CHINAHOY

31-May-2013

L’éducation est aussi cruciale en France qu’en Chine

ZHONG JUN*

Il y a dans les problèmes rencontrés par les deux pays ainsi que dans les réponses qui y sont apportées, des convergences surprenantes. Point de vue d’un Chinois sur l’éducation en France.

Les nouveaux gouvernements socialistes de France et de Chine se sont enfin rencontrés. Bien qu’ils mettent les contrats et la coopération économique au premier plan, et placent l’éducation sous le thème à la mode de « promotion des échanges entre jeunes », les échanges et coopérations dans le domaine de l’éducation ne manquent pas, la France étant le premier pays du monde occidental à avoir reconnu la République populaire de Chine et un des plus grands pays dans le domaine de l’éducation dans le monde. Mais ces projets ne portent pas autant de fruits qu’on aurait espéré. En réalité, même si les deux pays sont dans des phases de développement différentes en matière d’éducation, les problèmes rencontrés et la nature fondamentale de l’enseignement font que leur coopération ne peut être que bénéfique. En France, la diversité de modalités dans l’éducation, ainsi que les débats dans l’espace public, peuvent certainement inspirer les débats en Chine de diverses manières.

 

« L’éducation est la priorité nationale », ainsi débute le code français de l’éducation. En Chine, le plan directeur de développement de l’éducation nationale aussi présente le développement de l’éducation comme une priorité. Les gouvernements français et chinois, malgré des budgets et des parts du PIB consacrées à l’éducation très différentes, font tous deux de celle-ci une priorité nationale. En plus, l’éducation joue un rôle politique important, l’objectif principal de l’éducation française étant de « partager les valeurs de la République » et celui de la Chine de donner à « l’éducation morale » la première place, en permettant « l’intégration du système de valeurs socialiste à tous les niveaux de l’éducation nationale ».

Les concepts de développement des compétences et de développement intégral de l’enfant sont aussi un point de convergence essentiel. Pour la France, une modification au Code de l’éducation en 2006 a ajouté la fameuse annexe V, définissant le socle commun de connaissances et de compétences. Il se divise en huit domaines : langue française, première langue vivante (y compris le latin, le grec, l’allemand, l’italien, l’espagnol, et d’autres langues européennes, ainsi que le chinois pour un nombre croissant d’écoles), culture mathématique, culture des sciences et des technologies, technologie usuelle de la communication et de l’informatique, culture humaniste, éducation civique et sociale, autonomie et innovation. Développer des compétences pour l’adaptation de l’individu à la société et pour son épanouissement dans le futur est une vision partagée par les deux pays.

Un des sujets les plus polémiques en Chine est « l’éducation de qualité », que le code de l’éducation français appelle « autonomie et innovation » dans l’annexe V. En effet le dernier document de référence « Principe du plan de réforme et de développement de l’éducation nationale à moyen et long termes » de l’éducation chinoise place « la créativité et le courage d’innover et d’explorer, ainsi que les capacités à résoudre des problèmes avec agilité » dans ses objectifs stratégiques. La position des deux gouvernements reflète d’une part leur vision de l’éducation des générations futures, d’autre part leurs interprétations des grandes tendances mondiales. Ces analyses les rapprochent largement.

L’instruction obligatoire est le terme utilisé dans la loi que ce soit en Chine ou en France, mais le Président français l’appelle souvent « l’école obligatoire » et en Chine l’expression est simplement synonyme d’école obligatoire. En réalité, la forme de l’instruction obligatoire est très flexible en France, allant de l’école publique, aux institutions associatives et privées, en passant par l’instruction en famille, dans un cadre légal bien défini. Ce cadre légal clarifie les fonctions de ces institutions afin de garantir l’application de la politique éducative de l’État et de leur garantir une part suffisamment large de liberté d’exécution. Cette liberté concerne notamment, quelle que soit la nature de l’institution, le choix des méthodes et d’une pédagogie par l’enseignant, en conformité avec la loi, y compris l’annexe V. Les familles peuvent notamment choisir d’instruire leurs enfants dans le cadre familial. Dans tous ces cas, l’Académie et la municipalité supervisent et suivent strictement tous les enfants de 6 à 16 ans, notamment ceux instruits en dehors de l’école publique.

La souplesse du cadre de l’instruction obligatoire ouvre de manière spectaculaire la voie à l’éducation de la créativité et à l’innovation pédagogique, générant une série importante d’expérimentations et de pratiques pédagogiques. Ces nouvelles pédagogies mettent souvent l’élève au centre de l’éducation et mettent en valeur son développement autonome et responsable, son esprit d’initiative et son adaptabilité sociale.

« La main à la pâte » est sans doute la méthode qui a le plus influencé l’instruction dans l’école publique. Initiée en 1996 par trois membres de l’Académie des Sciences, tous physiciens, cette méthode s’est développée autour de l’enseignement des sciences, à travers l’investigation scientifique, pour enseigner non seulement les sciences et les technologies, mais aussi l’exploration du monde, les connaissances scientifiques, l’expérimentation et le raisonnement, les capacités linguistiques, les débats publics et l’éducation civique. Afin d’encourager de plus en plus les instructeurs à utiliser cette méthode, la fondation « la main à la pâte » a fait établir un prix national au Ministère de l’Éducation afin de récompenser les projets « la main à la pâte » de la maternelle jusqu’à l’université. Cette pédagogie a été introduite en Chine dès l’an 2000 dans des classes expérimentales à Nanjing, Shanghai, Xi’an et Shantou et se développent dans un nombre croissant d’écoles maternelles et primaires. Malgré les succès de certaines expérimentations, la plupart s’avèrent assez décevantes tant au niveau quantitatif qu’au niveau qualitatif, en raison d’une part d’un système éducatif trop rigide, et de l’autre d’un esprit trop conservateur des dirigeants d’institutions.

