CHINAHOY

11-January-2016

Chassez le naturel, il revient à vélo

 

Un couple de Chinois de Chuzhou dans l'Anhui a décidé de se marier à vélo.

 

Sous la pression des embouteillages, de la pollution atmosphérique et des demandes grandissantes en ressources énergétiques, le gouvernement chinois a décidé de promouvoir les transports « lents » : la marche à pied et le vélo.

GONG HAN, membre de la rédaction

Le « transport lent » est le summum de ce que l'on appelle les transports écologiques et représente le mode de fonctionnement que les villes durables essaient actuellement de mettre en place. Le gouvernement chinois s'efforce depuis quelques années déjà de développer le transport « lent ».

En 2012, le ministère du Logement et du Développement urbain et rural a publié une directive pour promouvoir la marche à pied et le vélo dans les villes. En 2014, un plan de conception a été publié pour guider les villes de tous les niveaux dans la conception urbanistique et le développement des infrastructures de transport. Le XIIIe plan quinquennal met en avant le transport bas-carbone et généralement, la priorité donnée aux transports en commun, au transport sur rail et au vélo.

Il y a quelques années, aller à pied et à vélo était le quotidien des Chinois. Dans les années 70-80, la Chine était sans conteste le « royaume de la bicyclette ». Après l'an 2000, le nombre de voitures particulières a connu une augmentation sans précédent. Aujourd'hui, le retour au naturel n'est pas si évident.

Priorité à l'homme

Fin 2014, le nombre de véhicules quatre-roues motorisés en Chine a atteint 264 millions, dont 154 millions de voitures. D'après des prévisions, si le nombre de voitures particulières en Chine diminuait annuellement de 2 à 3 %, on pourrait économiser 5,8 millions de tonnes d'essence et diminuer les émissions de 17,80 millions de tonnes de CO2.

Pourtant, d'après Yan Xinmiao, professeur de l'université Tsinghua et spécialiste du transport, le ralentissement de la motorisation de la Chine n'est pas chose aisée. Ce jugement se base sur trois tendances : la production de voitures particulières est en train d'augmenter ; le prix des ressources continue de baisser ; dans le même temps, les technologies des nouvelles énergies se développent rapidement.

« D'ici 2050, presque toutes les familles chinoises auront leur voiture particulière, y compris des voitures fonctionnant aux énergies nouvelles. L'entrée de la voiture dans les ménages chinois est inévitable. Mais ce n'est pas parce que l'on a une voiture que l'on s'en sert quotidiennement. Si l'on ne se sert que de sa voiture pour circuler, alors les villes et l'environnement ne vont pas tenir longtemps», analyse Yang Xinmiao.

Le ministère du Logement et du Développement urbain et rural a lancé des projets dans 95 villes sur trois phases afin de promouvoir la marche à pied et le vélo. Dans le guide édité par le ministère, l'orientation est la suivante : les grandes villes doivent se servir de la marche à pied et du vélo pour résoudre le problème de l'intermodalité. La marche à pied et le vélo doivent devenir le moyen de transport majeur dans les moyennes et petites villes.

La ville de Hangzhou, capitale du Zhejiang, est un exemple en la matière. Le réseau de vélos publics y est déjà très développé. De fait, Hangzhou est une des villes au réseau de vélos publics le plus dense au monde. D'après certaines estimations, la ville de Hangzhou compterait près de 80 000 vélos publics, 3 000 stations de location situées à 300 mètres les unes des autres.

D'après des statistiques, la proportion de piétons et de cyclistes dans le centre-ville est de 65 %. Dans une enquête sur le thème « Votre moyen de transport idéal pour rentrer à la maison après le travail », la plupart des habitants de Hangzhou ont choisi le vélo. Cela est dû à la conception très pratique du système mis en place dans la ville mais aussi aux pistes cyclables larges et continues dans les rues. Des abris ont même été installés à côté des feux rouges pour permettre aux piétons et aux cyclistes de se protéger du soleil. Une campagne de sensibilisation à la priorité pour les piétons et les cyclistes a également été mise en place. Des applications smartphone pour trouver les stations de vélos sont également disponibles pour les usagers.

