CHINAHOY

29-December-2014

Cui Baozhong : « L’art est toujours lié à la vie »

 

Cui Baozhong (au milieu en blanc) avec son collectif VIA.

 

Entretien sur l'art et le mélange des cultures avec Cui Baozhong, commissaire d'expositions et président du collectif VIA, une association regroupant des artistes chinois, français et autres, exerçant en France.

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Photos, vidéos, performances, installations ont conquis l'espace des galeries Area à Paris, du 10 septembre au 12 octobre. Ces réalisations ont également conquis les quelque 500 visiteurs qui avaient fait le déplacement pour découvrir l'exposition ERTNE, qui regroupait les œuvres contemporaines de dix jeunes artistes. Le point commun de ces derniers ? Originaires de Chine, ils sont depuis bien longtemps installés en France et évoluent ainsi entre deux cultures…

Une exposition biculturelle

« C'était un beau vernissage, avec un monde fou auquel je ne m'attendais pas », déclare Cui Baozhong, commissaire de l'exposition, qui nous a volontiers accordé une interview. Il revient sur la genèse de cet événement : « Les galeries Area publient un magazine intitulé Area revue. Prévoyant de composer un numéro spécial consacré aux artistes chinois en France, son rédacteur en chef Alin Avila a fait appel à mes services pour en stimuler la sortie, prévue en janvier prochain. »

Ce Chinois parfaitement bilingue a atterri en France en 2002, après avoir étudié le français à l'université du Yunnan. Quelques années plus tard, il a intégré la Sorbonne nouvelle, où sa passion pour l'art contemporain a grandi à mesure qu'il fréquentait de jeunes artistes. Toutefois, lui a pris une voie quelque peu différente : il se présente aujourd'hui comme un « créateur, critique et commissaire d'expositions ».

Lui-même immergé dans deux langues, deux cultures, deux mondes, il a bien conscience de la situation particulière qu'affrontent ces artistes chinois qui vivent depuis longtemps en France. Ils sont condamnés à se retrouver étrangers, à la fois en France et en Chine. « À travers l'exposition ERTNE, j'ai tenté d'évoquer la question du transculturel avec l'art. Je voulais voir si les artistes arrivaient à combiner leurs expériences ainsi qu'à dépasser les frontières des langues et des cultures, afin de trouver une voie propre à leur parcours », décrit Cui Baozhong.

Ainsi, en toute logique, les productions présentées renvoyaient aussi bien à la culture chinoise qu'à la culture française. « On ne distinguait pas au premier coup d'œil que ces œuvres étaient de facture chinoise, mais en y regardant de plus près, on découvrait des éléments ou des manières chinoises d'exprimer des idées. » Il donne l'exemple d'une œuvre fabriquée à partir de cheveux humains, enroulés et collés sur du papier pour former un disque, le tout introduit dans une boîte transparente. Dans la philosophie chinoise, les cheveux sont vus comme la partie impérissable du corps. Ainsi, de manière poétique, cette œuvre amène à une réflexion sur le cycle de la vie et la mort.

Sortir pour entrer

Le nom de l'exposition, ERTNE, n'est autre que le mot ENTRE à l'envers, en référence aux caractères chinois qui d'antan se lisaient de droite à gauche. L'affiche de l'exposition, quant à elle, représente une cage à oiseau, allusion aux vieillards qui promènent leur oiseau dans les parcs en Chine, mais aussi symbole d'enfermement. Cui Baozhong nous éclaire : « Cette œuvre, réalisée par une artiste chinoise à l'école des beaux-arts de Paris, s'intitule Une chambre à soi. Il ne s'agit pas d'une cage traditionnelle, car elle est ouverte : la partie centrale n'est pas composée de barreaux, mais d'élastiques. L'idée, c'est que tout le monde se met un peu dans une cage lui-même. Il s'agit d'un environnement confortable : on s'y sent protégé ; on dispose de tout le nécessaire de survie. D'ailleurs, certains oiseaux ne cherchent aucunement à s'enfuir quand on leur ouvre la porte. Pourtant, il faut sortir, découvrir un ailleurs et savoir se mettre à la place de l'autre pour comprendre sa culture. »

