CHINAHOY

29-August-2014

Nicolas Godelet : l'architecte belge au service du peuple chinois

 

Nicolas Godelet.

 

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Rencontre avec un architecte belge installé à Beijing depuis 12 ans, pour discuter avec lui des différences entre la Chine et l'Europe dans son domaine, de son parcours ainsi que de ses projets en cours.

C'est dans le quartier de Xisi, derrière une porte noire massive, que se cache Nicolas Godelet, architecte belge qui a fondé à Beijing sa société, nommée Gejianzhu (ge pour « Godelet », jianzhu pour « architecture »). Passé le seuil, nous pénétrons dans un lieu charmant : un siheyuan (maison traditionnelle chinoise à cour carrée) de 500 m² totalement réaménagé par les soins du professionnel et de son équipe, où hommes, plantes et même insectes vivent en harmonie dans un havre de tranquillité. Difficile d'apercevoir au premier coup d'œil qu'il s'agit en fait d'un espace de travail, où chaque jour jaillissent des idées nouvelles. Un avant-goût des miracles dont est capable Gejianzhu...

De grands tableaux décorant les murs en disent plus encore sur les projets dessinés par son bureau. Parmi eux, citons la conception environnementale et architecturale de la zone de transition entre les anciens et nouveaux quartiers de Pingyao (ville antique du Shanxi inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco), la conception technique de la structure métallique soutenant la galerie d'entrée sous l'eau du Grand Théâtre national de Chine (architecte P. Andreu et ADPI), l'étude historique de la planification des « pyramides chinoises » vieilles d'un millénaire construites à Yinchuan (Ningxia) selon l'organisation du système stellaire, l'aménagement des nouveaux locaux de l'Institut français qui a rouvert ses portes en juin dernier, la rénovation de l'ancienne métallurgie de Shougang, la construction d'un pont haubané de 1 300 m sur l'avenue Chang'an pour relier Mentougou à Beijing... « Pour moi, c'est important de réaliser des projets variés », commente-il.

Toutefois, une question légitime se pose : comment se fait-il que des clients chinois aillent chercher cet architecte belge ? Pour y répondre, faisons donc un petit retour en arrière...

Un parcours des plus complets

Né en Suisse de parents belges, Nicolas Godelet a grandi dans un petit village proche de Namur. « Le sud de la Belgique recèle de vallées, carrières de pierre, lacs, rivières, forêts... Un vrai coin de nature ! Y sont construits aussi de nombreux châteaux et ponts. C'est vraiment un pays de pierres, décrit-il. C'est parce que je suis né dans cet environnement-là que j'ai étudié l'architecture et je m'en inspire. » Pendant sept ans, il étudiera donc l'architecture et l'ingénierie à Louvain-la-Neuve.

Avant cela, dès 15 ans, il entame une vie de baroudeur, voyageant en Afrique du Nord, en Espagne, en Laponie et en Inde, traversant l'Himalaya puis le Pamir au départ de Beijing. Ainsi, « en quête de grands espaces », il se passionne pour l'Asie. « En traversant la Chine à cette époque-là, j'ai trouvé que l'Orient était intellectuellement intéressant. Ce qui m'a surpris, c'est de ne pas avoir vu ce que je m'attendais à découvrir. » À cette période, il entreprend une autre épopée : l'apprentissage du chinois, en cours du soir pendant cinq ans, avec pour sujet de prédilection les jiaguwen (inscriptions sur carapaces de tortue et os d'animaux), une des premières formes de l'écriture chinoise.

En 2000, il entend parler de la préparation des Jeux Olympiques à Beijing, une occasion en or en tant qu'architecte. Suite à l'obtention de son diplôme et après un projet européen focalisé sur l'architecture durable, il décroche une bourse du gouvernement chinois pour venir apprendre le mandarin de manière intensive pendant une année à Beijing. En parallèle, il étudie l'architecture chinoise.

Une formation double en Belgique, une expérience dans les nouvelles énergies, une connaissance du chinois et la motivation de s'imprégner des éléments culturels locaux : Nicolas partait avec de nombreuses cartes gagnantes dans son jeu ! Mais ce qu'il se destinait à construire, ce n'étaient pas des châteaux de cartes...

