CHINAHOY

11-January-2016

La Chine en mode vintage

 

Chez le cordonnier de Gulou Dongdajie, on peut faire faire toutes sortes de chaussures sur mesure.

 

Le vintage dans l'habillement a gagné la Chine et de plus en plus de jeunes ou de moins jeunes aiment ce style. Sur Gulou Dongdajie à Beijing, nous avons fait le tour des magasins pour en savoir plus.

SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de rédaction

Cette mode du vintage, apparue à New York, Londres et Paris dans les années 90, commence à percer depuis quelques années en Chine. « C'est surtout après la sortie du film Gatsby le Magnifique que ça a commencé à vraiment se populariser », nous explique Liu Ke, la gérante du Mega Vintage, magasin spécialisé dans le vintage américain et d'ex-URSS. Dans sa vitrine, deux mannequins (John et Pauline) habillés dans le style country des années 50 et plein d'objets vintage : des vieilles plaques d'immatriculation, des vieux téléphones à roue, des sacs en cuir, une vieille malle en carton…

Une fois poussée la porte, on a l'impression d'avoir pris une machine à remonter le temps. « On me ramène beaucoup de petits objets pour la décoration, nous explique Liu Ke, je ne les vends pas, c'est pour créer une ambiance. » Musique swing en prime, vous pourrez admirer la collection de vieux jouets et de bijoux accrochée aux murs, ou encore rêver devant ce vieux blouson en cuir des années 20 encadré comme une relique.

« Cela fait 7 ans que j'ai ouvert ce magasin. Avant, c'était surtout des clients connaisseurs qui achetaient chez moi. Aujourd'hui, de plus en plus de gens aiment cette mode et achètent chez nous. Pas forcément des choses chères, mais les gens aiment bien avoir une ou deux fringues vintage dans leur garde-robe », ajoute celle-ci.

Pas très loin sur Gulou Dongdajie, on trouve le Vintage Caravan, un concurrent, beaucoup plus modeste, mais au look complètement différent : ici, tout est pep's, rose, à fleurs et bariolé. « J'ai ouvert il y a un an, parce que j'ai toujours aimé m'habiller en vintage, mais aussi parce que je n'aime pas le vintage "sobre", nous explique la gérante, beaucoup de gens confondent vintage et vieillot. J'aime beaucoup la période des années 60-70, c'était un style plus extravagant, moins uniforme que ce qui se fait aujourd'hui dans la "fast fashion". »

Un véritable art de vivre et de concevoir la mode

Pour la plupart des gérants de magasins que nous avons interviewé, le vintage, ce ne sont pas seulement « de vieux habits de seconde main », ce qui se résumerait à de la friperie, mais une culture et un art de vivre.

Pour la gérante du Vintage DDR, magasin spécialisé dans la mode de l'ancienne RDA et de l'URSS, c'est un peu la nostalgie d'une certaine époque. Dans son magasin, du mobilier Est-allemand, des affiches de propagande soviétique, le marteau et la faucille accrochés au mur et plein de petits objets qui font de l'endroit à la fois un magasin de vêtement et une brocante où vous pourrez trouver vieilles lampes, cendriers, miroirs, porte-monnaie, bijoux et vinyles de l'époque.

Pour le patron du Underground Vintage, spécialisé dans le vintage américain homme, s'habiller avec du vintage c'est une façon de se démarquer et de retrouver un style à soi et d'avoir des habits que tout le monde ne porte pas. Chez lui, on trouve des blousons de baseball, des vestes en cuir, des vestes de costume en laine et des chemises à carreaux typiques des années 50-60, sa période de prédilection.

La patronne du Vintage Caravan nous explique sa vision du vintage et de la « fast fashion » : « Aujourd'hui, vous avez des marques qui proposent de nouvelles collections à chaque saison, mais le problème, c'est que ça se démode très vite et tout le monde est "habillé à la même enseigne". J'appelle cela la "fast fashion". Il arrive même qu'on croise quelqu'un avec la même veste ou le même pull que soi et ça, je déteste. Le vintage, c'est personnalisé, et par opposition, c'est de la "slow fashion". Ça évite le gaspillage et la surconsommation », nous explique-t-elle en rigolant derrière ses lunettes années 80, et son sourire « rouge à lèvres de pin-up des années 50 ».

« Le vintage a l'avantage que souvent on n'a qu'une pièce unique et donc, personne ne peut avoir la même. Ensuite, c'est la qualité, car bien que les habits aient parfois 20-30 ans voire plus, on peut toujours les porter et on sait que ça va tenir », nous explique Liu Ke dont l'habit le plus ancien qu'elle ait dans son magasin date des années 20.

 

Le vintage comprend aussi toutes sortes d'accessoires tels que chapeaux, colliers ou sacs à main.

