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Jiang Qiong'er : la création d'un Hermès chinois
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Jiang Qiong'er, directrice générale et artistique de la marque de luxe Shang Xia, majoritairement détenue par Hermès. (CFP) |
Li Yuan, membre de la rédaction
En septembre 2013, Shang Xia, la marque chinoise de la maison française Hermès, a ouvert un magasin à Paris. Il s'agit du troisième dans le monde, après Shanghai et Beijing, et du premier hors de Chine.
Selon Jiang Qiong'er, PDG et directrice artistique de Shang Xia, malgré ses origines européennes, la marque a été créée en puisant dans la culture chinoise, avec des matériaux, un design et de l'artisanat chinois. Elle est d'ailleurs entièrement gérée par une équipe chinoise.
Pourquoi une maison comme Hermès a-t-elle voulu lancer une nouvelle marque en Chine ? Et qui est Jiang Qiong'er, le cerveau de Shang Xia ?
Une jeune femme passionnée de littérature et d'art
Son grand-père maternel, Jiang Xuanyi, a étudié en Occident et a fait découvrir à la Chine la peinture à l'huile. Son père, Xing Tonghe, a pris part à la construction du Palais des beaux-arts de Shanghai.
Dès l'enfance, Jiang a appris l'art auprès de grands maîtres. Après l'obtention de sa licence, elle est allée poursuivre ses études à Paris.
« À l'époque, je ne parlais pas français, explique-t-elle. À l'exception des arts, la France était pour moi un monde inconnu. » Jiang s'étonne encore de sa courageuse décision. « La France m'était alors tout à fait étrangère, mais ce sont justement ces éléments inconnus qui m'ont poussée à découvrir et à explorer. »
Ses études en France lui ont permis de faire une percée dans sa façon de saisir la création artistique, avec un mot d'ordre : il faut savoir tenir pleinement compte de ses propres émotions. « En France, on encourage toutes les formes de création, d'essai, d'exploration aucune idée n'est interdite. Dans la conception artistique, les techniques jouent un rôle très important. Mais après avoir revalorisé ses connaissances, on peut faire un meilleur usage des techniques à sa portée et les faire valoir pleinement dans la conception. » C'est en ces termes que Jiang décrit l'impact de ses études en France.
Durant son séjour en France, elle s'est efforcée de s'intégrer à la vie locale. Elle est ainsi parvenue à maîtriser le français et à nouer des contacts étroits. Quand son père est venu assister à la cérémonie de remise des diplômes, il a été surpris par l'arrivée de nombreuses personnalités. Même le président d'alors Jacques Chirac lui a envoyé un message de félicitations ! Plus tard, elle a servi d'interprète au couple Chirac durant leur visite à Shanghai.
Après son retour en Chine, Jiang a commencé à faire la navette entre les deux pays.
Elle a exposé ses peintures à l'huile et ses œuvres photographiques sous le titre « Nature de la lumière et Âme » au siège des Nations unies à Genève. Elle a aussi été la première dessinatrice chinoise conviée à participer au Salon du meuble de Paris. Les cultures chinoise et française se sont mélangées en elle. Elle y trouve son inspiration.
En 2006, Jiang a été invitée à concevoir les vitrines d'Hermès en Chine. Son esthétique combinant les cultures orientale et occidentale a retenu l'attention de la maison de luxe.
La naissance d'une nouvelle marque
Les géants du luxe sont engagés dans une concurrence féroce en Chine. En 2013, la consommation de produits de luxe des Chinois a atteint 102 milliards de dollars, soit environ la moitié du marché mondial. Dans son récent rapport d'enquête sur le marché chinois du luxe, McKinsey a affirmé que les ventes y représenteraient en 2015 une valeur de 180 milliards de dollars, dépassant le Japon.
Le luxe cherche à obtenir les faveurs du marché chinois.
Louis Vuitton a déjà ouvert une cinquantaine de magasins en Chine. Gucci a lancé pour les Jeux olympiques de 2008 une édition limitée de sets de mahjong, au prix de 3 150 dollars. Pour son défilé automne-hiver 2010, organisé à grand coût sur le Bund, Chanel a projeté le film Nocturne Paris-Shanghai réalisé par Karl Lagerfeld. Le film, centré sur le « rêve chinois » de Coco Chanel, présentait des scènes reprenant diverses périodes de l'histoire chinoise telles que la vie à la cour des Qing ou un dortoir durant la Révolution culturelle, le tout tourné avec des acteurs français. Tout cela pour séduire le public chinois.
Au contraire de ces marques, Hermès n'a jamais choisi de vedette comme égérie et n'a pas cherché à amadouer les consommateurs avec des produits conçus spécialement pour leur pays. Mais après plusieurs années de réflexion, Hermès a pris une décision qui allait sidérer ses concurrents : elle a embauché une Chinoise pour créer une marque de produits de luxe propre à la Chine. La concurrence a ainsi découvert une arme nouvelle sur le marché chinois.
Hermès tient toujours à la fabrication manuelle de ses produits. Jiang avait aussi commencé à encourager et renouveler l'artisanat en Chine. En 2008, elle est allée dans le district de Qingshen, au Sichuan, pour mener des recherches sur l'artisanat du bambou. En voyant des artisans locaux tresser un éléphant aussi haut qu'un homme, avec des fils de bambou très fins, elle s'est dit que c'était dommage que ces matériaux ne soient pas utilisés à des fins plus pratiques.
Jiang a donc eu l'idée de remettre l'artisanat traditionnel au service de la vie courante, en adoptant des méthodes de design modernes. Son projet a été approuvé par Patrick Thomas, PDG du groupe Hermès, et par le directeur artistique Pierre Dumas.