 

Un projet de Nicolas Godelet pour la cité historique de Pingyao dans le Shanxi. (PHOTO FOURNIE PAR NICOLAS GODELET)

 

Différences de conception de l'espace entre la Chine et l'Europe

« J'ai continué à chercher dans les jiaguwen les liens avec l'architecture, ce qui m'a permis de comprendre un peu les bases de l'espace chinois, en comparaison avec ce qu'on observe en Europe. » Nicolas prend l'exemple de beth, le B en phénicien (ancêtre de notre alphabet latin) qui signifie « maison ». Cette lettre ressemble à un deux-pièce muni d'une porte, d'après une vue en plan. Dans l'écriture chinoise, l'ancienne graphie de 家 représente un toit. Tandis que le phénicien met l'accent sur la gravité, la maçonnerie empilée ; le chinois met l'emphase sur les structures en bois, élevant la toiture au premier plan. Les exemples sont nombreux. « Comprendre comment les gens pensaient l'espace il y a 5 000 ans me permet de créer une architecture contemporaine en respectant les principes chinois d'origine, sans pour autant faire de l'architecture verna- culaire. »

Toutefois, pas nécessaire de plonger la tête dans les bouquins pour se rendre compte que l'architecture et le planning urbain diffèrent complètement entre la Chine et l'Europe. « Un siheyuan est ouvert sur un intérieur, à l'abri des regards extérieurs. La rue est perçue comme un espace de service uniquement, aléatoirement occupé les soirs d'été. Alors qu'en Europe, à l'inverse, c'est la rue qui est l'espace commun, l'espace de démonstration. Nous avons cette culture de la façade, du balcon... » analyse Nicolas. Des visions originelles différentes qui rendent impossible ou aberrante la transformation d'une ville chinoise en une ville européenne.

« Dans les années 50, par sympathie politique, la Chine a emprunté le modèle de développement urbain de l'URSS, ouvrant de grandes avenues et adoptant un système de construction soviétique standardisé. » Ainsi, d'immenses blocs urbains de 500 x 500 m ont été créés, un peu comme dans l'ouest des États-Unis, un agencement qui plus tard a convenu, avec l'arrivée de la voiture.

Aujourd'hui, à l'heure où une grande partie des Occidentaux se désolent de la destruction d'anciennes bâtisses traditionnelles et de l'apparition de gratte-ciel titanesques, Nicolas pense autrement : « Les touristes sont heureux de voir les vieux siheyuan, qui leur rappellent la belle époque. Mais on ne peut pas regarder ces quartiers de siheyuan comme des zoos historiques. » Lui-même ayant vécu dans une vieille maison sans étage dans l'arrondissement Xuanwu quand il était plus jeune, Nicolas a bien conscience de la rudesse des conditions de vie : petite pièce, mauvaise isolation, toilettes à l'extérieur où règne une odeur nauséabonde... Pour, lui, ce n'est pas sain de vivre dans un tel environnement : il est préférable de rénover, reconstruire et de reloger si possible les habitants dans leur propre quartier. Simplement, il convient de formuler de bons projets d'architecture et de planning urbain, qui harmonisent considérations fonctionnelles et esthétiques. Tout est question d'équilibre.

Des constructions ancrées dans leur lieu et leur temps

« Au bureau, je ne laisse pas mes collègues lire des magazines d'architecture, parce qu'ils n'exposent que des perspectives et des produits finis. Il ne faut surtout pas copier d'images d'architecture, mais plutôt comprendre la conception. Il est important de créer par rapport aux conditions locales, explique Nicolas. Un architecte est censé être au service d'une société. Il ne peut pas se permettre de demander à des gens de vivre dans une "sculpture" extravagante qu'il s'est fait plaisir à imaginer. »

Ainsi, il insiste sur le fait qu'un projet doit toujours être contemporain et local. Tout doit s'intégrer naturellement dans le paysage naturel ou urbain, sans suivre un « style architectural » quelconque – qu'il assimile à une prison pour un architecte –, il privilégie les espèces végétales et les matériaux locaux, selon une approche durable. « Tu dois tout prendre en compte : la culture locale, le climat, la direction du vent, l'orientation, les plantes de la région, les roches locales, un programme, un budget… » Ainsi, à chaque lieu différent, un projet unique !

