CHINAHOY

1-July-2014

Un « François » à Tianjin

 

François de la Chevalerie.

 

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Dès 1860, Tianjin a été divisée en concessions, et des étrangers sont venus s'y installer. Aujourd'hui, bien que Tianjin ait été libérée du joug occidental, demeure dans cette ville une communauté française d'une centaine d'âmes. Nous avons contacté l'un de ses plus actifs représentants, François de la Chevalerie, un entrepreneur passionné d'histoire, d'écologie et bien sûr, d'aventures !

La Chine au présent : Pouvez-vous revenir sur votre histoire avec la Chine, et en particulier avec Tianjin ?

François de la Chevalerie : Au début des années 2000, la France a lancé le programme « 150 architectes et urbanistes chinois en France », lequel se présentait sous la forme de bourses octroyées à des cadres chinois, le plus souvent issus de bureaux de l'urbanisme de leur ville respective ou de zones de développement.

C'est à ce titre que mon entreprise en France a accueilli une architecte urbaniste de la ville de Tianjin, qui travaillait alors à la zone de développement économique et technologique Tianjin (TEDA). Des relations d'amitié se sont naturellement nouées entre elle et le personnel de l'entreprise. J'ai ainsi été conduit à l'aider dans la rédaction de son rapport de stage. Toutefois, à l'époque, j'ignorais tout de ses fonctions exactes en Chine. Pas davantage n'avais-je l'intention de me rendre dans ce pays.

Un an après son retour sur sa terre natale, elle m'adresse un message, me suggérant de venir en Chine pour y fonder une entreprise avec son mari. Après six mois de réflexion, je m'y rends.

Je mesure alors l'importance de ses fonctions. En sa qualité d'ingénieur général, elle est en charge de l'aménagement de TEDA West. Je note aussi qu'elle est un membre influent du réseau opérant dans l'arrondissement Tanggu. Elle m'ouvre de nombreuses portes.

Six mois après, nous créons ensemble Paneurochina, une société spécialisée dans l'aménagement urbain, et China Messengers, dédiée à l'environnement.

La Chine au présent : Pourquoi ce coup de cœur pour Tianjin ?

François de la Chevalerie : Tianjin a été ma première ville d'accueil, le lieu de mes premières amitiés en Chine, de mes premières émotions. D'une certaine manière, j'ai fait souche à Tianjin.

De surcroît, Tianjin est une ville agréable, notamment le quartier des anciennes concessions et les abords du fleuve Haihe. Les promenades à pied y sont plaisantes, si toutefois ne s'y mêlait pas, de manière croissante, la pollution.

En outre, la population de Tianjin est amicale et chaleureuse. Depuis dix ans, j'y maintiens de solides amitiés jamais démenties.

La Chine au présent : Vous avez écrit un célèbre article sur la présence française à Tianjin dans les années 1920. Quelle est la genèse de ce texte ?

François de la Chevalerie : Dès le début de mon séjour, je me suis intéressé à l'histoire de Tianjin. Très tôt, j'ai été saisi par l'extrême vitalité et l'esprit d'entreprise dont avait fait preuve la petite communauté française (150 personnes) établie à Tianjin dans les années 20, avec en toile de fond cette interrogation : comment se fait-il qu'une toute petite poignée de Français entre 1870 et 1937 eurent marqué à ce point l'essor de cette ville ?

D'entrée de jeu, je tiens à dire que je ne suis nullement un historien, donc mes commentaires sur Tianjin demeurent imprécis. Mais à travers mon blog, je souhaite partager mes connaissances sur cette ville aux expatriés francophones, comme à tous ceux qui sont appelés à s'y rendre temporairement ou qui portent un quelconque intérêt à son égard.

J'ai récupéré des éléments auprès de l'université de Nankai, qui dispose d'un service d'archives qui s'est ouvert peu à peu. J'ai aussi approché le Crédit Agricole, qui a hérité des archives de la Banque d'Indochine, lesquelles rendent compte du dynamisme de la communauté française au début du XXe siècle. Les informations sont à rechercher partout.

La Chine au présent : D'après vous, quelles sont les constructions les plus emblématiques de l'histoire de Tianjin ?

