CHINAHOY

1-September-2015

Les éléments américains de la droitisation du Japon

 

En juillet 2015, des citoyens japonais protestent contre le projet de loi visant à conférer au pays le droit à « l'autodéfense collective ».

 

DONG CHUNLING*

Cette année est marquée par les commémorations du 70e anniversaire de la fin de la guerre mondiale contre le fascisme. Alors que tout le monde réfléchit aux désastres causés à la civilisation humaine par la Seconde Guerre mondiale, des tendances inquiétantes ont fait leur apparition au Japon, lui-même à l'origine de cette guerre en Asie.

Après la victoire électorale du Parti libéral-démocrate (parti de droite), le gouvernement de Shinzo Abe nie les pourparlers de Murayama, s'efforce d'effacer le rôle d'agresseur tenu par le Japon pendant la guerre et prétend même que « l'agression japonaise n'a pas été déterminée ». Abe se rend au sanctuaire de Yasukuni (mémorial japonais où sont honorés des criminels de guerre japonais de première catégorie). Il en profite également pour modifier la Constitution pacifiste et s'efforce d'accroître l'armement japonais. Il mène le Japon de plus en plus à droite.

De nombreux pays ont du mal à saisir pourquoi les États-Unis, eux-mêmes victimes de la Seconde Guerre mondiale et fondateur de l'ordre d'après-guerre, laissent une telle liberté d'action à la droite japonaise. En réalité, la réponse est la suivante : c'est Washington qui a inspiré et stimulé la droitisation du Japon.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis sont les seuls occupants du Japon. Afin de le contrôler sans heurts, ils évitent à l'empereur Hirohito d'être poursuivi pour la responsabilité des crimes de guerre. Ainsi, le Japon a pu conservé son pouvoir et sa structure sociale d'avant-guerre. Le régime politique, favorable à la militarisation du pays n'a pas changé. Les forces de la droite jouissent d'un terrain favorable à un éventuel retour.

L'occupation du Japon par les Américains a malheureusement fait croire aux Japonais que leur pays a été vaincu par les États-Unis, et non pas par l'alliance antifasciste formée par la Chine, l'Union soviétique et les autres pays. Ce point de vue évite aux Japonais d'avoir à faire amende honorable quant à leurs crimes de guerre. C'est par cette logique historique erronée que le Japon continue à entretenir ce sentiment de supériorité en Asie de l'Est. Cette méconnaissance de l'histoire est un outil très pratique pour encourager la droite japonaise à se placer dans le sillon de l'Amérique et chercher à devenir l'hégémon de l'Asie.

À la suite de la guerre froide et des changements géopolitiques en Asie, les États-Unis ont du faire la part entre la « justice » et « l'intérêt ». Moralement, ils se devaient de punir les crimes de guerre du Japon et de liquider les fauteurs militaristes japonais. Mais, compte tenu de la rivalité avec l'URSS, ils ont aussi voulu protéger la droite japonaise pour contenir l'expansion du camp socialiste et la propagation des idées communistes dans l'archipel nippon.

Le document NSC13/2 de 1948 marque un changement important dans la politique américaine relative à l'occupation du Japon. Washington cesse hâtivement le règlement des crimes de guerre du Japon et donne un accord tacite pour le retour de la droite japonaise. On met les bouchées doubles pour faire du Japon une base anticommuniste en Extrême-Orient.

3,44 millions de prisonniers de guerre sont jugés en Allemagne, seulement 5 423 au Japon. Le criminel de guerre de première catégorie Mamoru Shigemitsu est condamné à seulement sept mois de prison, et libéré avant terme. Kishi Nobusuke et 18 autres criminels de guerre sont relâchés sans jugement. Quelques années tard, ils reviendront sur la scène politique japonaise, en tant que représentants de la droite, et jetteront la base de l'accès du Parti de droite au pouvoir.

Ce choix des États-Unis a eu des retombées prolongées : les politiciens japonais sont conscients qu'ils peuvent tirer profit de la politique étrangère intéressée des États-Unis. Devant une « menace » encore plus sérieuse, ceux-ci sont d'autant plus tolérants envers la droitisation du Japon.

Avec la guerre de Corée, la guerre froide prend pied en Asie et Washington et Tokyo deviennent de plus en plus dépendants. Le premier espère que le Japon s'intègre de plus bel dans le camp occidental et devienne une forteresse imprenable contre l'URSS voisine. Tandis que le second place son espoir de voir son économie se relever grâce aux « besoins spéciaux » de la guerre menée par les États-Unis.

Sous la direction de Washington, les États-Unis et leurs alliés signent avec le Japon en septembre 1951 le Traité de San Francisco. Une paix unilatérale est établie. Par la signature du traité de sécurité nippo-américain, le Japon obtient la protection des États-Unis et devient un important maillon dans le système d'alliances américain.

L'effet négatif du Traité de San Francisco est évident. Le Japon n'a pas été réellement puni à cause de la guerre qu'il avait déclenchée contre ses voisins asiatiques, et n'a pas résolu ses problèmes territoriaux avec les pays avoisinants. Les dissensions autour de l'île Diaoyu, des quatre îles septentrionales et de l'île Takeshima sont des sources d'insécurité en Asie orientale.

