CHINAHOY

29-August-2014

La ferme joyeuse

 

Cet été près de la colline du Phénix, une maman et son enfant s'amusent dans leur potager avec le petit chien adopté par la ferme. (CFP)

 

SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de la rédaction

Il y a quelques années, un jeu vidéo consistant à s'occuper d'une ferme et voler les légumes des autres pour gagner des points : La Ferme joyeuse était au cœur de la vie et des discussions des Chinois, jeunes ou moins jeunes. Aujourd'hui, beaucoup d'entre eux possèdent leur vraie Ferme joyeuse.

Une ferme à soi

La Ferme joyeuse avait tellement plu aux Chinois que certains se levaient exprès la nuit pour ramasser leur légumes et voler ceux des autres pendant que les autres joueurs dormaient... Aujourd'hui, c'est samedi, jour de congé. Yan Zhen, part pour sa terre dans la périphérie de Beijing. Son terrain ? Plutôt sa location : elle loue une parcelle 800 yuans par an dans la Ferme joyeuse dans la banlieue ouest de Beijing, le tout fait 15 m². « Il faut distinguer plusieurs types de fermes, me fait remarquer Yan Zhen. On trouve des fermes où l'on peut louer une parcelle, l'entretenir soi-même. L'engrais, les outils et les graines pour les plantations sont fournis en échange d'une caution. Si l'on n'a pas la main verte, on peut payer un agriculteur qui s'en occupe ; le locataire ne s'occupe alors que de ramasser les légumes et passer du temps à la campagne avec sa famille et ses amis le week-end ou pendant les vacances. » D'autres fermes sont uniquement ouvertes à la cueillette. Cela signifie que l'on n'a pas besoin de louer une parcelle, il suffit d'amener son panier et de cueillir les légumes ou les fruits dont on a envie après avoir payé un forfait.

Il n'est donc pas question d'être propriétaire du terrain, mais juste locataire. C'est en cela que ces jardins ressemblent aux jardins ouvriers que l'on trouve en France. Le droit de propriété est au paysan ; la location payée revient à un droit d'exploitation. Suivant les fermes locatives, on trouve soit une parcelle simple, soit une parcelle et une maison, voire dans certains cas une serre. Il est donc possible de passer le week-end entier en famille là-bas.

Inquiétudes sur la sécurité alimentaire

Planter soi-même des légumes et venir les récolter à 20 km du centre-ville peut paraître un peu incompréhensible quand on sait le nombre de petits marchés et de supermarchés présents dans les villes chinoises... « Je pense que c'est parce que depuis quelques années, les problèmes de sécurité alimentaire inquiètent les Chinois. Alors avoir l'assurance de planter soi-même ses légumes, de les voir pousser, avec ou sans engrais, de les ramasser deses propres mains est un gage de sécurité dans l'assiette », m'explique Yan Zhen.

La sécurité alimentaire est un vrai problème en Chine et de plus en plus de gens se tournent vers les produits dits biologiques. Les rayons consacrés à ce type de produits s'agrandissent dans les supermarchés.

En tant que phénomène de société, la location de terrain agricole s'est étendue à travers toute la Chine et a concquis un public surtout citadin, les gens habitant à la campagne ayant déjà pour la plupart leur potager. Parmi ces citadins qui se rapprochent de la nature, il y a ceux qui veulent faire l'expérience de la campagne et manger sain, les citadins issus des campagnes et qui veulent se remettre au vert, ou encore ceux qui veulent enseigner à leur élèves le travail agricole et le plaisir de récolter ce que l'on a semé. De nombreuses écoles ont également leur parcelle et vont l'entretenir régulièrement avec les élèves pour leur apprendre le travail de la terre. « Nous au départ, c'était pour notre enfant qu'on avait pris la parcelle. Comme ça il pouvait aller planter des légumes avec nous, faire un peu l'expérience de la campagne. Maintenant qu'il a dix ans, il n'y va plus, mais nous, on y va toujours. ça nous fait passer le temps et ça nous fait plaisir de manger des légumes frais qu'on a plantés de nos petites mains ! » ajoute en riant Yan Zhen.

