CHINAHOY

3-July-2015

Xu Dongdong et ses peintures abstraites

 

 

Écoutez une chanson de printemps au milieu de la neige fondante, 1999, collection de l’ONU.

 

 

JIAO FENG, membre de la rédaction

C’est un plaisir de parler avec Xu Dongdong. Sa voix tranquille à la prononciation distinctement pékinoise vous caresse l’oreille, et le rire sonore qu’il laisse souvent échapper révèle sa personnalité franche et libre.

Nos sujets de discussion sont passés des arts et de la philosophie à la mécanique quantique, puis de la culture traditionnelle orientale à la révolution industrielle occidentale, et enfin, des études de peinture dans sa jeunesse au style chinois abstrait qui est aujourd’hui le sien. Son expérience personnelle traduit une réflexion sur la vie par un artiste doué d’une imagination folle et d’une âme libre.

Un peintre pensant

Xu Dongdong est né en 1959 à Beijing dans une famille de l’élite culturelle. Son grand-père Xu Songming avait, au cours de sa carrière, été successivement doyen de cinq universités différentes. Son père était ingénieur des chemins de fer, et sa mère, médecin. Dans la famille Xu, les garçons étaient destinés à poursuivre des études scientifiques, tandis que les filles s’orientaient vers la médecine. Mais Xu Dongdong, lui, n’était attiré par aucun de ces deux univers.

« Une toile représentant des oies par le peintre célèbre Xu Beihong et des travaux du calligraphe renommé Shen Yinmo étaient accrochés aux murs de ma chambre d’enfant, se souvient Xu Dongdong. J’adorais rester couché sur mon lit pour admirer ces peintures. Parfois, je m’endormais en les regardant… » C’est peut-être à ce moment qu’il s’est senti attiré par les muses artistiques.

Dans les années 1970, M. Xu s’est pris d’une passion pour les peintures du musée de la Cité interdite. Au début, il s’y rendait simplement pour admirer les peintures. Mais plus tard, il a pris son propre pinceau pour essayer de reproduire les anciennes œuvres d’art. Sans personne pour le guider, l’enfant est devenu, après cinq années de pratique autodidacte, un connaisseur des tableaux anciens du musée dont il pouvait nommer l’auteur, décrire les principaux éléments et situer l’époque.

C’est à ce moment-là que M. Xu a appris à observer le monde du point de vue des anciens. « Les peintures chinoises expriment un état d’esprit, souligne-t-il. Elles révèlent la coexistence harmonieuse entre l’homme et le monde. » En d’autres termes, elles expriment le fait que l’homme fait partie de la nature. « En copiant ces peintures, j’ai appris la façon dont nos sages ancêtres apprenaient et observaient la nature et comment ils exploraient la relation compliquée entre l’humanité et l’univers. » Il est convaincu que la peinture est une forme d’expression plutôt qu’un but en soi. Le plus important est de savoir comment percevoir le monde et comment exprimer cette vision.

En 1986, il publia un recueil de ses poèmes et de ses peintures. Ce livre fut par la suite traduit par Yang Xianyi (1915-2009), un traducteur émérite, pour le rendre accessible à des lecteurs étrangers. De plus, le célèbre poète chinois Nie Gannu (1903-1986) a composé un poème exprès pour accompagner l’autoportrait que M. Xu avait peint à 16 ans. Liu Kaiqu, ancien conservateur du Musée des beaux-arts de Chine, fit l’éloge de M. Xu dans un article où il le décrivait comme « un peintre aux caractéristiques distinctes et au talent remarquable ». Puis il continuait en disant : « Ses peintures de paysages et de fleurs, ainsi que ses portraits semblent libres et sauvages au premier regard. Mais en fait, il est habile à intégrer la forme et la structure de ses modèles à l’ensemble de sa toile. M. Xu met l’accent sur la conception artistique intellectuelle et l’étude de la nature. »

Deux ans plus tard, Xu Dongdong fut promu au rang d’artiste de niveau national et engagé comme membre de la prestigieuse Association des artistes de Chine l’année suivante. Une exposition, intitulée « Suivre les pas de Xu Dongdong », fut organisée par le ministère chinois de la Culture et l’Association des artistes de Chine sur une période allant de 1990 à 1991, exposition ayant tourné dans dix provinces et municipalités du pays. La première exposition de ce type directement soutenue par le ministère de la Culture.

 

Xu Dongdong dessine sur nature à Zhangjiajie.

 

Un pont entre la Chine et le reste du monde

En 1997, M. Xu a pris une initiative audacieuse en se lançant dans un travail de grande envergure portant sur l’art du comportement, tout comme l’album qu’il avait publié la même année. Ce projet s’est déroulé dans des bibliothèques et des musées du monde entier, avec l’objectif affiché de contribuer à la promotion des échanges culturels.