Ce modèle a été multiplié dans plus de 140 villes à travers tout le pays. À Shenzhen, Xiamen ou Kunming, des itinéraires cyclistes au bord du littoral ou des lacs ont été mis en place. À Jinan, une partie des rues à 8 voies a été transformée en rue à 6 voies pour laisser plus d'espace aux piétons et aux cyclistes. Jiang Binglei, une spécialiste du ministère du Logement et du Développement urbain et rural nous fait remarquer que « La marche à pied et le vélo ont une particularité : si vous invitez les gens à en faire, ils seront de plus en plus nombreux, si vous offrez aux gens des infrastructures de qualité, ça se popularise très vite. »

Contre-exemple de Hangzhou, Guangzhou connaît des embouteillages depuis le début des années 90. Pour y remédier, la municipalité avait décidé de multiplier les transports en commun tout en réduisant l'espace pour les vélos et ainsi donner plus de place aux voitures. Par exemple, certaines rues étaient interdites aux cycles et certaines voies à vitesse réduite étaient au contraire autorisées aux véhicules motorisées. En 2010, à Guangzhou la proportion de vélos dans les moyens de transport était tombée de 33,8 % à 13,3 %.

« Par l'instauration de ce système de contrôle du trafic, on a détruit l'espace vital des vélos et des cyclomoteurs. Ils ont quasiment disparu de la ville. L'expérience nous montre que l'augmentation incontrôlée des voitures dans le trafic urbain a de bien pires conséquences que la présence des vélos », affirme Zeng Ying, ingénieur supérieur de l'Institut de recherche de l'Ingénerie des routes de Guangzhou.

Récemment, pour offrir un meilleur environnement aux piétons et aux cyclistes, la municipalité a mis à l'essai des corridors de verdure. Au mois de juin dernier, 2 763 km de ces corridors avaient été créés sur tout le territoire de la municipalité. Ils couvrent une zone de 3 600 km² et rendent service à 8 millions de personnes.

La question de la priorité à qui, la qualité des infrastructures, la praticité des installations et la sécurité sont des problèmes auxquels sont confrontés les cyclistes et qui doivent être résolues par les services de voirie et de transport des villes.

 

 

Dans le nouveau quartier CBD de Zhengzhou, un millier de vélos publics tout neufs sont à disposition des utilisateurs dans 34 stations de location.

 

Des habitudes dures à changer

« Le plus dur quand on veut mettre en avant la marche et le vélo, c'est de changer les habitudes. », nous explique Jiang Binglei. Elle a lu dans une étude que 40 % des Chinois achètent une voiture pour des raisons de statut social. Les voitures ne sont apparues que très récemment dans la société chinoise, c'est la raison pour laquelle beaucoup de gens veulent en avoir une et préfèrent utiliser la voiture qu'un autre moyen de transport.

Les statistiques montrent que comparé à Tokyo ou Séoul, la moyenne des familles chinoises possédant une voiture particulière est faible, mais que le taux d'utilisation est le plus élevé. Jiang Binglei nous dévoile que ce mode de pensée est encore bien implanté dans la conception de beaucoup de spécialistes et de décideurs chinois au sein des administrations. D'ailleurs, quand elle faisait ses études, ses professeurs étudiaient tous comment faire pour que plus de Chinois aient plus de voitures et pas l'inverse. Ils considéraient alors que les voitures étaient plus importantes que la marche à pied ou le vélo. Cela a eu pour conséquence que certaines villes ne veulent pas investir pour ces moyens de déplacement.

« La vision des gens sur le problème est en train de changer. Celle de ma famille et des amis aussi », nous assure-t-elle. Elle est très compréhensive avec cette addiction à la voiture. « J'utilise souvent une comparaison pour faire comprendre aux gens le rapport qu'ils devraient avoir à la voiture : c'est comme une perceuse, tout le monde en a une à la maison, mais personne ne s'en sert tous les jours. »

Yang Xinmiao, qui réside à Beijing possède deux voitures. Mais pour économiser du temps, il prend son vélo pour aller au travail. « Si je prends ma voiture, je mets 15 minutes dans le meilleur des cas, ou 1 heure et quart quand il y a des bouchons. Alors qu'en vélo je suis sûr d'arriver en 20 minutes. »

À la différence des États-Unis où les gens habitent en moyenne à 20 km de leur travail, la plupart des Chinois habitent à moins de 7 km de leur bureau. Une distance tout à fait acceptable lorsqu'on est à vélo.

« Les Chinois sortent tout juste de la période où les gens s'inquiétaient plus du lendemain que de l'environnement ou d'autre chose. Alors pour changer les habitudes, il faut au moins 10 ans, certaines personnes arrivent à les changer en 5 ans, d'autres jamais. Ce n'est pas grave, il faut y aller doucement. Ce qu'il faut redévelopper, c'est l'ancienne tradition de faire du vélo en Chine. C'est dans les souvenirs de tous les Chinois. La plupart des gens qui travaillent sont déjà allés au travail à vélo dans leur jeunesse. C'est une grande différence avec ailleurs. Cela devrait être plus facile de faire les gens se rendre compte de l'avantage du vélo. », déclare Yang Xinmiao.