Les personnes âgées qui louent un terrain partent souvent de l'expérience d'une époque où les légumes n'étaient pas traités et où la nourriture était saine. Ils sentent que la qualité des aliments baisse. Peu occupés, ceux-ci trouvent en cette ferme un moyen de se rendre utile à la communauté en participant à l'approvisionnement de la maison. Certains se mettent au jardinage parce que leur fille est enceinte et ont peur des dangers que pourraient engendrer certains aliments sur la santé de la mère et de l'enfant. Les terrains de la petite ferme s'arrachent littéralement : « comme on loue de mars à novembre nos parcelles non protégées par une serre, on doit renouveler le bail chaque année. Le 1er décembre est le jour du renouvellement des bails. Pour les gens qui veulent obtenir une parcelle c'est très difficile parce qu'elles sont en nombre limité et il y a toujours la queue. »

Une mission éducative

Actuellement, Petit Âne est l'une des seules fermes à avoir inclus dans son fonctionnement à la fois la location et la vente directe. Chaque mois, la ferme organise une sorte de marché dans la ville pour présentrer les produits et faire de la sensibilisation à la nourriture saine. L'éducation au travail agricole et à la nature fait aussi partie de la mission de la ferme, a fait remarquer le directeur dans une interview donnée à la Beijing TV. Pour cela, des activités y sont régulièrement organisées.

Ce phénomène de société touche nombre de citadins. Le directeur de la ferme Petit Âne, une ferme collective, décline le profil des personnes qui viennent louer : « La première catégorie, ce sont les retraités : ils ont du temps libre, ça les sort, ils ont été envoyés aux champs à l'époque de la Révolution culturelle et en gardent une certaine nostalgie. Ensuite, ce sont les parents qui veulent éduquer leurs enfants. La troisième, ce sont les cadres sans enfants qui voient cette activité comme un loisir à la mode. »

Les fermes locatives organisent régulièrement des évènements pour les enfants qui viennent avec leurs parents à la ferme. « Suivant les saisons, on leur apprend à semer, à planter, on leur fait arroser les cultures, on leur explique le fonctionnement des plantes. On fait de la sensibilisation à la protection de la nature. Des activités comme le dessin ou des balades en poney sont aussi organisées pour les enfants », développe le directeur.

Un moyen d'équilibrer les relations sociales

La location payée par Yan Zhen revient au propriétaire du terrain, un agriculteur chinois. Celui-ci ne peut que se réjouir de « l'exode urbain hebdomadaire » des Pékinois vers chez lui, car la location qu'il reçoit est bien plus importante que le revenu que lui rapporterait son champ s'il le cultivait lui-même. « Avant, le revenu de ce champ était seulement de 1 000 à 2 000 yuans par an. Maintenant, je le loue 6 000 yuans par an : je fais le même travail, mais je suis payé plus ! »

En périphérie des grandes villes, ce genre d'exploitation a réussi le pari de changer les relations entre villes et campagnes, en faisant sortir les citadins de la ville pour les faire venir travailler à la campagne. La location des terres a permis non seulement d'élever le salaire des agriculteurs locaux, mais aussi d'enrayer le problème de la surproduction agricole. En effet, lorsqu'un agriculteur produit, il est souvent enchaîné à sa récolte : si celle-ci n'est pas bonne, pas de revenus ; si celles-ci sont trop bonnes, le prix des denrées baissent. C'est une lame à double tranchant que possède la faucille. Le fait que les citadins louent les terrains pour planter ou tout simplement s'approvisionner directement redonne de la liberté aux paysans, tout en leur permettant d'améliorer leur qualité de vie. « Les relations entre urbains et ruraux, changent également. Ces fermes ne sont pas uniquement un moyen de se nourrir, mais aussi un moyen d'équilibrer les relations entre différentes catégories sociales. Ne dit-on pas en Chine qu'il ne faut pas oublier celui qui puise l'eau que l'on boit », me fait remarquer Yan Zhen.

Les Chinois ont donc trouvé comment allier le « Do It Yourself » et le Manger sain. En même temps qu'elle permet d'être sûr de ce que l'on mange, la ferme locative donne l'occasion aux retraités chinois de se rendre utiles auprès de leur famille. Elle permet d'éduquer les jeunes Chinois à la protection de l'environnement et à la nourriture saine. Elle permet aussi aux citadins de vivre plus proches de la nature et aux agriculteurs de vivre plus aisément, tout en garantissant la qualité de leur production et la stabilité de leur exploitation. Voilà de quoi rendre tout le monde heureux. Elles méritent donc bien leur nom de « Ferme joyeuse ». Et maintenant, je retourne voler deux trois aubergines, il faut encore que j'accumule des points pour pouvoir acheter un paquet d'engrais !

 

La Chine au présent

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