L’idée qui sous-tendait ce projet était née des voyages de M. Xu dans les différentes régions de Chine au cours des années 1980. Lorsqu’il planifiait son itinéraire, M. Xu identifiait les cours d’eau et les chaînes de montagnes, avant de rechercher les documents historiques, les poèmes, les tableaux qui s’en inspiraient. Ses peintures au fil de ses voyages dans des dizaines de lieux géographiques fameux furent alors regroupés en un album, qu’il décrit comme « ma conversation avec le paysage ». Il expliquait qu’on devait également y voir la perception d’un artiste chinois ayant grandi dans la culture traditionnelle de son pays, mais au fait des cultures étrangères. Il continue en disant : « Le rajeunissement de l’ethos chinois est incarné dans la sagesse chinoise. Mais où trouver cette sagesse ? Telle était la question que je me posais en faisant ces voyages. Lorsque des gens de différents pays, régions, classes sociales, feuillettent cet album, cela génère des réponses diverses qui peuvent être vues comme des extensions de ma création d’origine. »

Si l’on en croit M. Xu, son travail illustre le fait que, si la culture occidentale est brillante comme le soleil, la culture orientale est profonde et harmonieuse. Il souligne aussi que le thème de l’harmonie dans ses œuvres ne se réfère pas seulement à la société humaine, mais aussi à l’univers entier. En appelant à une coexistence harmonieuse, sa création artistique est pétrie de tolérance et de justice, ainsi que d’empathie pour le monde.

Un travail qui a coûté cinq ans d’efforts à M. Xu. L’original de l’album est entré dans les collections de plus de 1 000 bibliothèques, musées et galeries d’art sur la planète. M. Xu ne cesse de voyager dans le monde entier pour promouvoir les échanges culturels, se transformant ainsi en pont entre la Chine et le reste du monde.

D’ailleurs, 50 créations de M. Xu ont été sponsorisées par les Nations unies et exposées au Palais des Nations à Genève en avril 2001. L’une d’entre elles, Écoutez une chanson de printemps au milieu de la neige fondante, a été intégrée à la collection de l’ONU.

Un pionnier de la peinture abstraite chinoise

Dès les années 1980, alors qu’il étudiait la peinture chinoise, M. Xu a commencé à porter son attention sur l’étude et la compréhension de l’art occidental. Cependant, explique-t-il, ce n’était pas par suite d’une simple préférence personnelle qui le poussait dans ce sens, mais une tendance générale née des échanges culturels et du progrès social qui débutaient à l’époque. « J’ai eu l’occasion de découvrir des peintures occidentales en étudiant l’œuvre du père du mouvement de la Renaissance, Giotto di Bondone. Mon style fut ensuite largement influencé par des artistes de premier plan de la Renaissance italienne, tels que Masaccio, de Vinci, Michel-Ange et Raphaël ; le Titien, de l’école vénitienne ; des peintres baroques comme le Caravage et Rubens ; Goya, le néoclassique ; des impressionnistes, comme Manet et Monet ; des post-impressionnistes, comme Gauguin et Van Gogh ; Matisse, représentant du style fauviste ; Picasso, représentant du cubisme ; Cézanne, Mondrian et Chagall, aussi », énumère M. Xu.

Au fil des décennies, le style artistique de M. Xu s’est transformé, glissant d’une imitation de la peinture traditionnelle chinoise, focalisée sur une liberté généreuse du travail au pinceau, vers un impressionnisme, puis plus tard vers une peinture plus abstraite. Une évolution qui n’a pas été un long fleuve tranquille, contrairement à d’autres peintres chinois. En 2003, il a déménagé vers la banlieue de Beijing pour y vivre en isolation afin de se concentrer totalement sur la création artistique.

Xu Dongdong cherche à intégrer l’abstraction dans la peinture chinoise tout en combinant cette abstraction avec la philosophie chinoise. Plutôt que de simplement imiter le style abstrait occidental, il cherche à créer une restitution abstraite de la perception chinoise pour illustrer la société et la vie chinoises.

« Lancer une peinture abstraite de style chinois, ce n’est pas là un but pour moi. Ce que je veux, c’est créer des peintures chinoises enracinées dans la philosophie locale », poursuit M. Xu. « J’avais une fois avancé l’idée que l’on pouvait développer une conception artistique intellectuelle sous la forme de coups de pinceau libres, à l’ancienne. Après près de 40 ans de pratique artistique, je continue d’approfondir ma compréhension de cette théorie. »

L’idée de M. Xu lui a été inspirée par les grands philosophes des époques des Song (960-1279) et des Ming (1368-1644), qui attachaient beaucoup d’importance à l’esprit et à l’âme pour créer une atmosphère artistique propice à la peinture. Autour de la quarantaine, il a élargi ses concepts esthétiques au domaine philosophique, en découvrant la nature et en représentant la beauté naturelle de l’humanité et de toutes les créatures, tout en appelant au changement de nos modes de vie. Dans un sens, ses concepts artistiques sont tournés vers ses propres attitudes envers la vie.

Des peintures de M. Xu produites à différentes phases de sa vie ont été regroupées dans un album récent intitulé d’après sa théorie, Xin Zao Jing, c’est-à-dire « l’esprit et l’âme de l’artiste déterminant l’esprit de l’œuvre ». Dans ce livre, on voit clairement son développement technique et artistique. Combinant les philosophies et les techniques créatives de la Chine et de l’Occident, M. Xu vise à perfectionner l’art abstrait chinois.

 

 

La Chine au présent

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