CHINAHOY

29-December-2014

Liang Shaoji : l’héritage culturel comme un fil de soie

 

Une des œuvres de Liang Shaoji.

 

À l'occasion d'une conférence de presse sur un évènement de promotion de la culture traditionnelle chinoise, nous avons eu la chance de rencontrer Liang Shaoji, un maître de l'art plastique de la soie. Petit, maigre, le cheveu gris, visiblement le temps a coulé sur son visage en y laissant une empreinte profonde. Il portait une paire de baskets noires, un pantalon un peu trop large et un manteau gris élimé aux poignets. Autant dire qu'il détonnait un peu au milieu des artistes contemporains tape-à-l'œil et des dandys autour de lui.

Vivant en ermite dans la montagne, il trouve pourtant moyen de se consacrer à la promotion de la culture traditionnelle chinoise et insiste sur la réflexion, l'exploration et l'innovation : donner sans cesse de nouvelles formes à l'art.

L'éternelle poursuite d'une nouvelle forme d'art

Liang Shaoji est né en 1945 à Shanghai. Il s'est spécialisé dès sa jeunesse dans l'art artisanal, puis il a commencé à explorer l'art de la fibre vers le milieu des années 70. Au début des années 80, après quelques voyages d'études à l'étranger, il a décidé de tenter l'innovation à tout prix en laissant tomber les formes d'art déjà existantes. Cette nouvelle forme d'art, il l'appelle la « sculpture souple ». Ses premières œuvres sont des pièces d'art abstrait statiques accrochées au mur et des œuvres d'installation et d'assemblage en fibre textile ou en bambou. Ces objets ont eu un certain succès d'estime dans les expositions d'art internationales. Mais Liang Shaoji n'était pas homme à se contenter d'engranger des louanges. Il a ensuite poursuivi ses recherches sur l'installation et l'assemblage, ainsi que sur la « sculpture naturelle ». Son but était de découvrir les propriétés et les caractères de chaque type de matière. De 1986 à 1989, Liang Shaoji a repris ses études au sein de l'Institut des beaux-Arts de Chine en entrant dans l'institut Maryn Varbanov, où ses recherches se portent sur la tapisserie d'art. C'est là qu'il a découvert que la soie pouvait servir de matière à la sculpture. Liang Shaoji nous confie que « ça a été une vraie chance pour moi de rencontrer mon professeur Maryn Varbanov et de pouvoir apprendre auprès de lui pendant quatre ans. C'est ce qui a renforcé ma détermination. » Présentées dans des expositions d'art dans le monde entier, ses œuvres ont fini par devenir des représentantes de la Chine moderne, et elles ont montré à l'étranger une face nouvelle de l'art contemporain chinois.

Depuis quelques années, Liang Shaoji habite sur le mont Tiantai (Zhejiang). Il y élève des vers à soie et se concentre sur les arts plastiques. Concernant l'art de la soie et le travail des artistes, Liang Shaoji nous en livre une vision très personnelle : « Le fil de soie est mon instrument de mesure. C'est à l'aide de la soie que je mesure la valeur de la culture traditionnelle dans le contexte de la globalisation. Si mes créations artistiques sont réalisées en fil de soie, c'est parce que celui-ci se trouve à l'intersection de la sculpture, de l'art textile, de la performance, de l'installation, de l'assemblage et du multimédia. Dans l'histoire humaine, c'est l'innovation qui est la meilleure tradition. Mes œuvres répondent aux questions de la vie et du temps. L'artiste décode ce monde en proposant son interprétation de la nature et de la société. »

Nous lui demandons pourquoi il habite dans les montagnes. Liang Shaoji s'explique : « Je recherche la tranquillité d'esprit et le calme pour mes pensées. Je m'efforce de retourner vers nos racines et j'essaye de m'apaiser par la méditation. Dans les villes modernes, on est facilement usé. Il me faut garder une certaine distance avec Wechat, l'e-mail et Internet. Bien sûr, ce sont des innovations techniques et sociales, et j'aimerais les intégrer dans mes créations. Néanmoins, dans ma vie personnelle, j'essaie de rester en retrait pour ne pas être consumé par trop d'informations. »

 

Liang Shaoji. (PHOTOS FOURNIES PAR RTG)

 