François de la Chevalerie : De loin, la plus emblématique est l'hôtel Astor sur le Haihe, puisque, sauf à me tromper, il constituait le premier hôtel occidental de la Chine du Nord. Lieu d'intrigues et de rencontres, cet hôtel est un symbole de l'histoire des concessions. Lors de la restauration du bâtiment en 2008, la partie arrière a été conservée en l'état. Un charmant petit musée a été installé en sous-sol.

De même, j'ai une affection particulière pour le pont Jiefang (pont de la Libération), toujours embouteillé, qui témoigne de l'apogée de Tianjin en 1928.

La Chine au présent : Vous avez établi diverses entreprises à Tianjin. Pouvez-vous nous en parler ? Est-ce difficile en tant qu'étranger d'ouvrir une entreprise à Tianjin ?

François de la Chevalerie : À Tianjin, je gère une entreprise de valorisation et de traitement des sédiments, dénommée Paneurochina-Sedigate. En bref, nous recueillons la vase qui engorge ports, estuaires ou barrages, puis nous la recyclons en matériaux de construction (produits pelletables, remblaiements de routes, bordures de trottoir, parpaings, etc.). J'ai également co-fondé la joint-venture China Messengers, désormais dénommée Zhong Ou Lu, laquelle aide des entreprises disposant de savoir-faire ou de technologies à valeur environnementale à se lancer sur le marché chinois, notamment, auprès de villes de taille moyenne dans les provinces du Hebei, Hunan et Guangdong.

Comme pour toute activité en Chine, il importe prioritairement d'intégrer peu ou prou un réseau local, le fameux guanxi, et de passer beaucoup de temps à sociabiliser avec les responsables locaux, afin de faciliter l'installation de la société, la marche des affaires, les autorisations (autorisations de mise sur le marché notamment)... Cependant, dans notre cas, notre partenaire étant établi sur place, le développement de l'entreprise a sans doute été plus aisé qu'ailleurs.

À Tianjin, la principale difficulté réside dans l'absence de notation des sociétés locales : il est ainsi souvent délicat de mesurer leurs réelles compétences. Par ailleurs, un autre problème, nullement local cette fois-ci : les tiraillements entre comptabilité chinoise et occidentale.

La Chine au présent : Vous avez de nombreux autres projets aujourd'hui. Pouvez-vous nous les décrire ?

François de la Chevalerie : Dans le cadre d'un partenariat avec la China Dredge Company (premier opérateur dans le secteur du dragage en Chine), Paneurochina, s'est développée, notamment au Fujian et au Zhejiang. Dans ces provinces favorisées par l'existence d'un plateau continental de faible hauteur et déclinant lentement, de nombreux projets de « conquête de terrains sur la mer » ont été menés. Notre travail consiste à traiter les sédiments afin de les rendre utiles et mobilisables pour la consolidation de ces nouvelles terres.

Disposant de brevets en chimie, je me suis aussi intéressé, même passionné, à la problématique de l'amiante, matériau toujours autorisé en Chine. Mais sans succès : ma voix n'a pas porté suffisamment pour mettre fin à l'emploi de l'amiante chrysolite, produit très nocif que l'on retrouve par exemple dans près de 40 % de bâtiments à Beijing.

Par ailleurs, partenaire d'une société spécialisée dans les économies d'énergie, j'interviens depuis un an auprès de municipalités de second ordre, mais aussi auprès de l'arrondissement Chaoyang à Beijing, afin de mettre en place des programmes d'économies d'énergie. Ces derniers devraient permettre, entre autres, de diminuer le recours au charbon.

La Chine au présent : Selon vous, quelles industries ont le plus d'avenir à Tianjin ?

François de la Chevalerie : Ce qui retient aujourd'hui mon attention, c'est l'effrayante pollution qui sévit en Chine : pollution de l'air, empoisonnement des sols, contamination de la chaîne alimentaire.

À Tianjin, je suis frappé par la multiplication des cas de cancer relevés à des âges peu avancés, parmi des personnes proches. Dans cette ville, le cancer de la plèvre serait cinq fois supérieur à celui prévalant en Europe.

Ainsi, à Tianjin, je pense que les entreprises innovantes dans le domaine environnemental seront bien accueillies.

PHOTO FOURNIE PAR FRANÇOIS DE LA CHEVALERIE

 

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