À l'heure actuelle, la droitisation du Japon est inséparable du réajustement stratégique des États-Unis. Ceux-ci ont besoin d'un Japon qui joue le rôle de l'avant-garde et un levier essentiel pour contrer la Chine. L'émergence de celle-ci a modifié le contexte géopolitique asiatique de même que la crise financière a réduit l'écart économique entre celle-ci et l'Amérique. L'émergence chinoise est devenue un casse-tête pour les stratèges américains.

Après son arrivée au pouvoir, Obama a mis fin aux guerres en Irak et en Afghanistan et transféré le centre de gravité stratégique américain en Asie-Pacifique. Sur le plan économique, il a avancé l'Accord de partenariat trans-pacifique (TPP) afin de remettre en ordre les règles du jeu des échanges dans la région. Sur le plan militaire, il a accru la présence américaine en Asie-Pacifique et rectifié le système de l'alliance dans cette zone. Sur le plan diplomatique, il exacerbe la « menace chinoise » en prenant comme prétexte les tensions en mer de Chine méridionale et en mer de Chine orientale, ce qui envenime les relations de la Chine avec les pays limitrophes. Le but étant d'affecter l'environnement chinois.

En 2010, le PIB chinois a dépassé celui du Japon. Mais les Japonais ont du mal à s'y faire. Le complexe de supériorité national japonais en a pris un coup et cela a facilité le retour de la droite japonaise.

Dans cette situation, les besoins stratégiques américains constituent une bonne occasion pour le Japon de rectifier sa politique chinoise et d'accélérer sa droitisation. Résultat : le Japon a retrouvé l'opportunité d'utiliser la suspicion de Washington envers un pays tiers pour réaliser son ambition politique. Le revirement politique des États-Unis constitue un tournant dans lequel la droite japonaise se glisse et se démène pour tirer profit des problèmes historiques. En montant la farce de l'achat de l'île Diaoyu, elle a aggravé les dissensions structurelles sino-japonaises.

En jouant sur la « menace chinoise », la droite japonaise a trouvé le prétexte pour renforcer l'armement du pays. Les relations sino-japonaises se sont détériorées rapidement. L'intégration de l'Asie orientale, guidée par la Chine, le Japon et la Corée du Sud, rencontre de sérieuses difficultés à cause des contradictions politiques. Et en définitive, ce sont les États-Unis qui tirent le plus grand profit de la détérioration des relations sino-japonaises.

Le retrait stratégique de l'administration Obama constitue un autre moteur de la droitisation de l'archipel japonais. Les États-Unis souhaitent qu'il puisse assumer la responsabilité de sa sécurité. Durant la guerre froide, le Japon a utilisé adroitement la protection américaine. Le « pacifisme » et l'« isolationnisme » pratiqués par Yochida avaient engagé le Japon dans une voie de développement non militariste. Peu de fonds étaient consacrés à la défense et Yochida s'efforçait surtout de développer le pays. Ainsi le Japon a réalisé un essor économique fulgurant et est très vite devenu la première puissance économique asiatique.

Malgré la perte partielle de son autonomie nationale, sous le contrôle des États-Unis, le Japon a fait endosser une lourde charge aux Américains pour assurer sa sécurité. Aujourd'hui, les États-Unis souffrant d'un gros déficit financier à cause des guerres en Irak et en Afghanistan, ils sont obligés de réduire leurs dépenses militaires. Alors comment continuer à protéger leur allié nippon ? La meilleure solution pour eux, est de l'encourager à assumer la responsabilité de sa propre sécurité et de partager les obligations de sécurité régionale. Cette volonté américaine colle parfaitement au désir de la droite japonaise de remilitariser le pays, de briser les contraintes imposées par la Constitution pacifiste et de devenir « un pays normal ».

D'une part, le Japon cherche à créer des incidents, pour retenir les États-Unis et les obliger à répéter leur promesse relative à la sécurité de l'archipel. D'autre part, avec le consentement tacite de son allié américain, le Japon a levé l'interdiction de l'exercice du droit à l'auto-défense collective. De plus, sous prétexte d'équilibrer les forces face à la modernisation de l'armée chinoise et d'aider les États-Unis à sauvegarder l'ordre régional, il renforce son armée et accélère son expansion militaire.

Il n'est pas difficile de voir que le Japon a toujours été « un pays anormal », sous le contrôle et l'influence des États-Unis, et que la droite japonaise est un « fœtus difforme » porté par la politique intéressée de l'occupation américaine du Japon et les idées issues de la guerre froide.

D'une part, la droite japonaise se berce du rêve de grande puissance sous la protection des États-Unis, sans toutefois reconnaître les crimes de guerre du Japon. D'autre part, elle se sert du brouillard stratégique américain pour accélèrer la militarisation du pays dans le but ultime de se débarrasser du contrôle américain et de redevenir l'hégémon de la région. Mais il arrive parfois que la plus solide des forteresses se fasse prendre de l'intérieur. Si les États-Unis continuent à laisser le Japon se droitiser, nous verrons certainement l'ordre mondial d'après-guerre s'écrouler. Et la première faille sera en Asie orientale.

 

*DONG CHUNLING : maître de recherche assistant à l'Institut de recherches sur les États-Unis relevant de l'Académie d'étude des relations internationales contemporaines de Chine.

 

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