 

Vintage oui, mais pas ringard

Pour ces Chinois, le vintage est donc à la fois une façon de se démarquer et de consommer autrement, mais c'est aussi une façon de se rapprocher du passé sans tomber dans la ringardise. « Le but du vintage, ce n'est pas de s'habiller des pieds à la tête comme dans les années 30 ou comme vos grands-parents, nous explique Liu Ke, mais de le mélanger avec le style actuel. »

Pour la gérante du Caravan Vintage, c'est quelque chose d'un peu fantaisie : « J'aime bien m'imaginer des histoires sur qui a porté ces habits, et puis il y a l'ambiance autour. Les habits vintage ont une âme que n'ont pas les habits des marques d'aujourd'hui. Ils portent la marque d'une époque. Dans les années 60, le style était plus décontracté, c'était l'époque des hippies. Dans les années 70, le style était carrément psychédélique. Dans les années 80, les épaulettes pour les vestes des femmes, les formes étaient très massives. Cela marque vraiment une époque différente », nous détaille-t-elle.

« Si vous arrivez à bien marier les habits vintage, ou ne serait-ce qu'un accessoire d'époque avec un look contemporain, ça peut faire des étincelles… », nous dit Liu Ke.

Contradiction ou non, le vintage est contemporain et est « à la mode » et ce, partout dans le monde. Malheureusement, pas de vêtements chinois vintage, puisque c'est seulement vers les années 80 que l'uniforme à col Mao a été abandonné. Alors, pour s'approvisionner, les gérants chinois des magasins de vintage n'ont pas d'autre moyen que d'aller eux-mêmes en Europe, en Amérique ou en Australie pour trouver la perle rare et faire les stocks du magasin.

« J'ai des amis qui font les brocantes en Angleterre et m'envoient leurs trouvailles. Je vais aussi aux États-Unis, dans les magasins de vintage ou dans les braderies pour trouver des choses. Parfois, je fais venir de la marchandise du Japon, de Thaïlande ou de Corée du Sud. » nous explique le gérant de Underground Vintage.

Pour Liu Ke, la mode vintage en Chine ne concerne pas les habits traditionnels chinois, ni le style dit « République de Chine » qui est lui aussi en vogue, mais diffère du vintage à proprement parler. « Le vintage, ce sont surtout des habits d'Europe, d'Amérique, d'Australie etc… et cela englobe la période des années 20 aux années 90. Les habits chinois ne sont pas compris dans cette catégorie », nous explique-t-elle en vraie professionnelle du domaine.

« Bien sûr, on n'a pas autant de clients qu'une chaîne de vêtement, mais on en a quand même pas mal. D'ailleurs, grâce à Internet, on vend beaucoup. Les gens qui n'ont pas l'occasion de venir dans notre magasin achètent sur notre compte Taobao ou Wechat », nous explique-t-elle.

Pratiquement tous les magasins de vintage de Beijing sont dotés d'un magasin en ligne ou d'un compte Weibo ou d'un magasin en ligne pour faire la promotion de leurs nouveaux arrivages. Alors, entre clients fidèles et e-clients, ils tirent bien leur épingle du jeu.

Certains, comme Liu Ke, louent même leurs collections à des équipes de tournage ou des compagnies de théâtre qui ont besoin de costumes « d'époque ».

« En Chine, on commence juste à découvrir mode. En Europe, au Japon et même en Thaïlande, cela fait déjà des années que les gens connaissent le vintage. Ici, ça ne fait que quelques années. Alors finalement, ça marche pas mal pour une mode assez jeune finalement », nous explique le gérant de Underground Vintage qui va bientôt ouvrir son magasin dans un local plus grand.

Et cette mode a également permis à d'anciens métiers de survivre : par exemple l'ancien cordonnier de Gulou Dongdajie qui s'est reconverti dans la confection de chaussures de style vintage sur-mesure. Chez lui, on trouve des Richelieu, des Derbys, des Stanleys, des chaussures de smoking noires en cuir lustré, des chaussures en peau de serpent, garanties « fait maison » et d'après votre pied. Fier de son métier : c'est l'un des seuls cordonniers faiseurs de chaussures de la capitale, il nous explique que la mode du vintage a considérablement augmenté sa clientèle, auparavant surtout réservé aux riches étrangers des ambassades à Beijing. « Les gens voient que même si mes chaussures coûtent plus cher que des chaussures de marque, elles sont aussi plus solides et personnalisées. Vous pouvez m'amener une paire de chaussures que vous aimez bien et je vous la ferai à votre taille. Je fais aussi beaucoup de chaussures vintage parce que les gens m'en demandent. Il n'y pas toujours la bonne pointure dans les magasins puisqu'ils ne vendent pas des chaussures faites en série, mais uniquement celles qu'ils trouvent. Donc je réalise les rêves des gens qui veulent avoir des chaussures à leur pointure et qui sont vintage. »

Et finalement, quoi de plus vintage que de finir cet après-midi de shopping-interview dans les vieux hutong de Beijing en allant vous reposer les jambes au Alba Café : style vintage et loft, vieilles tables en bois des années 30, fauteuils des années 50 tout en sirotant un Ginger Ale ou en buvant un bon café chaud en vous demandant en quelle année et où vous vous trouvez…

 

 

La Chine au présent

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