Nicolas aime relever des défis, choisissant des projets qui posent des questions pertinentes. De fait, Gejianzhu réfléchit aussi bien à des travaux d'architecture, de paysages, de planning, de génie civil ou de design intérieur, une aubaine pour les 20 employés, qui ont ainsi l'opportunité d'élargir leurs compétences. « Notre agence met la priorité sur une méthodologie multidisciplinaire, le multiculturel (cinq nationalités différentes), la précision du travail et l'accompagnement du client jusqu'à la réception du projet (à travers un suivi sur le chantier). » Ce bureau a donc fait le choix de la qualité plutôt que de la quantité.

Projet d'extension de la capitale vers l'ouest

Quand nous lui demandons de quel projet il est le plus fier parmi ceux déjà accomplis, Nicolas nous répond modestement : « On peut toujours mieux faire. L'idéal de l'architecture, il est toujours dans le futur, jamais dans le passé. »

Parlons donc de l'avenir. Depuis une décennie déjà, le gouvernement de Beijing songe à de grands travaux d'aménagement pour l'ouest de la capitale. « La Chine réfléchit à l'urbanisme à très long terme, beaucoup plus long qu'en Europe », affirme Nicolas. Avant d'ajouter : « Beijing s'étend, mais c'est quelque peu problématique, parce que la ville n'a pas assez de ressources pour faire vivre autant de monde, autant en termes d'eau, d'énergie, de nourriture, d'espace, de voies de circulation... Je ne suis pas tellement pour le déménagement des villages vers les villes. Ce qu'il faut, c'est améliorer la condition des campagnes pour que les villageois jouissent des mêmes avantages que les urbains et aient ainsi envie de rester dans leur campagne, auprès de leur famille. »

Néanmoins, il a été appelé à participer à l'expansion pékinoise à travers plusieurs travaux. Parmi eux, la rénovation de la partie nord de l'ancienne métallurgie de Shougang. Cette entreprise sidérurgique avait été contrainte de déplacer ses activités, trop polluantes, hors de Beijing avant le lancement des Jeux Olympiques de 2008. « Il s'agit d'un projet complexe qui va changer la ville, lance Nicolas, enthousiaste. C'est un 798 puissance 10 qui va sortir de terre ! C'est intéressant cette idée de rénovation, assez rare en Chine, mais aussi difficile : il faut arriver à faire vivre des gens dans un ancien site industriel. Le projet met l'accent sur la mixité des fonctions, clé du bon fonctionnement urbain. »

Il poursuit : « Toutes les fonctionnalités seront réunies dans un même endroit. Ce quartier mixte vivra tout le temps, car ce sera aussi bien un lieu de vie, de travail, de promenade, de loisirs, de commerce... » Plus concrètement, il prévoit de rénover les bords des réservoirs à proximité pour les rendre accessibles au public, de créer des lacs et de planter des espèces locales. La nuit, s'illumineront les grandes cheminées des hauts-fourneaux réaffectés, pour un décor des plus abracadabrantesques. Le transport sera assuré par un tramway, qui réempruntera un ancien rail autrefois destiné au convoi de minerais. Enfin, les anciens silos seront pour la plupart réaménagés en bureaux et ateliers. Pour magnifier le paysage, ces silos baigneront dans l'eau et seront accessibles par des voies de circulation suspendues à 30 m de haut.

« La question de l'environnement est obligatoire maintenant », souligne Nicolas. Pour ce projet par exemple, l'architecte prêtera attention à la réutilisation de l'acier, à la plantation d'espèces locales, à la reprise des eaux pluviales et aux techniques d'infiltration en sous-sol, au choix des matériaux utilisés ainsi qu'à la qualité thermique des bâtiments.

Nicolas rappelle tout de même que Shougang sera rénové en plusieurs phases et qu'il est loin d'être le seul à travailler sur ce projet. L'université Tsinghua a dessiné le planning général, tandis que le groupe anglais Series a également cogité sur les rénovations architecturales. La zone nord, dont Gejianzhu est chargé, devrait être terminée en deux ans. Cependant, nous vous y donnons rendez-vous dans 3 ans, le temps que la végétation se développe et que le cadre devienne particulièrement enchanteur.

 

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