CHINAHOY

1-April-2015

Chang Chengyu vend du rêve

 

Chang Chengyu. (PHOTO: MA HUIYUAN)

 

CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

C'est à l'occasion de la remise du prix de traduction Fu Lei 2014 que nous avons rencontré Chang Chengyu, organisateur de la cérémonie. Ne vous laissez pas comme moi tromper par son nom, ni par son faciès : Cheng n'est pas un « produit 100 % chinois ». « Je suis né à Wenzhou, dans la province du Zhejiang. Mais mes parents ont émigré à Paris alors que j'étais tout jeune. De mes 4 ans à mes 25 ans, j'ai vécu en France, sans jamais la quitter. »

Alors pourquoi ce retour en Chine ? Piqués par la curiosité, nous poursuivons la discussion quelques mois plus tard, dans son bureau flambant neuf, dissimulé au cœur des hutong (petites ruelles anciennes à Beijing).

Un retour aux origines

« La première fois où je suis revenu en Chine, c'était en 2000. J'ai pris mon petit sac à dos et j'ai atterri dans l'université du Yunnan pour trois semaines d'études du chinois. » Il nous explique qu'à la maison, ses parents continuaient de parler le dialecte de Wenzhou, complètement différent du mandarin. « Le mandarin, je ne le maîtrisais pas du tout. Je ne savais ni parler, ni lire et encore moins écrire. Ma mère m'avait simplement appris à dire Wo chi miantiao he qingdao pijiu (Je veux des nouilles et de la bière), l'essentiel pour m'éviter de mourir de faim ou de soif », plaisante-t-il.

Ainsi, le jeune Cheng, qui avait passé presque toute sa vie en France, est retourné dans son pays d'origine et a expérimenté la barrière de la langue, comme un total étranger. Toutefois, il avoue avoir très vite retrouvé ses racines. « J'ai grandi dans une famille qui a gardé sa culture chinoise, notamment dans la transmission des valeurs familiales. C'est le cas de beaucoup de familles chinoises à l'étranger il me semble. J'ai retrouvé ces valeurs en Chine, ainsi que certaines habitudes. En France, mes petits camarades me regardaient avec des grands yeux étonnés quand je leur disais que j'avais mangé du jambon au petit-déjeuner. Ici, j'ai découvert que manger salé le matin, c'était la norme. Plein de petits détails me rappelaient que mes racines étaient ici. »

Il confesse que lors de son premier séjour en Chine, plutôt que de bûcher sur ses leçons de chinois, il est parti à la découverte de ce qu'il avait quitté 20 ans plus tôt, avec pour compagnon le livre La Montagne de l'âme du Nobel Gao Xingjian. « J'ai passé mon temps à voyager : Dali, Lijiang, Guilin, Shanghai... J'ai savouré chaque minute que j'y ai passée. Ce voyage initiatique m'a ouvert les yeux. Je me suis dit : "c'est là que je veux revenir !" »

Un destin tracé ?

De retour en France, l'idée de partir à nouveau en Chine le titillant, il a entamé un master « Management international francais-chinois » à l'Institut d'Economie et de Management de Nantes, où il a étudié le chinois avec plus de rigueur. En 2004, pour clôturer ses études en beauté, il décroche un stage de 6 mois à Shanghai dans le secteur de l'événementiel, grâce à son bagout, selon lui. « J'avais convaincu la RH en disant que j'avais déjà organisé des anniversaires ! Pour dire le niveau de sélection à l'époque... » Il rappelle qu'à l'époque, peu d'étrangers venaient s'aventurer en Chine, donc la concurrence était moins rude, et la compréhension mutuelle, plus aléatoire.

Maître dans l'art de la débrouille, Cheng prend très vite goût à ce travail. Bien que l'expérience s'avère très positive pour lui, l'entreprise d'accueil ne l'engage pas... Sa maître de stage lui annonce : « Cheng, je crois que tu n'es pas taillé pour notre agence. Mais peut-être que tu pourrais ouvrir la tienne un jour ! » Des paroles qui ont certainement germé dans son esprit...

« Je n'étais pas le petit mouton prêt à suivre les ordres tête baissée », lâche Cheng. Un trait de caractère peut-être lié à son éducation française... Ce triste épisode n'a pas pour autant entamé son audace ni son ambition. « Je suis arrivé ici en 2004 avec une idée en tête : celle de participer, d'une manière ou d'une autre, aux Jeux Olympiques prévus pour 2008. Bon, j'ai laissé tomber l'idée de le faire en tant que champion sportif ! J'ai décidé de faire quelque chose en lien avec l'organisation de l'événement. »

Il poursuit donc sa carrière en tant que manager dans l'événementiel pour un grand restaurant shanghaïen. Puis fin 2005, il rentre en France et monte une petite structure commerciale dédiée à l'import-export de luminaires. Pour étendre son réseau de partenaires et développer les activités de son entreprise, il se rend en Chine en mai 2007 et rencontre par hasard un cadre d'Auditoire, une agence événementielle française leader sur le marché européen. Il passe un entretien, à l'issue duquel on lui propose une « offre imbattable », selon ses propres termes. Cheng laisse son entreprise entre les mains de ses partenaires, afin de se consacrer corps et âme à l'événementiel. Mais quelques temps plus tard, il quitte son agence et se met en freelance pour enchaîner les travaux temporaires, dont un sur les JO de Beijing l'été 2008, comme rêvé.

