CHINAHOY

18-July-2013

Le parcours cinématographique de Jia Zhangke

 
Jia Zhangke (CFP)
 

 

LU RUCAI, membre de la rédaction

 

Le 27 mai dernier, le réalisateur chinois Jia Zhangke a remporté le prix du meilleur scénario pour son film A Touch of Sin lors du 66e Festival de Cannes.

 

Septième long-métrage de fiction du prodige, A Touch of Sin pourrait s’intituler « Quelques histoires de la violence en Chine », puisqu’il relate des évènements sombres survenus à quatre personnes issues de régions différentes, tels qu’assassinat ou suicide. Fidèle au style de Jia Zhangke, qui se caractérise par un réalisme très accentué et une attention toute particulière accordée aux couches populaires, le film fait lumière sur les rêves, les difficultés et les efforts des travailleurs migrants, à l’heure de l’urbanisation.

« Après la sortie d’un tel film, qui traite sans détour des questions se posant dans la vie réelle, ce que j’attends avec impatience, ce sont les réactions du public de la partie continentale de la Chine, a déclaré le réalisateur. J’espère que celui-ci réfléchira aux éléments que nous avons négligés ou omis. »

 

Regarder la réalité en face

 

Que ce soit au niveau des rôles, des images ou de la musique, A Touch of Sin est le reflet parfait de la Chine contemporaine. Il est d’ailleurs aisé, dans la vie réelle, de retrouver ces personnages en chair et en os.

 

Jia Zhangke a avoué avec franchise que les microblogs ont largement influencé son scénario. « Je cours toujours après notre époque. Ces dernières années, j’ai commencé à prêter attention aux faits divers extrêmes qui se produisent dans la vie quotidienne, souvent fort inquiétants. Comment quelqu’un peut être soudain pris d’un accès de folie ? Les facteurs dramatiques qui se dissimulent derrière le sort de ces personnes me font penser aux films de cape et d’épée chinois (wuxiapian). J’ai alors décidé de tourner un film moderne en m’inspirant de ce genre. »

 

Certains ont estimé que les quatre récits dans le film possédaient très peu de liens entre eux, l’ensemble ressemblant ainsi plus à une collection de courts-métrages qu’à un long-métrage. À cette critique, Jia Zhangke répond : « À mes yeux, ce film ne conte qu’une seule histoire, dans laquelle évoluent quatre personnages. Un tournage qui se limite à une série fixée de personnes ne m’intéresse pas, car il me semble que nous vivons dans un monde où de multiples informations s’entrecroisent. »

 

Selon le réalisateur, A Touch of Sin marque un tournant dans le style de ses œuvres. Outre la comédie qu’il ne sait maîtriser, il se plaît à s’essayer à toute sorte de genre, allant du film de cape et d’épée au spectacle musical, en passant par le film d’arts martiaux. « Je voudrais que mes productions fassent preuve d’un esprit libre et poussent tout le monde à croire en la liberté. De plus, je voudrais que les histoires que j’expose stimulent sans cesse le progrès social », a-t-il exprimé.

 

Premiers pas

 

Jia Zhangke est né en 1970 à Fenyang, dans la province du Shanxi. Il a choisi au début la voie des beaux-arts, mais le film Terre jaune réalisé par Chen Kaige l’a tellement séduit qu’il s’est tourné vers le cinéma. Après avoir échoué deux fois aux examens d’entrée, il a enfin réussi à intégrer l’Institut de Cinéma de Beijing (Beijing Film Academy) en 1993.

 

Bien qu’il fût admis au département de littérature, et non à celui de la mise en scène, il n’a pas pour autant renoncé à l’art du tournage. Il a fondé un « groupe du film expérimental », pour poursuivre son rêve de devenir un jour réalisateur. En 1995, Jia Zhangke a créé son premier court-métrage, une petit œuvre de 57 minutes, mais qui lui a valu de rafler le Prix d’or du film de fiction lors du Hong Kong Independent Short Film & Video Awards en 1996. Cet honneur lui a donné l’occasion de produire son chef-d’œuvre Xiao Wu, artisan pickpocket en 1998.

 

En adoptant un style documentaire, le film Xiao Wu, artisan pickpocket s’intéresse au personnage de Xiao Wu, qui vit à Fenyang, la ville natale du réalisateur. S’aliénant successivement son meilleur ami, sa bien-aimée et ses proches, Xiao Wu est finalement perdu. À travers la vie réelle d’un individu insignifiant, le film décrit les inquiétudes et les sentiments troubles de toute une société. Très apprécié à l’étranger, Xiao Wu, artisan pickpocket a reçu huit prix au 48e Festival international du film de Berlin, élevant Jia Zhangke au rang de célébrité du jour au lendemain. La revue française Cahiers du cinéma avait inscrit en commentaire que ce film sortait de l’ordinaire, et marquait le redressement et la vigueur actuelle du cinéma chinois.

 

Jia Zhangke a par la suite réalisé d’autres longs-métrages, dont Platform, Plaisirs inconnus, et The World.. Les premiers films de Jia Zhangke, de Xiao Wu, artisan pickpocket à Plaisirs inconnus, restaient encore « underground », c’est-à-dire non projetés dans les salles obscures, pour diverses raisons telles que les thèmes litigieux, la négligence de l’aspect commercial et l’inadaptation au marché chinois. The World, tourné en 2004, est le premier film de Jia Zhangke qui ait été officiellement autorisé. Lors de la première, le réalisateur n’avait pu retenir ses larmes de joie.

 

S’en tenir à ses propres recherches artistiques

 

Président du jury au festival de Cannes en 2007, consacré « Meilleur réalisateur de la dernière décennie » lors du festival international du film de Toronto en 2010, président du jury Orizzonti à la Mostra de Venise en 2011... La réputation internationale de Jia Zhangke ne cesse de prendre de l’ampleur, mais sa compréhension de l’art cinématographique, ce qu’il recherche et ce qu’il veut exprimer, n’a pas changé.

 

À aucun moment ses films de fiction ne portent un jugement moral. Jia Zhangke préfère en effet donner aux spectateurs l’impression qu’ils visionnent un documentaire. Il se penche sur la vie de la population la plus marginalisée de la société, témoignant de la lutte pour survivre de ces petites gens et de leur avenir dans l’impasse. Il explique : « Au travers de mes films, je voudrais me soucier des hommes dans la rue, tout en respectant les mœurs et la morale de notre époque. Au moyen d’un rythme lent, je voudrais faire ressentir au public la joie comme la tristesse de chaque vie ordinaire. »

 

« Les producteurs se préoccupent trop de savoir si leurs films passeront avec succès ou non le contrôle du département de la censure, mais je voudrais rompre avec cette tradition. Je conçois mes films en écoutant uniquement la voie de mon cœur, a lancé Jia Zhangke. Je considère qu’un réalisateur doit s’en tenir à ses propres recherches artistiques et conserver ses propres caractéristiques. »

 

 

La Chine au présent

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