« L’école moderne » ou « technique Freinet », initiée par Célestin Freinet, est sans doute la méthode la plus répandue dans l’instruction privée. Cette technique développe une série de méthodes ancrées dans la réalité sociale, en vue de l’émancipation de l’enfant. Les principes de base sont l’adaptation au rythme de l’enfant, le développement de son esprit critique, la latitude laissée à l’enfant de créer spontanément des connaissances avec adultes et enfants, le fait de s’exprimer, d’assumer des responsabilités, de coopérer, et de s’ouvrir à la société extérieure. La Calendreta, réseau d’écoles combinant l’école moderne et le bilinguisme français-occitan, se répand largement dans tout le Sud de France. Historiquement, la dominance de la langue nationale, à cause d’un certain nombre d’amalgames législatifs et politiques depuis la Révolution française, a mis sur le côté les langues régionales, de la même façon que les dialectes chinois ont été mis sur le côté par le mandarin. Le gouvernement chinois continue à promouvoir le mandarin au détriment des dialectes après l’avoir rendu obligatoire dans l’école, alors que la France aujourd’hui accorde de plus en plus d’importance aux langues régionales au nom de la sauvegarde du patrimoine culturel. Elle soutient largement ces initiatives éducatives aux côtés de l’Union européenne, des régions et des municipalités. Un centre Freinet a été créé à Hangzhou, chef lieu de la province côtière du Zhejjiang depuis quelques années, mais, pour des raisons légales et administratives, il reste pour l’heure limité à la maternelle.

La pédagogie Montessori, autre forme de ‘Nouvelle Éducation’ qui participe au même mouvement que la technique Freinet, est appliquée dans certaines écoles surtout privées où la pédagogie mutuelle est en train de gagner du terrain. Ces méthodes sont connues en Chine et de nombreuses publications leur sont consacrées, mais dans la pratique, son application reste rare, sans doute à cause de la rigidité du cadre légal.

Dans les quatre coins du monde, on croit que les parents chinois accordent une importance inégalée à l’éducation de leur enfant. En réalité, le souci des parents pour leurs enfants est plutôt un phénomène universel. Les parents français aiment tout autant leurs enfants, certains ne les gâtent peut-être pas tant, mais ne s’inquiètent pas moins pour les devoirs et l’école que les parents chinois. Pour placer leur enfant dans une meilleure école, les parents déménagent plus souvent que la maman de Mencius. Le système de la carte scolaire ne les limite heureusement pas comme le Hukou (registre familial attachant les droits des citoyens à leur lieu d’origine, séparant notamment les citadins des ruraux), ce qui facilite grandement leur migration à l’intérieur du pays. Par ailleurs, le gouvernement français s’est enfin rendu compte de la charge scolaire de ses élèves, qui est la plus élevée d’Europe, et décidé de modifier dès la rentrée prochaine le rythme scolaire, en limitant la durée journalière de l’école et en augmentant les périodes de repos (une demi-journée de repos supplémentaire par semaine, soit désormais des semaines de quatre jours de travail scolaire) et les activités périscolaires.

Du fait d’une abondance relative et d’une plus grande diversité de l’offre éducative en France, la compétition entre les élèves est plus faible, mais la compétition pour entrer dans des « universités d’élite » (grandes écoles d’ingénieurs et de commerce notamment) s’accroit d’année en année. Les universités publiques n’ont pas le droit de faire passer des examens d’entrée, mais elles doivent pratiquer une forme de sélection quand les candidats à l’inscription sont nombreux et ont obtenu les mêmes résultats au baccalauréat. Les écoles dites « d’élite », entre autres Polytechnique, Sciences Po, école des Mines, Ponts-et-Chaussées, etc. ne se gênent pas pour faire passer des concours supplémentaires. Une récente réforme a « dézoné » les lycées parisiens en leur donnant le droit de sélectionner les élèves, tout en les sortant du système de la carte scolaire, ce qui met la vie des collégiens français « sous pression à la chinoise ».

La répartition géographique des ressources éducatives est également une question difficilement évitable. L’État s’efforce de répartir les ressources nationales de manière juste entre les régions et les institutions, mais en dehors du salaire des enseignants, une grande partie des financements viennent des régions et des municipalités. Le degré de richesse des régions et des municipalités a donc un impact sur les écoles. L’inégalité entre les régions est souvent due à la répartition sociale de la population -- pour des raisons économiques et en raison de l’immigration, certains lieux concentrent la pauvreté, le chômage et les problèmes sociaux, ce qui affecte le niveau des élèves et leurs résultats scolaires. Cette question se pose presque de la même façon pour les zones défavorisées de certaines grandes villes de Chine, en plus des questions liées à la politique du Hukou. Le gouvernement chinois a obtenu des résultats très significatifs depuis 2008 dans la réduction des différences villes-campagnes en matière éducative et dans la scolarisation des travailleurs migrants, mais d’autres formes d’inégalité dans l’éducation se posent inévitablement au nouveau gouvernement.

*ZHONGJUN est enseignant à Sciences Po et à l’INALCO de Paris

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