En 2008, Jiang a officiellement accepté de gérer la marque chinoise du groupe Hermès.
« Nous devions alors nommer notre marque. Monsieur Dumas a dessiné un cercle en disant que ''Notre globe est rond. Si la Chine est ici, la France est là, si l'artisanat traditionnel est en bas et les hautes technologies sont en haut, ce qui est en bas finira un jour par se trouver au sommet''. L'idée de Shang (en haut) Xia (en bas) m'est soudain venue, avec ces deux caractères chinois opposés », explique-t-elle.
La naissance de la marque Shang Xia témoigne de la volonté de la nouvelle génération de designers chinois de faire revivre la culture et l'artisanat traditionnels, tout en reflétant le désir d'une ancienne marque de produits de luxe de former un marché haut de gamme d'articles de consommation.
Une coopération entre le savoir-faire et la création
Jiang s'est efforcée de produire des articles d'usage courant haut de gamme, en associant l'essence de la culture plurimillénaire chinoise et l'usage des matériaux et de l'art raffiné d'Hermès. Au cours de ce processus, le travail le plus difficile a été de trouver les bons artisans.
Jiang se souvient que cela fut un processus prolongé et soutenu. « Les artisans d'aujourd'hui sont capables de produire des meubles de style Ming à l'identique, mais leurs idées sont rigides. Il est très difficile de les convaincre de produire une chaise en bois de santal rouge avec des courbes ergonomiques. Quant à nous, nous avons les idées, sans avoir le savoir-faire. Il faut donc unir les mains des artisans à la tête du designer. »
« Notre marque a deux atouts : la qualité des matières premières et la finesse de l'artisanat. Dans un coin du bureau, les deux sœurs mongoles Sara et Serijee travaillaient à la réalisation d'une robe en feutre. Avec une attention minutieuse, elles ne cessaient de pétrir, de tordre, de fouler et d'extraire la laine au rythme des sons des claviers d'ordinateurs dans la salle voisine. Lorsque j'ai essayé pour la première fois une robe de laine faite à la main comme celle-ci, j'ai été immédiatement ébranlée et profondément touchée », ajoute Jiang.
L'élaboration d'un produit de la marque Shang Xia prend beaucoup de temps, généralement plus d'un an. Selon Jiang, le temps de fabrication et l'âme dont sont imprégnés les objets de luxe sont deux des facteurs les plus importants. « Nous espérons faire revivre d'anciens procédés techniques. Cela est un défi pour les artisans. Dans la société actuelle, l'abondance matérielle saute aux yeux. Mais si vous désirez acquérir un objet du magasin Shang Xia, c'est que vous avez été touché. »
« Notre équipe a déjà créé des meubles en bois de santal rouge, des porcelaines fines, des services à thé blancs enveloppés de fils de bambou tressés et des robes en feutre sans couture », indique Jiang.
Le succès commercial au quatrième rang des priorités
En 2010, le premier magasin Shang Xia a ouvert ses portes au Hong Kong Plaza de Shanghai. Deux ans plus tard, le deuxième magasin a été inauguré au World Trade Center de Beijing. En 2013, un magasin Shang Xia s'est ouvert à Paris. Avec l'ouverture d'un magasin par an, Jiang est en train de réaliser son rêve de restaurer l'artisanat national.
« Nous n'avons pas fixé de date butoir pour l'ouverture opérationnelle des magasins, ni donné d'estimations de gains, mais les ventes sont satisfaisantes », affirme Patrick Thomas, PDG du groupe Hermès. « Je vois en Madame Jiang non seulement une conceptrice et une artiste remarquable, mais aussi une brillante femme d'affaires. »
« 60 % des acheteurs de nos produits sont Chinois et les 40 % restants sont répartis dans les pays occidentaux », révèle Jiang. Ils sont âgés de 20 à 80 ans. Presque tous les dirigeants de marques de luxe sont venus visiter un magasin Shang Xia. Pour eux, la naissance de notre magasin est un pavé dans la mare des produits de luxe, parce que c'est la première marque de ce genre en Orient. »
Certains ont dit que Shang Xia n'était qu'une marque secondaire d'Hermès. Mais Jiang estime plutôt qu'il s'agit d'un « Hermès chinois ». Shang Xia prise sa source dans l'artisanat cinq fois millénaire de la Chine. La marque veut atteindre la qualité et le prestige d'Hermès. Toutefois, elle n'en est qu'à ses premiers pas.
Selon Jiang, une marque mûre doit représenter une certaine envergure et une certaine dimension. Elle peut être présente dans les grandes et très grandes villes, et être reconnue par les consommateurs ordinaires. « Il faut encore compter cinq à dix ans pour que notre marque atteigne cet objectif », admet Jiang, qui espère un développement stable. « Nous avons un plan, mais il nous faut du temps », rappelle-t-elle.
Pour qu'une marque réussisse, Jiang pense que la difficulté cruciale est de maintenir ses idées originales. « Dans beaucoup de cas, il est possible que l'on fasse des compromis, de sorte que l'on s'éloigne de plus en plus des idées et de l'objectif originaux… Pour réussir, Shang Xia doit n'accorder que la quatrième place au succès commercial, après la transmission culturelle, l'influence sociale et la succession historique. »
En Chine, les changements survenus ces dernières années dans la consommation de produits de luxe donnent de l'espoir à Jiang. « Aujourd'hui, le développement économique et social a atteint un certain niveau en Chine. Ceux qui ont fait l'expérience des produits de luxe occidentaux commencent à revenir sur leurs propres assises culturelles et à rechercher un meilleur mode de vie. À mon avis, ceci est une tendance inéluctable. La vie est un cercle, lorsque l'on atteint un certain point, on prépare son retour », souligne-t-elle.
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