé. « Tout Chinois aurait certainement renoncé à l’achat comme moi dans ces conditions. Je n’ai fait que mon devoir ».

Le lendemain, Cai Mingchao a expliqué la raison pour laquelle il refusait de débourser cette somme : « En tant que citoyen chinois, je dois respecter les règlements gouvernementux de mon pays. Si ces deux reliques ne peuvent rentrer en Chine au travers de ces enchères, je ne vais pas les payer. » Après moult discordes, les sculptures en bronze n’ont finalement pas été vendues. La famille Pinault les a alors achetées directement auprès du propriétaire original.

En avril 2013, pendant la visite du président François Hollande, Henry Pinault, au nom de sa famille, a annoncé qu’ils redonneraient gratuitement les deux têtes de lapin et de rat à la Chine. Il a promis de les restituer respectivement en septembre et octobre de cette année. Jusqu’à présent, sur les douze sculptures en bronze du jardin Yuanmingyuan, sept ont déjà été rétrocédées à la partie continentale de la Chine. Celle représentant une tête de dragon est soigneusement conservée à Taiwan. Malheureusement, les têtes de serpent, de coq, de chien et de chèvre n’ont toujours pas été retrouvées. En outre, il faut savoir que parmi les sept retournées à la Chine, quatre l’ont été par le biais de ventes aux enchères.

Selon l’enquête de l’Association chinoise des commissaires-priseurs, pendant ces vingt dernières années, plus de 100 000 objets anciens ont été rentrés en Chine à travers des ventes aux enchères. Liu Yang, l’avocat chinois qui a contribué à la rétrocession des bronzes de têtes d’animaux, s’est fermement opposé à la mise en vente des reliques chinoises pillées. Selon lui, de nombreux pays récoltent des bénéfices en vendant ces pièces. En fait, la vente publique de ces antiquités chinoises avait blessé la dignité nationale de la Chine.

Divers jugements

« Bienvenue à la famille ! » Suite à l’annonce de la famille Pinault comme quoi elle allait faire don à la Chine des sculptures de têtes de rat et de lapin en bronze, des internautes chinois s’en sont réjouis sur la toile, louant l’attitude de ces personnes. Le gouvernement chinois a également fait l’éloge de cette famille, considérant que le retour de ces deux sculptures reflète non seulement le soutien des Pinault à la protection du patrimoine culturel de Chine, mais souligne également le consensus de la société internationale sur le rapatriement des objets anciens dans leur pays d’origine.

La famille Pinault est à la tête du groupe PPR (Pinault-Printemps-La Redoute), opérant largement sur le territoire chinois. Selon les données sur le chiffre d’affaires réalisé par le groupe au premier trimestre de cette année, la vente des produits de luxe en Chine a généré 1,523 milliard d’euros, soit une augmentation sur ce marché de 10 % en un an, un taux bien supérieur à celui des 3 % atteints en Europe. Mei Xinyu, chercheur à l’Institut de recherches sur la coopération économique internationale relevant du ministère chinois du Commerce, a expliqué : « C’est le développement profond de la coopération économique sino-française qui a permis la restitution de ces deux sculptures. Le donateur, qui lorgne aussi sur le vaste marché commercial chinois, met ainsi en avant ses bonnes intentions envers la Chine et ouvre pour son groupe la voie vers la croissance en Chine. » Cai Mingchao, le collectionneur de pièces anciennes qui s’était retiré de la vente de ces deux têtes, a réagi à la nouvelle sur son microblog : « À l’époque, j’avais acheté aux enchères ces deux bronzes au prix de 31 491 200 euros.

Aujourd’hui, la famille Pinault récolte bien plus que ce chiffre. » Henry Pinault porte une double casquette : président du groupe PPR, il est aussi l’actionnaire principal de la maison d’enchères Christie’s. Par cette donation, Christie’s a renoué des liens cordiaux avec le gouvernement chinois, auparavant tendus faute de la mise aux enchères jusque-là de ces deux sculptures. Par ailleurs, elle a obtenu officiellement un permis d’exploitation par des acteurs étrangers en Chine. C’est la première fois dans l’histoire que la Chine accordait une telle licence à une société d’enchères, action qui marque que Christie’s a déjà pris la tête sur le marché chinois. Le gouvernement français s’est félicité de ce présent, non seulement parce que ce geste correspond à l’esprit de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, mais promeut également les relations sino-françaises, en contribuant au développement de la coopération entre les deux pays dans de nombreux domaines.

Cependant, la restitution des têtes n’a pas été saluée par tous. On a pu lire dans le journal britannique Financial Times : « Le don de la famille Pinault a traduit l’amélioration des relations sino-françaises pendant les cinq dernières années. Mais certains fonctionnaires britanniques craignent que la décision de M. Pinault n’encourage la Chine à faire pression sur les autres pays européens, tels que la Grande-Bretagne, pour que ces derniers lui rendent des pièces chinoises antiques conservées actuellement dans leurs musées ou par des collectionneurs privés. »

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