Du perfectionnement...

Puis, Auditoire (avec qui il est resté en bons termes) le rappelle pour lui proposer d'organiser une prestigieuse exposition à Ullens Center for Contemporary Art (UCCA). « Un point-clé de mon parcours ! confie-t-il. Cette exposition avait fait venir de France plus de 80 robes haute couture de marques comme Dior ou Chanel, des pièces uniques classées "trésors nationaux" en France pour certaines. Bernard Arnault, président du groupe LVMH et commanditaire direct de cette exposition, avait en plus acheté une vingtaine d'œuvres chinoises contemporaines réalisées par les artistes les plus en vue de l'époque. » Il a alors travaillé d'arrache-pied au montage de l'exposition pendant trois mois, puis est resté sur place pour en assurer la maintenance. « Il faut tout vérifier : la température, la lumière, l'exposition aux UV, etc... pour être sûr que rien ne se détériore. »

Son professionnalisme a payé, puis qu'il s'est vu offrir par UCCA le poste de directeur technique des expositions. Il s'est mis à préparer tous les événements tenus dans ce centre artistique, tout en continuant en parallèle ses activités en freelance.

« J'ai eu l'opportunité de travailler avec des gens doués d'une vraie expertise : scénographes à l'œil expert, techniciens son et lumière incroyables, logisticiens professionnels... Ces rencontres m'ont formé. Il faut toujours continuer d'apprendre. »

... à l'entrepreneuriat

Cheng n'a pas besoin de faire de la promotion : le bouche-à-oreille a suffi pour qu'il croule sous le travail, au point de devoir refuser certains projets. « Quand tu deviens un géant, tu dois te lancer dans la stratégie et la gestion. Je fuyais cette option, car ce n'est plus le corps du métier que j'aime faire. Construire une scène, gérer la lumière, faire du design... : c'est ça qui me plaisait. »

Toutefois, après avoir freiné des quatre fers pendant au moins trois ans, Cheng s'est vu contraint de créer l'entreprise Solutions et de déléguer un peu les tâches à un assistant permanent. « C'est la magie de la Chine ! commente-t-il. Partir de rien et construire quelque chose avec autant de flexibilité, j'ai l'impression que ce ne serait possible nulle part ailleurs dans le monde. La Chine donne une vraie opportunité à ceux qui veulent travailler ! »

Bien qu'il ait finalement monté une affaire, il continue de clamer : « Je ne veux pas qu'on se développe en "machine à produire". Je veux que notre agence reste à taille humaine, pour ne pas perdre notre essence. Nous voulons vraiment livrer des événements de qualité, ce qui passe par une équipe expérimentée et solidaire. » D'ailleurs, il estime que le plus dur dans son métier n'est pas tant de supporter la pression et le rythme de travail parfois effréné, mais d'arriver à trouver du personnel fiable. Et pour cela, qui de mieux que sa sœur et son beau-frère, qui l'ont rejoint dans l'aventure ? Les valeurs familiales chinoises semblent transparaître...

Il détaille : « La plus-value que nous apportons se résume à la créativité, à la finition dans l'événement, ainsi qu'aux conseils que nous donnons à nos clients pour les orienter. Les clients qui nous contactent savent qui nous sommes et à quoi s'attendre. Nous savons rester pragmatiques ; nous ne faisons jamais de promesses en l'air. Mais tout de même, à UCCA, on m'appelait le "Dream Maker" (vendeur de rêves) ! »

Difficile pour lui de choisir un seul et unique événement dont il serait le plus fier. Finalement, il en retient trois : une exposition « Christian Dior & Chinese Artists » en 2008 ; la remise du prix artistique contemporain AAC dans la Cité interdite en 2013 et 2014 ; et l'événement « Swarovski Digital Crystal » à 798 fin 2013 dans le cadre de la Beijing Design Week. C'est avec enthousiasme qu'il nous décrit ces grandes manifestations et les défis que son équipe a dû relever, puis il s'empresse de nous montrer des vidéos des résultats sur son ordinateur. « Pour la remise du prix AAC, nous avions travaillé sur tout l'aspect création pour préparer un grand show façon Oscar à Hollywood et époustoufler le millier d'invités présents. Je me rappelle qu'on avait fait venir des danseurs de France. Suspendus à une corde, ceux-ci dansaient en rappel le long d'un écran. C'était fabuleux ! »

Et les projets continuent de tomber... Un projet Swarovski à Shanghai en mars, un défilé Dior homme à Guangzhou en avril, etc... En « haute saison », Cheng et son équipe sont capables d'organiser une dizaine de projets par trimestre. Ainsi, il est amené à voyager à fréquence régulière, partout en Chine mais aussi à Paris. « Ma biculturalité m'a énormément aidé dans ma carrière. Je n'ai pas fait de crise identitaire, comme certains. Entre la culture française et la culture chinoise, j'ai choisi de prendre le meilleur des deux. »

Aujourd'hui, par le biais de son activité professionnelle, Cheng promeut tout naturellement les relations sino-françaises puisqu'en Chine, il travaille très régulièrement pour des entreprises majoritairement françaises. D'ailleurs, Solutions a eu plusieurs fois pour client l'ambassade de France en Chine : l'entreprise avait préparé notamment en octobre 2014 la cérémonie de pose de la première pierre du Lycée français international Charles de Gaulle à Beijing, à laquelle était présent Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères et du Développement international.

 

La Chine au présent

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