D'après ses observations, les artistes chinois qui se sont installés en France ont en effet quitté leur terre d'origine avec pour intention première de découvrir d'autres horizons, de poursuivre une recherche de soi et d'accéder à une « liberté de cœur », selon ses propres termes. « Ces artistes se sentent souvent un peu coincés dans leur école des beaux-arts en Chine. Puis, par l'intermédiaire d'amis, ils se retrouvent à émigrer en France. Mais à franchement parler, la plupart posent le pied dans ce pays sans en avoir une vraie idée. Ils savent simplement que la France possède une longue histoire de l'art et concentre nombre d'artistes. »

Vivre entre deux cultures est parfois difficile, mais Cui Baozhong considère néanmoins qu'il s'agit d'une chance indéniable pour ces artistes. « Les différences culturelles représentent une grande richesse pour la création. Elles permettent un regard croisé sur ce qui nous entoure, ainsi qu'une distance à l'égard des deux mondes. S'il n'y a plus de différence, il n'y a plus de distance… Il s'agit ensuite d'avancer avec un cœur ouvert pour accepter ce qui semble à l'opposé de ce que l'on connaît. Ainsi, dans l'art, on arrive à un schéma "1+1=3" : la création englobe les différences, mais crée en même temps quelque chose de nouveau, qui enrichit les deux cultures mises en jeu. »

Initiatives et projets

Cui Baozhong reconnaît s'intéresser davantage au processus de création qu'aux œuvres elles-mêmes. « Je travaille principalement avec des artistes jeunes, qui sont encore au stade de la recherche. Ils sont très dynamiques et créatifs, s'essaient à tous les supports, commente-t-il. Il est intéressant de voir comment l'artiste crée à partir de sa propre expérience. Leurs productions mettent en relief ce rapport entre l'art et le monde. En fait, l'art est toujours lié à la vie. »

À titre d'illustration, Cui Baozhong revient sur une courte exposition qu'il avait organisée à Lille. « Une association nous avait donné six jours pour préparer une exposition dans une salle de 200 m². Alors, j'avais proposé à des artistes : on va tous là-bas, on crée sur place et on monte une exposition ! » Neuf d'entre eux ont accepté de relever ce défi. Dans cet espace, ces hommes et femmes d'origines différentes travaillaient, mangeaient, dormaient en communauté. « Ils exposaient leur vie avant même d'exposer leurs œuvres ! commente Cui Baozhong. Un vrai moyen de se focaliser sur le processus de création. Cette belle leçon de vivre ensemble avait donné lieu à un partage, tant des conditions de vie que des pensées sur l'art. »

Dans cette visée du partage, Cui Baozhong a formé l'année dernière l'association VIA, qui réunit des jeunes artistes, chinois et français, tout juste diplômés pour la majorité. L'objectif est bien sûr d'attirer des financements pour aider ceux-ci à percer, mais surtout de permettre à des gens au parcours différent de se rencontrer, de discuter et de créer ensemble. Cui Baozhong précise : « Dans cette association, tout le monde est bénévole. L'adhésion est totalement gratuite et ouverte. Le but n'était pas de fonder une entreprise. » De nos jours, VIA rassemble une cinquantaine de membres.

Bien d'autres projets encore se bousculent dans l'emploi du temps de Cui Baozhong ! Il vient de mettre en place, en association avec l'Institut Ricci, une formation d'un an totalement libre et gratuite sur l'histoire de l'art, du Moyen-Âge jusqu aux temps modernes, à dessein d'aider les gens à mieux appréhender les divers courants artistiques. Entre-temps, il travaille sur un documentaire témoignant de la vie de dix artistes chinois en France, dans la continuité de l'exposition aux galeries Area. Et enfin, il prépare pour janvier une future exposition qui aura lieu à la mairie du Xe arrondissement parisien, ainsi qu'un « parcours de 30 lieux » (galeries, écoles, espaces…) dans la capitale, pour dévoiler encore et toujours les créations de jeunes talents chinois vivant dans l'Hexagone.

 

La Chine au présent

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