Selon lui, plusieurs moyens de transport cohabiteront en Chine dans le futur. Le travail du gouvernement étant de créer les bonnes conditions pour qu'ils se développent de façon équilibrée.

Le smog est un thème de discussion intarissable à Beijing. D'après une étude du Centre de recherche sur le développement du transport de Beijing, beaucoup de gens ne veulent pas faire du vélo à cause de la pollution atmosphérique. « C'est une contradiction, car faire du vélo est un bon moyen d'améliorer la qualité de l'air. Je pense qu'on devrait amener les gens à prendre les transports publics dans un premier temps puis quand la qualité de l'air sera revenue, les encourager à refaire du vélo. Si le smog est vraiment trop important, on ne conseille évidemment pas aux gens de sortir ou alors seulement s'ils sont bien protégés. », nous dit Yao Guangzheng, directeur du département de la conception du transport au Centre de recherche sur le développement du transport de Beijing.

Un modèle propre à la Chine

« L'importance que le gouvernement accorde à la marche à pied et au vélo est sans précédent. », déclare Zong Yan, représentante de la Banque mondiale à Beijing pour la question des transports. La coopération entre la Banque mondiale et le ministère du Logement et du Développement urbain et rural remonte à 1995. À l'époque, un séminaire était organisé entre le ministère, la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement. Le thème de la réunion concernait les stratégies de développement du transport dans les villes chinoises. Le premier principe de la Déclaration de Beijing élaborée lors du séminaire explique clairement que « le but principal du transport est de faciliter la mobilité des personnes et des marchandises, pas de faciliter la mobilité des véhicules. »

« Cette idée a créé un véritable choc parmi les décideurs chinois », nous explique Zong Yan.

« Chaque ville est particulière, les modèles mis en place dans les pays étrangers ne sont pas forcément parfaitement adaptés à la Chine. En fait, même entre les États-Unis et l'Europe, il existe une grande différence. Le modèle américain de transport « voiture + banlieue » est né dans les années suivant la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1970, pendant la première crise pétrolière, on a commencé à prendre conscience du problème et essayé de revenir en arrière, mais faire retourner les gens à la marche à pied ou au vélo était difficile. », nous explique Zong Yan. « Aujourd'hui, les problèmes que les villes chinoises rencontrent viennent du fait qu'elles ont trop imité les États-Unis. C'est une erreur de conception et une question de développement. »

Zong Yan estime que la chose la plus urgente est de changer à la source, de revoir l'urbanisme des villes et la conception des voies de circulation pour que piétons et cyclistes soient prioritaires et que l'homme soit LA priorité. Ensuite, il faut élaborer un plan d'urbanisme adapté. Enfin il faut créer des moyens de transport humains, réellement au service des gens et qui répondent à leurs besoins particuliers.

« Ce que fait actuellement le ministère du Logement et de Développement urbain et rual est déjà bien, ils mettent vraiment l'accent sur le guide et sur la formation, c'est très important. Il faut résoudre le problème à la source et faire évoluer les mentalités pour que l'on donne vraiment la priorité à l'homme, déclare Zong Yan, les actions du gouvernement doivent s'allier aux actions du marché.»

« Pour encourager la marche à pied et le vélo, la Chine doit trouver sa propre voie, il faut innover. », estime Yang Xinmiao. En 2008, son équipe a créé un site internet qui invite des bénévoles à abandonner leur voiture pour aller au travail à pied ou à vélo. Après les estimations, cette action a permis de réduire les émissions de CO2 de 9 000 tonnes et de gagner 300 000 yuans sur le marché du carbone. Cela lui a donné une idée : « L'aviation est un des plus gros producteurs d'émissions et a les capacités financières pour acheter des quotas carbone. Ne pourrait-on pas utiliser cet argent pour acheter des vélos aux citadins ? Ou bien faire payer les frais liés à l'utilisation des vélos par les automobilistes ? Sur le plan technique, c'est facile à réaliser et ce genre de politique innovante pourrait avoir un impact assez important»,.

Jiang Binglei nous fournit quelques statistiques : « Si chaque jour, vous faites 15 minutes de vélo ou l'équivalent de 4 kilomètres aller-retour, ce qui est souvent moins loin qu'en transport en commun, vous grillez 4,5 kilos de graisse par an. Alors, marcher ou prendre son vélo tous les jours pendant 10 à 20 minutes, ce n'est pas uniquement pratique, c'est aussi salutaire et c'est le moyen de transport le meilleur pour la santé. Dans un pays comme la Chine, deuxième pays où il y a le plus de personnes obèses après les États-Unis, la santé est un argument de taille pour encourager la marche à pied et le vélo. »

 

 

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