CHINAHOY

1-February-2016

Être artisan, le rêve d’une vie

 

Chen Zhiyuan peaufine une chaise Ming dans son atelier.

 

LI CHUN*

En 2011, Chen Zhiyuan a pris une décision comprise par personne : Il a fermé son agence artistique et est parti en apprentissage avec un menuisier dans son atelier. Pour ses premiers cours, son maître lui a donné un morceau d'orme à sculpter, et la passion est née.

Être menuisier

L'apprentissage peut paraître un processus ennuyeux. Tous les jours, Chen Zhiyuan devait apprendre à extraire des clous du bois, poncer le bois, coller des planches. Son maître aimait beaucoup cet homme mince et tranquille qui apprenait plus vite que les autres. Mais ce qu'il ne savait pas, c'est que Chen Zhiyuan faisait à l'avance les schémas des tenons avec un logiciel informatique, et qu'il était bien au courant des processus de fabrication. Un mois après le début de la formation, Chen Zhiyuan avait déjà réussi à fabriquer une petite table.

Six mois plus tard, Chen Zhiyuan a fini son apprentissage et ouvert un studio privé : Wuyou Woodhouse. Il n'a pas choisi d'apprendre la menuiserie sur un coup de tête. Tout simplement, un jour, Chen Zhiyuan a demandé à Qiu Zhijie, son professeur de l'Académie des Beaux-Arts de Chine : « Les meubles de style Ming et Qing sont-ils de l'art ? » Celui-ci lui a répondu : « Bien sûr!» C'est ce qui a poussé Chen Zhiyuan à apprendre la menuiserie.

Aujourd'hui, son studio est installé dans un village près de la rivière Heihe à Beijing. C'est un endroit tranquille, propice à la création. Aujourd'hui, six jeunes font leur apprentissage avec Chen. « On n'avait plus envie de vivre comme avant, on voulait vivre plus tranquillement et apprendre quelque chose de manuel », nous explique un de ses apprentis. Celui-ci travaillait auparavant à la CCTV, mais a démissionné et s'est mis en free-lance. Il va de temps en temps travailler au studio de Chen Zhiyuan. Il n'est pas très causant. Pendant que je l'interviewais, il rabotait un petit morceau de bois, puis au bout d'un moment, il me l'a tendu. Il avait fait un marque-page : « vous voyez, c'est magique ! »

Tulguur est le premier apprenti de Chen Zhiyuan. Un jour, cette homme originaire de Mongolie intérieure a appelé Chen Zhiyuan et le lendemain, il a pris le parti de démissionner et d'aller à Beijing. Son rêve : construire une maison en bois dans sa prairie, et ouvrir un atelier de menuiserie.

Sa main était égratignée. Il portait un gant de protection noir. Se blesser est normal quand on fait de la menuiserie. On peut même se couper le doigt. Chen Zhiyuan m'a dit : « Les machines de menuiserie sont toutes dangeureuses, c'est pour cela qu'il faut faire attention. »

 

Le studio de Wuyou Woodhouse. (PHOTOS FOURNIES PAR CHEN ZHIYUAN)

 

Un art physique

Chen Zhiyuan n'est pas causant, il préfère refléchir, et s'avoue même un peu buté. Par exemple, quand le photographe lui a demandé de prendre la pose pour la photo, celui-ci a catégoriquement réfusé en disant : « Ça ne me reflète pas. »

Chen Zhiyuan n'aurait jamais pensé être un jour menuisier. Il a fait ses études à l'Académie des Beaux-Arts de Chine pour apprendre l'art contemporain avec Qiu Zhijie pour devenir un « artiste avant-gardiste ». En tous cas, c'est ce qu'il imaginait pour son futur.

Avant 2007, le marché chinois de l'art était en plein essor. Les œuvres des jeunes artistes se vendaient très bien. Chen Zhiyuan se souvient qu'une fois, un camarade de classe avait même gagné 200 000 yuans grâce à une série de photos prises la nuit.

Malheureusement, en 2008, à la suite de la crise financière mondiale, l'environnement économique s'est détérioré. Cette année-là, Chen Zhiyuan venait de recevoir son diplôme et a bien senti la dure réalité. Au début, il a essayé de faire des installations et de l'assemblage. Mais il a rencontré une double crise : économique et professionnelle. Auparavant, il suffisait d'une exposition pour que ses tableaux se vendent et puis, plus rien, un mois sans rien vendre. Il a alors commencé à douter de la relation entre l'artiste et l'œuvre : « Quand l'art entre dans le jeu intellectuel, l'artiste s'éloigne de son art. Une bonne œuvre d'art doit d'abord montrer un vrai lien entre l'artiste et celle-ci. »

Chen Zhiyuan a ensuite changé d'orientation et s'est tourné vers l'art de l'happening. Il est donc allé à Beijing pour travailler dans le studio de son professeur Qiu Zhijie. Chen Zhiyuan espérait encore devenir un artiste contemporain. Il avait créé un groupement d'artistes : Wuguan (en français : sans relation) et fixé une orientation artistique : on ne parle pas de politique, mais on touche là où ça fait mal. Leur première action avait eu lieu dans la zone artistique 798 à Beijing et était de créer une sorte de cage autour de Chen Zhiyuan, puis de le transporter à travers les rues. Une autre fois encore, ils avaient fait la queue pour visiter dans un musée des beaux-arts, tenant chacun une boule de ping-pong dans la bouche.

Une vie simple et dans la recherche du détail

Selon Chen Zhiyuan, l'art revient à jeter une pierre dans un lac tranquille : l'art provoque une onde de choc et pousse les gens à réfléchir.

Chen explore sans répit la relation entre l'œuvre et l'artiste, et réfléchit à sa création. Il aime les livres confucianistes et taoïstes et surtout la pensée de Wang Yangming : « L'artiste doit garder une relation intime avec son œuvre. L'artiste est comme un projet, il doit se réaliser. Pendant ce processus, il doit faire des modifications, améliorer, changer et se tromper, pour finalement produire une œuvre. »

Chen Zhiyuan s'intéresse plutôt au travail qui nécessite du temps, de la technique et de l'effort. La fabrication d'un meuble de bonne qualité demande des mois et beaucoup de travail. C'est pour cela que Chen Zhiyuan n'a jamais l'impression que le métier de menuisier est un travail bas. « Je respecte beaucoup les artisans, ils travaillent avec leurs techniques et ont une vie plutôt simple. Un vrai artisan est constamment à la recherche du détail qui parfaira l'objet. Quand un artisan fabrique un objet avec son cœur, c'est de l'art. »

 

*Li CHUN, journaliste au Southern Weekly.

 

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