CHINAHOY

9-June-2014

Fang Yan, l'invincible « sorcier chinois »

 

Fang Yan donnant des consignes à ses joueuses. (PHOTO FOURNIE PAR FANG YAN)

 

LAURENT CASSAR, membre de la rédaction

Quel est l'entraîneur d'équipe sportive professionnelle le plus titré de France ? Ça peut paraître fou mais c'est un Chinois ! Présentation de Fang Yan, un homme humble et exigeant dont la collection de titres ne cesse de s'accroître.

Il est l'homme aux 43 trophées gagnés en 23 saisons. Un palmarès exceptionnel. Son club, le RC Cannes a remporté les 16 derniers championnats de France et les 12 dernières coupes de France. La domination de son équipe est tellement écrasante que la Ligue Nationale de Volley-Ball a décidé de changer les règles du championnat avec une finale se jouant désormais en un seul match, à Paris. Et il y a évidemment les deux victoires en Ligue des Champions (2002 et 2003), qui ont consacré le RC Cannes comme la meilleure équipe de volley-ball féminin d'Europe malgré un budget bien inférieur à certains clubs italiens, russes ou turcs. À la tête de cette invincible armada, il y a un Chinois installé depuis 24 ans en France : Fang Yan, surnommé « le sorcier chinois ».

Un parcours atypique

Fang Yan est né en 1955 à Beijing. Ayant un père passionné de sport, et aidé par sa grande taille, il se met à pratiquer le volley-ball et est repéré par l'équipe de Beijing où il jouera au plus haut niveau de 1972 à 1979. « Le sport m'a donné la possibilité d'orienter ma vie à l'époque de la Révolution culturelle, dit-il. Cette période a été très chargée en termes de travail. Mon objectif était d'être sélectionné en équipe nationale pour représenter mon pays. » Grâce à son talent et à force de travail, Fang Yan est appelé en sélection nationale de Chine, il touche à son rêve. Mais malheureusement le destin va lui jouer un bien vilain tour. Il contracte une hépatite et est forcé d'arrêter sa carrière peu après ses premières sélections en équipe de Chine. Après s'être rétabli et animé d'un sentiment de revanche, il prend en main la direction de la section féminine du club, de 1986 à 1990. Puis il reçoit une proposition qui va changer sa vie et le lier durablement à la France.

« J'ai eu un contact en France par un ami d'enfance qui était alors en poste à la Fédération française de Volley-Ball. Le club de Riom cherchait un entraîneur et je suis arrivé en France en 1990 », dit-il. Riom, petite ville auvergnate de 18 000 habitants, au nord de Clermont-Ferrand, sera son premier contact avec la France. « Ma première impression était celle d'un homme perdu, dit-il. Je ne parlais pas le français et de ce fait je ne pouvais pas communiquer avec mes joueuses, ce qui est évidemment très compliqué pour un entraîneur. J'ai dû travailler dur, entre les cours de français et les entraînements, pour pouvoir m'intégrer. J'ai perdu 15 kilos en 3 mois. Je ne suis presque pas sorti à l'extérieur. Il faut dire que les habitudes de vie sont radicalement différentes… » Malgré ça, il parvient à remporter la coupe de France dès sa première saison. Deux ans plus tard, il mène Riom à son premier titre de champion de France. Un véritable exploit pour un jeune entraîneur qui était encore en Chine il y a moins de 3 ans. Il est alors débauché par une ambitieuse femme d'affaire, Annie Courtade, qui avait récemment pris en main le club du Racing Club de Cannes. La suite est historique : 41 trophées gagnés (en attendant un titre de champion 2014 qui lui tend les bras) avec le club en 21 saisons. Les médias français l'ont surnommé « le sorcier chinois ».

Méthode chinoise

Quand on lui demande quel est son secret, il répond sobrement : « Je n'ai pas de secret, je travaille beaucoup et je m'attache à créer un groupe solide saison après saison ». Mais derrière cette phrase convenue se cache une « méthode chinoise », celle d'un entraîneur perfectionniste qui ne prend rien à la légère. Il en donnait un aperçu en 2005, dans un entretien donné au magazine L'Express : « Je suis dur car je ne supporte pas le moindre défaut. J'ai grandi sous le communisme et le parallèle entre le sport et l'armée est pour moi une évidence. Si un jour je décide de ne plus réprimander une fille après une faute, c'est qu'elle ne m'intéresse plus », disait-il. Néanmoins, si Fang Yan est un peu comme un général dirigeant une troupe d'élite, il est aussi un personnage très humain. « J'aime bien communiquer avec mes joueuses et attache de l'importance à tisser des liens avec elles. Mais c'est vrai que je suis quelqu'un d'exigeant. Je sais que parfois il faudrait que j'encourage un peu plus les filles. » Il faut dire que gérer un groupe de 19 joueuses de 11 nationalités différentes (pour la plupart sélectionnées en équipes nationales) aux caractères bien trempés n'est pas chose facile !

Et puis il y a les différences de mentalité entre les joueuses chinoises et les européennes. Fang Yan a pu l'observer et a visiblement su s'adapter à cela à merveille. « C'est très simple, dit-il. Au niveau du volley, les Chinoises ont l'habitude de tout prendre sur elles-mêmes et manquent par moment de personnalité. Les Européennes sont beaucoup plus expansives mais, du coup, il faut les canaliser ». Voilà aussi pourquoi il se doit d'être strict. Ses méthodes ont emmené ses joueuses sur le toit de l'Europe lors des deux victoires de Cannes en Ligue des Champions de 2002 et de 2003 contre, respectivement, les Italiennes de Bergame et les Russes d'Ekaterinbourg. Une consécration du travail de l'entraîneur chinois mais pas seulement. « Cela restera pour moi les plus grands moments de volley-ball, dit-il, surtout par rapport au fait que j'ai toujours gardé un peu de frustration à l'idée de ne pas avoir eu la possibilité de montrer mes talents en tant que joueur. Ces victoires ont eu pour moi un goût de revanche ». La finale européenne perdue en 2012 contre les Turques du Fenerbahçe Istanbul est la preuve que Fang Yan a encore faim de victoires.

Entre deux cultures

Fang Yan a aujourd'hui la double nationalité franco-chinoise. Quand on lui demande s'il se sent plus Chinois ou Français, il ne peut pas vraiment trancher : « Quand je suis en France, les gens me voient comme un Chinois, et quand je rentre en Chine, on me perçoit comme un Français. Cette situation peut paraitre amusante, mais j'ai un réel attachement pour ces deux pays ». Il rentre d'ailleurs à Beijing un ou deux mois tous les ans afin de retrouver sa famille et ses amis. En tant qu'enfant chinois des années 1950, il est aussi un témoin privilégié de l'évolution de son pays. « La Chine est évidemment un pays qui a subi énormément de changements sur beaucoup d'aspects, notamment sur les plans économique et social, dit-il. Le niveau de vie moyen s'est considérablement amélioré et il y a de réelles opportunités dans le travail, même si cette évolution engendre aussi des problèmes que nous connaissons depuis quelques temps en Occident. En tant qu'expatrié, je conserve de très bons souvenirs de mon pays et repense avec nostalgie à mes jeunes années ».

À l'heure où j'écris ces lignes, le RC Cannes vient de gagner la demi-finale du championnat contre l'équipe de la ville voisine du Cannet. Personne n'imagine que les filles de Fang Yan ne puissent pas gagner un 17e championnat consécutif et allonger encore le palmarès surréaliste du « sorcier chinois », l'entraîneur de sport collectif le plus titré de tous les temps en France !

 

La Chine au présent

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