Réflexion philosophique sur l'art

En Chine, le bouddhisme et le taoïsme trouvent tous deux leur origine au mont Tiantai. En tant qu'ermite dans cette même montagne, Liang Shaoji traduit ses réflexions sur la philosophie et sur la religion dans ses œuvres artistiques. « En Chine, le bouddhisme présente quatre branches principales : l'école ésotérique, l'école Chan, l'école Huayan et l'école de Tiantai. Sous les dynasties des Tang et des Song, la montagne de Tiantai était connue pour abriter plusieures centaines de monastères bouddhistes. De nos jours, on se rappelle que cette montagne était non seulement le foyer des fameux moines désinvoltes, mais aussi qu'elle a produit des artistes talentueux qui ont marqué l'histoire du pays, comme par exemple Xiang Rong et Wang Mo sous la dynastie des Tang, fondateurs d'une nouvelle technique de peinture de paysage, à l'encre pulvérisée. C'est le climat unique et les idées religieuses particulières de cette région qui ont permis de former ces artistes, et je ne peux comprendre ça qu'après avoir habité ici pendant un certain temps. Les ermites vivent ici loin des entraves de la vie quotidienne. Les montagnes protègent de leur ombre les monastères anciens et la culture traditionnelle. La culture traditionnelle est comme le vin, elle doit reposer et décanter lentement pour se bonifier », explique-t-il.

Ce type de création artistique en fil de soie est unique. « Je me pose les questions après observation, puis je répète sans cesse mes essais, c'est comme cela que je crée. Mon œuvre est toujours réalisée en plusieurs exemplaires. J'observe mes vers à soie au travers d'une réflexion philosophique et j'interprète ce monde à travers mes créations artistiques. Mon œuvre est un processus qui se prolonge dans le temps et dans l'espace. Je découvre sans cesse du nouveau et je prends plaisir à ce processus. Je cultive mon esprit pendant la création tout en me purifiant. En Chine, on dit que les vers ne cessent de filer la soie jusqu'à la fin de leur vie. Leur persévérance me touche et m'inspire. Dans mon esprit, le fil de soie matérialise l'infinité du temps et de l'espace. Il représente aussi la trace que laisseront ma vie et ma carrière artistique. Mes créations se renouvellent constamment, comme la nature qui se perpétue. »

Liang Shaoji a commencé en 1989 une série intitulée La Nature ayant pour thème la vie et le fil de soie pour matière. Les œuvres de cette série ne portent qu'un numéro et pas de titre. « Depuis 20 ans, je me consacre à la recherche et à l'observation des vers à soie : leur vie quotidienne, leur reproduction et leur évolution. Je cherche les règles selon lesquelles ils se déplacent sur le verre lisse ou sur le métal avec des taches. Mes œuvres sont un genre de sculpture de la soie et représentent l'éternel dynamisme du monde. Nous vivons actuellement une époque compliquée : on s'efforce de suivre le rythme rapide des changements et de s'adapter à la concurrence qui fait rage, tout en rêvant de retourner à la nature pour échapper au stress. La clairvoyance s'accroît de même que l'opiniâtreté irrationnelle. On déborde d'enthousiasme pour forcer et distordre notre nature, puis on souffre des confusions et des frustrations qui en découlent. Ce sont ces émotions et mes réflexions sur celles-ci que j'essaie d'exprimer dans ma série La Nature.»

Se dévouer pour la transmission culturelle

« La tradition est un état d'esprit, un angle depuis lequel on peut observer ce monde. La création est la tradition humaine la plus précieuse. Digérer d'abord la tradition, l'intégrer à notre pensée et puis créer, en transmettant la tradition, c'est aussi naturel que d'inspirer puis d'expirer. C'est le seul moyen de donner vie à la création » Tel est le regard de Liang Shaoji sur la création artistique. « L'innovation que propose l'art du tissage dans un nouveau contexte, c'est de combiner la vie moderne, les nouvelles revendications du peuple, avec le progrès technique et avec l'innovation des matières. En plus de la longueur et de la largeur du tissu, la sculpture en soie ajoute une autre dimension, qui est celle de la vie. »

Liang Shaoji partage avec nous ses points de vue sur la transmission culturelle. « Comme le vin et le thé, la tradition mérite une dégustation. Avant de transmettre et d'innover dans la tradition culturelle, il nous faut faire un bilan de ses qualités et de ses défauts et trouver ce qui peut et doit être amélioré. Un simple copier-coller n'est pas une vraie transmission culturelle. »

Les Occidentaux ont besoin d'une certaine connaissance de la culture traditionnelle chinoise pour bien comprendre les œuvres de Liang Shaoji. Par exemple, dans la poésie chinoise, le fil de soie, le bambou, la bougie et le nuage symbolisent, chacun à sa manière, une vie courte et mélancolique. Les vers à soie représentent l'esprit de dévouement, l'effort inlassable et l'assiduité au travail. Liang Shaoji utilise la signification des vers à soie comme une métaphore dans ses œuvres qui cherchent à apaiser la violence, la férocité et la tristesse dans la vie. En 2014, une exposition des œuvres de Liang Shaoji a été organisée à Shanghai. Une exposition intitulée Yuan, c'est à dire « le début »…

 

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